samedi 12 novembre 2016

La tempête Mathieu a mis à nu le fonctionnement du système de financement et d'assurances agricoles en Haïti

Par Michel William, agronome
michelwilliam1000@hotmail.com



1- Brève histoire du crédit récent

Le 12-13 juillet 1999 le BCA ou bureau de crédit agricole du MARNDR avait organisé à l'hôtel Christopher un atelier national sur le financement décentralisé. C'était avec le ministre François Séverin. 

En 2009 un nouveau forum sous l'impulsion du ministre Joanas Gué sur le crédit agricole a été de nouveau organisé. 

Ces rencontres se justifiaient par le fait que depuis 1986,le BCA avait été mis en difficulté suite à un ensemble de décisions qui s'inspiraient de la politique politicienne plutôt que du crédit. A partir de 1986, les paysans qui devaient de l'argent au BCA prétextaient que Jean Claude Duvalier avait pillé le pays, que l'argent qu'il dilapidait appartenait à l'état haïtien et que par conséquent eux aussi qui devaient de l'argent, le devaient à l'État et qu'à l'égal des Duvalier ils n'allaient pas rembourser leurs dettes. 

Le forum de 2009 était justifié du fait qu'un ancien directeur du BCA très politisé,l'agronome Jean Claude Amédée, mort sous Préval 1, concédait dans la logique des coopératives 10%, sur simple recommandation du ministre d'alors, des prêts à des hauts dignitaires du régime Lavalas avec aucun espoir de remboursement. 

Lorsque Mr Joanas Gué devint ministre en 2008-2009, pour faire face à ce problème de crédit agricole dans le secteur, il lança le forum de 2009 dont la principale conclusion jamais mise en application par le ministre Gué lui même, était la création d'une banque haïtienne de crédit rural BHCR. Assistaient à ce forum, la kyrielle des ONG qui convoitaient la place du BCA dans le crédit agricole, menée par l'IICA et la FAO qui étaient les fers de lance de la microfinance à cette époque. Participaient à ce forum, la BRH, les banques commerciales, les caisses populaires, les caisses d'épargne et de crédit, l'Union Européenne ,l'USAID, la BID, la Banque mondiale, la Mission française de coopération qui ne voulaient pas officieusement entendre parler de banque de développement agricole, de banque de crédit rural en Haïti. C'est ainsi que l'IICA, en la personne de son représentant dominicain à vie dans le pays, 27 ans, Alfredo Mena, prit l'initiative de fonder le SYFAAH avec les fonds de la coopération canadienne, quand dans son pays, en République dominicaine il y a "el banco agricola de credito rural" à coté d'une banque de coopérative qu,i toutes deux, donnent du crédit dans l'agriculture et qui fonctionnent avec des garanties de l'État dominicain.


2- Deux mots sur le crédit et sur la microfinance


Aucun développement ne peut se faire dans aucun pays du monde sans la présence du crédit. Un exploitant ne développe pas son exploitation avec son argent personnel. Il a besoin du crédit pour travailler et pour augmenter son capital. Le crédit fructifie dans tout pays organisé où la justice et les autres services publics sont fonctionnels, lesquels services permettent de connaître à fond le client. Lorsque le crédit atteint des proportions substantielles qui mettent les fonds des banques commerciales en danger, comme en agriculture, ces dernières font appel à des fonds de garantie. Ces fonds de garantie ne peuvent être garantes que par des banques d'état (BRH) et non par des ONG humanitaires.


La micro finance est une activité génératrice de misère. En témoignent les millions de ti machann qui sont dans la microfinance avec une douzaine de bouteilles de kola ou de sachets d'eau qui inondent les rues des grands centres de consommation et qui polluent à longueur de journée les rues de la capitale et de celles des autres grandes villes. Les microfinances ne conviennent pas dans l'agriculture qui exige des capitaux substantiels dans les dépenses de premier établissement. Elles n'ont pas vraiment de finances pour investir dans l'agriculture. La coopérative canadienne "Le Levier", qui fonctionne en Haïti avec un portefeuille, dit elle, de deux milliards de gourdes, consent 80% de son actif dans le petit commerce et non dans l'agriculture.



3- Apprenons à connaître le SYFAAH en Haïti


Le projet Système de Financement et d’Assurance Agricole en Haiti, SYFAAH, est un projet canadien, qui a un bureau au CANADA et un bureau en Haïti. Il est dirigé exclusivement par du personnel canadien. Le gouvernement haïtien n'a aucun droit de regard sur son fonctionnement en Haïti. Le premier projet lancé par le SYFAAH remonte à 2011. Il a une durée de 7 ans (2011-2018). Sa première enveloppe financière s'élevait à 21 millions de dollars canadiens. Ce projet, réalisé conjointement par Développement international Desjardins (DID), Financière agricole du Québec-Développement international inc (FAQDI) et l’Institut Interaméricain de Coopération pour l’Agriculture (IICA), visait à mettre en place en Haïti un système de financement et d’assurances agricoles, structurant ainsi de façon globale l’offre de services financiers destinés aux agroentrepreneurs dans le but ultime de relancer l’économie agricole et rurale, créer des emplois et améliorer la sécurité alimentaire en Haïti. Ce système impliquait la professionnalisation du secteur en entier, c'est-à-dire le renforcement des capacités des agro-entrepreneurs, des institutions financières et de l’État afin de gérer efficacement deux fonds nationaux de garantie et d’assurances.


Le DID agira à titre de gestionnaire du projet et contribuera à renforcer l’offre de crédit agricole par les activités suivantes:


  • Sélectionner des institutions financières participantes
  • Analyser leur marché potentiel dans le secteur agricole
  • Établir une stratégie de professionnalisation en crédit agricole
  • Proposer une structure organisationnelle adéquate
  • Définir des produits de crédit adaptés
  • Former le personnel spécialisé en crédit agricole
  • Élaborer et mettre en place des normes de gestion et d’encadrement du risque de crédit.
C'est un projet du ministère canadien des affaires étrangères. Une phase pilote de trois (3) ans a terminé en 2013. Une deuxième phase du projet a déjà commencé. Elle finira en 2018.

Au cours de la première phase, 75% de l'enveloppe financière ont été utilisés pour payer le personnel canadien, rapporte -t-on dans les coulisses du MARNDR. Des protocoles d’accords ont été récemment signés avec la Coopération Suisse et l’AFD pour augmenter l’assiette du fond actuel.

Les principaux produits et services développés et prévus par le SYFAAH étaient surtout:

  • l’encadrement technique (condition essentielle pour obtenir le crédit, 
  • le crédit (diversifié vers la production, la transformation, le stockage et la commercialisation), 
  • l’assurance agricole.
Le projet met en œuvre ses activités via des opérateurs financiers, SOGESOL, ACME, et la coopérative canadienne Le LEVIER. 

D'après Mr Olivier Baro, PDG de l'Alternative Insurance Compagny, le SYFAAH garantit également sa compagnie d'assurance pour garantir à son tour des banques commerciales qui financent l'agriculture et le petit commerce. 

Le SYFAAH entend adresser les filières du riz (dans l’Artibonite), la mangue, les maraichers, les filières avicoles et la banane. Il a en perspective, d’inclure les cultures igname, café, cacao, avec l’intégration de la Coopération Suisse et l’AFD. 

Pour le PDG de l'AIC, au micro de radio Kiskeya, c'est l'instabilité politique, 4 ministres d'agriculture en deux ans, qui bloque l'évolution du SYFAAH en Haïti. Je ne suis pas de son avis. Pour l’instant, les services financiers du projet touchent les filières riz et la mangue dans l’Artibonite dans des projets de commercialisation où les risques sont relativement minimes;Cela va dépendre de l’alimentation du fonsd de garantie.

Un groupe de dix (10) Conseillers Techniques en Gestion (CTG) a été déjà formé et fournit l’encadrement technique nécessaire aux aspirants des produits et services financiers offerts par le projet. De nos jours le SYFAAH devrait offrir deux services : l'assurance récolte et le fond de garantie. 

Il est utile de souligner à l'attention de la communauté haïtienne que le fonds assurance récolte n'est jamais mis en opération par le SYFFAH. Le SYFAAH se confine dans la gestion absolument antipeuple des fonds de garantie aux banques commerciales et à la coopérative Le Levier. Il a été récemment appris que l'ACME S.A ne travaille plus avec le SYFAAH.



4- Comment le SYFAAH opère sur le terrain?

On ne connait pas très bien le statut du SYFAAH en Haïti, à savoir, si c'est une banque humanitaire agricole de développement ou si c'est une ONG de garantie des prêts agricoles consentis par certaines banques commerciales en Haïti. Que ce soit l'un ou l'autre, aucun des deux ne répond aux besoins de l'agriculture, fut elle familiale ?


Une compagnie d’assurance est une entreprise commerciale qui capitalise sur la gestion des risques de l’activité assurée par l’entrepreneur pour établir son business . Le temps, la santé financière, la santé technique, les aléas climatiques et la gestion du personnel de l’entreprise, en un mot, la vulnérabilité de l’entreprise sont des critères sur lesquels joue l’assureur pour ne jamais avoir à payer à l’assuré un éventuel dédommagement. L'assurance est le commerce du risque. L’assureur dans son cahier de charges place l’assuré en condition de faire les études d’impacts et de mitigation pour que les chances de dédommagement soient presque inexistantes. Dans l’agriculture haïtienne , le corollaire de la réduction à outrance des chances de dédommagement est superbement élevé. Que ce soit dans la production proprement dite ou dans l’organisation du marché, les risques de pertes sont très élevés. Les risques sont très élevés parce que les services du MARNDR ou du privé qui doivent garantir le paquet technique, jeter les bases de l’organisation du marché, sont déficitaires voire inexistants.

Le SYFAAH approche la Sogesol, l'ACME S.A, Le Levier et leur demande de financer le crédit agricole sous la forme de microfinance. Ces banques donnent un crédit agricole de 34-35% l'an. Ces banques envoient sur le terrain un officier de crédit pour enquêter sur la situation financière du client. 

Le SYFAAH dit à ces banques " vous financez ce petit planteur et l'on vous garantit 70% du crédit alloué.".Il n'y a aucune autre information qui dit au SYFAAH si le client a réussi son jardin, a perdu sa plantation ou a remboursé en partie ou en totalité le dit prêt à la banque commerciale. Le SYFAAH fait confiance au seul rapport de la banque commerciale quant au fond de garantie à réaliser. La banque est juge et partie à la fois. Tous les avantages vont aux banques qui s'enrichissent des fonds du SYFAAH et avec le SYFAAH aux dépens de la clientèle agricole. Le SYFAAH a un job en Haïti, celui d'arrondir les avoirs des banques commerciales et autres compagnies d'assurances qui collaborent avec lui dans "l'agriculture".

En théorie, l’assurance agricole du SYFAAH devrait couvrir les risques liés aux aléas climatiques, aux maladies et aux pestes. Ceci était le verbatim du début pour dorer la pilule et la faire avaler par nos dirigeants haïtiens en mal de pouvoir et d'intérêts mesquins. 

Le SYFAAH est présent dans le Sud et dans l'Artibonite avant et après le passage de la tempête tropicale Mathieu en Haïti. Si c'était aussi une banque d'assurance des crédits à la production agricole, les riziculteurs du Sud qui ont vu leurs jardins de riz détruits par les eaux des rivières en furie le 2-3-4 octobre 2016, n'auraient qu'à présenter leurs factures au SYFAAH pour étre dédommagés. Il n'en est rien .Les banques commerciales prêteuses oui. Les riziculteurs non, pas même l'assurance récolte, car cette composante du projet n'a jamais été opérationnelle. Alors qui trompe qui? Y aurait-il des arroseurs et des arrosés?



5- Complot officieux des politiciens haïtiens contre l'agriculture haïtienne

Je ne peux pas le prouver, mais officieusement le SYFAAH s'est toujours opposé à la création officielle d'une banque haïtienne de crédit rural sans jamais se prononcer publiquement. Dans mon analyse ,je me réfère aux faits suivants: 


1- Le ministre Joanas Gué a refusé de mettre en application les conclusions du Forum de 2009 dont il était le commanditaire officiel , à savoir la création de la banque haïtienne de crédit Rural (BHCR). 


2- A trois mois de son départ de la primature du pouvoir de René Préval, le Premier ministre Jean Max Bellerive a signé en 2011 avec l'ambassadeur canadien un accord de partenariat autorisant la coopérative "Le Levier" à micro financer l'agriculture en Haïti, tâche dont Le Levier ne peut pas s' acquitter. 


3- Le gouverneur de la BRH d'avant ou avec Charles Castel, souhaitait depuis 2012,que les banques commerciales profitent de l'assurance donnée par certaines institutions humanitaires pour mitiger les risques élevés en agriculture et investissent leurs fonds.


Les analyses des faits montrent qu'il y aurait un complot, une complicité même entre le premier ministre Jean Max Bellerive, les ministres d'agriculture qui se sont succédés depuis 2009 et la BRH, pour ne pas avoir cette banque haïtienne de crédit rural, ou à défaut, une banque de développement susceptible de financer l'agriculture haïtienne. 


S'il faut appeler un blanc un blanc, un restavek,un restavek, il n'y a rien d'étonnant que l'on rafraîchisse la mémoire des lecteurs en disant que mêmes nos chefs d'état et les résultats de nos élections ne sont valables que, seulement, lorsque le blanc aura fini d'en placer son mot. 

Alors, pourquoi faire la mimique en pratiquant le déni de la vérité, en manipulant le concept des assurances agricoles en Haïti, en caricaturant le crédit agricole et en refusant le raisonnement inductif et déductif sur le rôle caché du SYFAAH en Haïti ? 

Le SYFAAH, via l'ambassade canadienne en Haiti, aurait réussi à imposer son point de vue aux autorités haïtiennes et interviendrait jusqu'à aider à remplacer le personnel expérimenté du BCA qui constituait les dernières poches de résistance au refus canadien de création en Haïti d'une banque haïtienne d'Etat de crédit rural.


Michel William
11 novembre 2016