vendredi 28 septembre 2007

Il y a cinquante ans, l’avènement de Duvalier au pouvoir / La bataille électorale 1956-1957 (5ème partie)

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N.B. Les parties 1 à 4 sont aussi postées sur ce blog les 21, 25, 26 et 27 septembre.
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Par Claude Moise
claudemoise@lematinhaiti.com

(Voir Le Matin des 21-23, 25, 26 et 27 septembre)



Le V de la victoire.

La décisive journée du 25 mai : les jeux sont faits. (5)

Le 24 mai se produit un sursaut « loyaliste ». Une intense activité au sein de l’armée aboutit au ralliement de nombreux officiers de la plupart des garnisons de la capitale autour du chef d’état major nommé par le CEG. Le colonel Armand est donc revenu sur sa décision. On l’apprendra officiellement le 25 mai au matin. Dans la nuit du 24 au 25, les officiers « loyalistes » se regroupent au quartier-général de l’aviation en banlieue nord de Port-au-Prince. Des dispositions militaires sont prises pour protéger ce lieu de ralliement et exécuter le plan conçu pour évincer Cantave. Le général « rebelle » retranché aux Casernes Dessalines dispose aussi des moyens de se défendre. Le matin du 25 mai à 7 heures, une proclamation du colonel Armand est diffusée sur les ondes de Radio-Commerce. Celui-ci informe qu’il accepte le poste de chef d’état-major de l’armée et invite le général Cantave et les militaires qui le soutiennent à quitter les casernes, donc à se rendre, sous la garantie que leur sécurité et celle de leurs familles seront assurées. Simultanément, un avion survolant les casernes et le Champ-de-Mars lâche des tracts mentionnant que toutes les unités militaires de la capitale, sauf les casernes, et tous les départements militaires de la province reconnaissent l’autorité du nouveau chef d’état-major de l’armée.Dès la diffusion de cette nouvelle, des Port-au-Princiens accourent au Champ-de-Mars où, durant toute la matinée, se presse une foule dense, attendant le spectacle, dit Le Nouvelliste. Une manifestation fignoliste s’organise spontanément. Des milliers de personnes venues de quartiers populaires parcourent les rues aux cris de Vive Fignolé président. En même temps, Radio Port-au-Prince de Antoine Hérard (duvaliériste), la station MBC, le journal Le Jour sont envahis, saccagés et complètement détruits par la foule. Il en sera de même de Radio JeanJacques Dessalines, propriété du groupe Jumelle. À l’angle des rues Capois et Roy, la résidence de François Duvalier est vigoureusement attaquée. Mais les assaillants sont repoussés par les duvaliéristes accourus au secours de leur chef. Ces différentes bagarres ont fait des morts et de nombreux blessés.
Au plan militaire, la situation évolue rapidement en fin de matinée. Vers 11h30, des pièces d’artillerie installées dans le périmètre du Champ-de-Mars sont amenées en position de tir vers les casernes Dessalines. Trente minutes plus tard, elles bombardent le refuge de Cantave. La riposte est rapide et efficace. Une colonne de soldats sortis des casernes prend à revers les artilleurs laissés sans couverture et les élimine. Un peu plus tard, une tentative de bombardement aérien sur les casernes échouera piteusement. Puis, silence. On négocie un cessezle-feu, par l’intermédiaire de l’archevêque de Port-au-Prince et de son évêque auxiliaire. L’accord est fait dans l’aprèsmidi entre les deux camps pour une cessation complète des hostilités.
C’est la solution politique qui, révélant un total renversement des alliances, surprend le pays. Déjà très tôt le matin du 25, un va-et-vient incessant entre les ministres déjoïstes, Bretoux et Bolté, et les ministres fignolistes, Bernard, Lamothe et Eugène, laissait apparaître une fissure dans la coalition Déjoie / Fignolé sur laquelle repose le « Collégial». Elle est devenue bien vite une rupture connue du petit nombre d’acteurs du drame qui se joue. C’est que Fignolé qui avait déjà manifesté de la réticence au moment où il était question de nommer Armand à la direction de l’armée, interprète maintenant le consentement tardif de ce dernier comme un coup monté par le camp déjoïste à son profit exclusif. Fignolé s’est senti dangereusement mis devant le fait accompli. De plus, la menace de guerre civile l’a surpris dans une situation d’inorganisation totale, lors même qu’il disposait de son rouleau compresseur et de la sympathie de la base de l’armée.
Avant même le début des hostilités, les grandes manœuvres politiques avaient commencé. Les forces alliées de Cantave et de Duvalier travaillaient activement à briser le front Déjoie / Fignolé pour desserrer l’étau. Toute la journée, le bruit a couru que Fignolé serait le prochain président provisoire. De fait, Fignolé, Jumelle, Duvalier, Émile Saint-Lôt, l’un des artisans, avec Adelphin Telson, de la solution politique conféraient aux casernes au moment où les artilleurs d’Armand ouvraient le feu. En offrant la présidence provisoire à Fignolé qui l’a accepté, les forces de Cantave, à l’abri desquelles se sont organisés les officiers duvaliéristes, démolissent d’un coup le gouvernement collégial. La nouvelle est officiellement annoncée le 26 mai. La Cérémonie d’investiture a lieu au Palais National en présence des chefs des deux factions : le général Cantave, à titre de chef d’étatmajor et le colonel Pierre Armand, en plus des nombreux invités de circonstance. L’accession de Fignolé à la présidence est saluée par une formidable explosion de joie populaire à Port-auPrince. Soldats et civils fraternisent, dansent dans les rues, tirent en l’air. Le camp de Déjoie ébranlé accuse le coup. Dans l’après-midi de ce dimanche 26 mai, l’ex-sénateur du Sud exhorte ses partisans au calme, les remercie des sacrifices qu’ils ont consentis et invite à la cessation des grèves. Il s’incline donc devant la défaite, mais il termine son bref communiqué en réaffirmant sa détermination d’aller aux élections. Le nouveau président forme un cabinet de coalition avec des jumellistes, des duvaliéristes et une très large représentation fignoliste. Les événements du 25 mai marquent un tournant décisif dans la crise. Vaincus, plusieurs des officiers « loyalistes » ou déjoïstes seront éliminés. Usé, Cantave se retire, remplacé par le colonel Antonio Kébreau. C’est d’ailleurs, avec la promesse d’une amnistie générale, une des conditions acceptées par les parties pour le rétablissement de la paix et la réconciliation au sein de l’armée. Mais, il n’y aura pas d’amnistie. Quelques jours plus tard, Armand et d’autres officiers démissionneront de l’armée. Restent les soldats fignolistes et les officiers duvaliéristes. Il devient de plus en plus clair que seule une prise de contrôle de l’armée permettra à un secteur de l’emporter. Certes, Déjoie est encore populaire et surtout puissant dans la bourgeoisie qui n’est pas édentée. Mais que va-t-il faire sans un appoint militaire, sans une force de dissuasion au sein de l’armée ? Sans doute. Fignolé est président, mais dès lors qu’il a accepté de dénouer la crise dans les conditions que l’on connaît, il a joué son rôle ultime. Même chef de l’État, il ne pourra pas passer à travers les mailles serrées de la hiérarchie de l’armée pour atteindre la base sur laquelle il n’a aucune prise organisationnelle. Il ne lui reste plus qu’à gérer cette fin de course au milieu des suspicions de toutes sortes. Quant à Duvalier, il ne se départit pas de sa prudence. Il laisse passer la bourrasque. Le coup de Fignolé président a comme par enchantement permis de défaire le nœud politico-militaire qui étranglait les classes dirigeantes depuis le dérapage de février 1957 dans la formule dite révolutionnaire. Fignolé n’est qu’un répit.
Il est surtout hors de course et ne le sait pas ou refuse d’y renoncer. Président provisoire, il ne manque pas une occasion de rappeler qu’il est candidat. Questionné, à l’occasion d’une rencontre avec la presse sur « ce que ses adversaires appellent une violation de l’article 81 de la Constitution qui stipule que le président provisoire ne peut être candidat à la présidence, M. Fignolé répond par une autre question : ai-je pris le pouvoir au terme de l’article 81 ?» Quand on lui demande si, pour lui, la Constitution est alors en veilleuse, il se contente de dire avec un large sourire : « interprétez-le comme vous voulez.»
Une fois le pays apaisé, la fraction déjoïste de l’armée éliminée, les soldats fignolistes manœuvrés et neutralisés, la nouvelle direction de l’armée avec Kébreau en tête n’aura aucune difficulté à emporter Fignolé le 14 juin 1957. Le général lui reproche précisément ses interventions jugées intempestives au sein de l’armée. Fignolé passe des instructions au commandant de l’armée – il le fait savoir publiquement – pour que la solde des enrôlés soit immédiatement augmentée. Il intervient dans le processus d’affectation des officiers et demande des explications sur les déplacements d’officiers opérés dans l’armée, depuis le 25 mai. Il réclame « également des informations sur 1’état de service des officiers de l’Armée d’Haïti du grade de capitaine à celui de colonel... » (Lettre du président Fignolé au chef d’état major de l’armée, Le Nouvelliste, 8 juin 1957). On n’allait pas lui laisser le temps de prendre son rôle trop au sérieux. Le 14 juin donc, il est à son tour victime d’un coup d’état militaire, arrêté et expédié en exil aux États-Unis. Un conseil militaire de gouvernement est constitué qui prend des mesures rapides pour contrôler le pays. Et pour bien marquer sa détermination de ne tolérer aucune contestation, l’armée se livre à un véritable massacre suite aux réactions violentes des masses fignolistes, dans la nuit du 16 au 17 juin. De nombreuses victimes (combien de morts ? on ne le sait) au Bel-Air et à la Saline pour faire taire les vacarmes nocturnes de protestation et contenir une marche de fignolistes sur le Fort-dimanche où, selon la rumeur, Fignolé est interné. Sans perdre de temps, les militaires sortent toute la batterie de la répression : état de siège, couvre-feu, restriction des droits de parole et de manifestation, décret contre le lock-out, arrestations... un nettoyage en règle. L’armée réoccupe l’espace que se partageaient les politiques. Depuis, c’est le calme plat en dépit des quelques soubresauts.
Une page importante vient d’être tournée. Les élections sont fixées et les chefs militaires sont appelés à tenir la main pour qu’elles se déroulent sans bavure. Mais les jeux sont faits. Jumelle n’avait jamais vraiment compté. Il se retirera en fin de course. Déjoie a subi sa plus cuisante défaite le 25 mai. Il n’a pas les moyens d’empêcher les manipulations électorales pro-duvaliéristes. Sous la protection énergique et féroce de Kébreau, les militaires duvaliéristes et toutes les forces combinées du duvaliérisme s’emploient à se rendre aux urnes le 22 septembre 1957 où François Duvalier confirmera sa victoire.
vendredi 28 septembre 2007
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