lundi 23 juin 2014

Haïti / Toussaint-Louverture, Dessalines et Pétion personnifient respectivement: la Liberté, l'Égalité et la Fraternité.

Au moment où, à Port-au-Prince les anarchopopulistes pervertissent les idéaux de Pétions et de Dessalines, il est bon de rappeler le passage suivant de Dantès Bellegarde (*).


« L’État d'Haïti avait, dès les premiers temps de notre histoire, nettement compris sa mission politique et sociale. La «Déclaration Préliminaire» de la Constitution dessalinienne de 1805 et  les «Dispositions Générales» de la Constitution républicaine de 1806 sont deux documents que les Haïtiens ont le droit de mettre sur le même plan que la Grande Charte de l’Angleterre de 1215 et le Bill of Right de 1689, la Déclaration d’indépendance des États-Unis de 1776, la Déclaration française des Droits de I'Homme et du Citoyen de 1789 et l’American Bill of Rights de 1791.»
 «Réunis. ces deux documents forment la ·Charte des libertés haïtiennes parce qu'ils consacrent, de la façon la plus large, ces idées de liberté, d’égalité et de fraternité qui sont les conquêtes les plus précieuses de notre civilisation chrétienne.»

«II est étonnant de constater à quel point ces trois grandes idées, qui représentent l’essence même de la démocratie, trouvent leur parfaite personnification en trois de nos héros nationaux: Toussaint-Louverture incarne la liberté; Dessalines, c'est l'égalité, car en conduisant Haïti à l’indépendance, il affirma le droit d'un peuple d’origine nègre à être traité comme égal par toutes les nations du monde civilisé; Alexandre Pétion personnifie la fraternité (que nous appelons aujourd'hui justice sociale) parce qu'en fondant la «république» il appela tous les Haïtiens à participer fraternellement au gouvernement de leur pays pour leur bien-être commun et parce que, en aidant Bolivar à libérer les colonies espagnoles de cet hémisphère, il assura l'abolition de l'esclavage en Amérique hispanique et donna le premier exemple désintéressé de solidarité interaméricaine.»


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(*) Dantès Bellegarde (1948), "Dessalines a parlé," Société des Éditions et de Librairie, Port-au-Prince, Haïti, 424 pages.

mardi 3 juin 2014

Boniface Alexandre : un homme parfait !

Par Me Winnie H. Gabriel
winniehugot@gmail.com

Source: lenouvelliste, 27 mai 2014
 
Ancien président de la République, ancien président de la Cour de cassation, professeur de droit dans différentes universités du pays, Boniface Alexandre, du haut de ses cinquante-deux ans de carrière dans l’avocature, est une véritable encyclopédie vivante. Sympathique, il nous livre volontiers un petit résumé de sa vie.
 
 
Fils d’un grand propriétaire terrien, Boniface naît le 31 juillet 1936 à Ganthier et y grandit. Il fréquente d’abord l’Ecole nationale de Ganthier en primaire, puis rentre à Port-au-Prince, pour des études secondaires au Lycée Alexandre Pétion. Son enfance est heureuse. Entre une mère aimante, une grand-mère qui le dorlote et un père respectable, il vit entouré de ses sept (7) frères et deux (2) sœurs. Tout le monde l’aime. A la maison comme à l’école, le cadet des Alexandre est sage comme une image, et échappe aux punitions. Seul petite tache au tableau, sa grand-mère lui refuse tout contact avec l’extérieur. Aujourd’hui encore, il en garde les séquelles. C’est un homme solitaire, qui n’a pas beaucoup d’amis. Le cycle secondaire bouclé, Boniface faillit entrer à l’Académie militaire qui recrutait en cette periode. Avec sa haute stature, son intelligence, il aurait aussi eu raison de n’importe quel test et serait aujourd’hui de la même promotion que des hommes tels que Roland Chavannes, Acédius St-Louis. Mais les parents posent leur veto. « On ne veut pas de militaire dans la famille.» Il doit choisir entre la médecine et le droit. Chose dite, chose comprise. Il entre à la Faculté de droit et des Sciences économiques et en 1962 décroche sa licence. C’est au Cabinet Lamarre, à la rue du Quai, qu’il fait ses premières armes, dans ce métier qu’il pratiquera jusqu'à ce qu’il décide de devenir magistrat.
 
 
Un des meilleurs juristes haïtiens
 
Maître Alexandre se hisse aisément dans la galerie des meilleurs juristes haïtiens. C’est au prix de longues heures de travail et d’études qu’il s’est taillé cette notoriété. « Depuis 1962, il ne se passe un jour sans que je ne lise un livre de droit. Au Cabinet Lamarre, des fois j’avais près de trois ou quatre affaires par jour. On me surnommait Le roi du Barreau. J’ai gagné les trois quarts de mes procès et certains se terminaient à la Cour de Cassation. Je le dis, je le redis à qui veut l’entendre, le droit positif haïtien n’a aucun secret pour moi. Même si vous me réveillez de mon sommeil, je dois pouvoir répondre à une question et ceci sans rien à consulter.»
 
Un seul cours de droit avec lui devrait vous en convaincre. Pas possible de le coller. Il semble avoir réponse à tout. La procédure civile, le droit civil, et les voies d’exécution sont ses matières de prédilection. Même s’il n’a publié aucun manuel y relatif, il les enseigne dans différentes universités de la place et à l’École du Barreau de Port-au-Prince. En 1991, Boniface Alexandre entre dans la Magistrature en tant que substitut Commissaire près la Cour de Cassation. En 1995, il est nommé Commissaire en chef du Parquet et en 2001, il remplace le Président provisoire de la Cour de Cassation. C’est ce dernier poste qui lui vaut d’être le Président de la République, après le départ de Jean-Bertrand Aristide en février 2004 comme le veut la Constitution.
 
 
« Je n’ai jamais été un homme politique »
 
Le 8 mars 2004, celui qui a toujours été le premier de la classe grâce à sa superbe intelligence prête serment en tant que Président d’Haïti. A le croire, c’est un concours de circonstance qui le place au timon des affaires de l’Etat. « Quand je suis allé à la Cour de Cassation, je voulais juste être utile à mon pays. Je me sentais assez bien préparé pour être un bon magistrat. Je n’ai jamais été un homme politique. En acceptant ce poste, j’ai servi mon pays. J’ai obéi à la loi. »
 
D’ailleurs, dès les premières minutes de l’interview, il indique : « Je ne parlerai pas de politique. » Puis nuançant un peu, il poursuit : «Je peux donner des conseils en aparté, mais jamais des consultations publiques. On n’aime pas la vérité. Dès que vous critiquez quelqu’un en Haïti, vous risquez de vous faire un ennemi. »
 
Contre toute attente, ces deux années au pouvoir sont loin d’être les plus merveilleuses de la vie de cet homme, qui a toujours été à l’abri du besoin. « A l’époque, en pleine opération Bagdad, comme on l’appelait, le palais était une véritable prison. Il y avait des soirs où l’on ne pouvait pas dormir. On tirait directement sur le Palais, de Fort National étant, paraît-il. Et on dirait que c'est ma chambre qui était expressément visée. Souvent je devais ramper comme un serpent pour traverser d’une chambre à l’autre. C’était l’enfer. Maintenant qu’il y a plus de stabilité dans le pays, cela peut être différent, mais de mon temps, c’était une vie de martyr. On m’avait conseillé de ne pas faire les élections pour rester au pouvoir. J’ai dit non. Ceci n’était pas une vie. » Ce n’est donc pas une expérience qu’il aurait refaite dans les mêmes conditions qui prévalaient en ce temps.
 
  A la retraite depuis 2006, Boniface a repris la vie tranquille qu’il aime tant, dans sa paisible maison à Delmas 75, à l’abri des regards indiscrets et du tumulte de la vie politique. Son horaire est bien chargé. « A cet âge, c’est dangereux de ne rien faire. Vous devez toujours être utile à la société. Etre en contact avec la jeunesse rajeunit également », laisse-t-il entendre. Du lundi au samedi, il dispense des cours de droit. Le dimanche dès 6 h, il se dirige vers sa ville natale pour ne revenir que le lundi, au matin. Entre une excursion à Source Zabeth ou à l’Étang Saumâtre, et la visite de ses terres en culture, il a de quoi se distraire. Outre cela, il partage volontiers ses connaissances. A longueur de journée, et ceci jusqu'à dix heures du soir, des étudiants l’appellent pour des consultations gratuites.
 
 
« Je suis un homme fidèle »
 
Enfant de chœur dans sa ville natale, Boniface Alexandre aurait pu être prêtre, s’il ne s’était laissé séduire par celle qui devint sa femme, Célima Dorcely. Native de Thomazeau, elle était en 6e et lui en 9e quand ils se sont rencontrés. « C’est ma femme qui m’a choisi. Et c’est peut-être pour cette raison que notre couple dure. Car quand une femme jette son dévolu sur vous, il ne peut y avoir de meilleur choix. » Marié en 1990, après la naissance de ses quatre enfants bien entendu et suite à quelques années de vie commune, elle reste et demeure la seule femme de sa vie. Quoiqu’il fût un brillant avocat – donc sujet à des avances – il affirme : « Je n’ai jamais succombé aux charmes d’une autre femme. Jamais de nuit hors du lit conjugal, à moins que je ne sois à l’étranger.» La fidélité semble être un héritage de famille. « Mes parents, mes grands-parents étaient fidèles, l’un à l’autre. Avec de tels exemples et ma foi chrétienne, je n’ai aucune raison de transiger sur cette valeur. »
 
C’est un romantique dans l’âme. « Je crois à l’amour, fidèle, jusqu'à la mort.» Et à ce titre, il nous rappelle une anecdote : « Mon grand-père pensait qu’il mourrait avant sa femme, mais ma grand-mère est partie la première. Ma grand-mère est morte un 15 mars, c’était la veille du vendredi saint, je crois. Le jour de la veillée, mon grand-père est allée près du cercueil et a dit «  Pa kite m non, nan yon mwa pou vin chache m » Et bizarrement cela se réalisa. Mon père est mort le 15 avril. Jour pour jour. »
 
 
« Je suis impeccable »
 
Boniface Alexandre est un sujet très intéressant et assez singulier. L’homme a des goûts simples comme tout et semble être facile à vivre. « Quand on est vieux, il faut savoir qu’on l’est ». dit-il et donc, à son âge, il est sobre. Pas de boisson gazeuse. Pas d’alcool. Le café est son seul allié. S’il n’est pas gourmand, il aime néanmoins le riz, le maïs, et le griot. Il a un penchant pour le bleu marine et le blanc – par déformation professionnelle peut-être – et était ancien fan de Racing. Sa radio, posée sur une table dans un coin dans le salon, lui tient très souvent compagnie quand il est à la maison. Il aime la musique, celle de son temps du moins. Même s’il ne va plus au bal, ni au ciné, il n’y en a plus au pays d’ailleurs. Il irait peut-être, si Triomphe ouvrait. L’orchestre Tropicana reste son groupe favori, Manno Charlemagne et Coupé Cloué viennent ensuite. Ce nostalgique du boléro, des vieux films western, ne connaît rien aux mœurs de la nouvelle génération : « Avec les jeunes d’aujourd’hui, j’ai du mal à m’accommoder. Je ne peux m’habituer avec leur rythme, ni leurs manières. »
 
Il n’a pas beaucoup d’amis, donc pas beaucoup de visiteurs. Sauf les infortunés, « Ma maison, on la prend pour une banque. A longueur de journée les gens viennent frapper pour avoir de quoi manger, de quoi payer l’écolage de leur senfants, et je n’ai pas le cœur de refuser. » L’homme possède une grande estime de lui-même. Il sait qu’il est intelligent. C’est aussi un honnête homme qui a travaillé dur pour mériter le respect de ses pairs. Même deux années près des caisses de l’Etat n’ont pu le défaire de cette intégrité. « Je me respecte. Alors que j’étais président, personne ne peut dire que j’ai prélevé un seul centime des caisses de l’État. Je me suis contenté de mon chèque. Les dossiers sont là, on peut vérifier. Mon ministre de l’Économie est encore vivant. Demandez-lui si une fois au moins je lui ai ordonné de me donner de l’argent de l’État pour mes besoins personnels. Jamais. Je ne vivais que de mes appointements. – même si ce n’était pas beaucoup –. Pas de frais. »
 
Son assurance et son acceptation pleine et entière de sa personne surprennent. Les critiques des autres –quelles qu’elles soient- ne l’atteignent pas. Et quand je lui demande son principal défaut, sans broncher il répond : « Je suis un homme impeccable ». Je reste pantoise quelques minutes, guettant un changement d’attitude, mais non. L’homme ne se trouve pas de défauts. Il est parfait.
 
Toujours doté d’une bonne santé, calme et très réservé, le septuagénaire a vécu sa vie. Et faisant le bilan, il n’a aucun regret. « J’ai servi mon pays. Je n’ai jamais fait de mal à ma famille, ni à la société. Personne ne peut m’accuser de lui avoir fait du tort expressément. » Il est satisfait de lui-même et de ce qu’il a réalisé. Il l’est d’autant plus qu’il n’a pas eu à laisser le pays après son passage au pouvoir. Il vit avec le sentiment d’avoir accompli son devoir. De ses quatre enfants, trois, Jean Bony, Schiller et Berwick, sont médecins, un seul Marjorie, actuellement consul général d’Haïti à Boston, est avocat et marche sur ses traces. Sage, ses derniers mots sont pour exhorter la jeunesse à aimer Haïti et à travailler pour assurer la relève du pays.  

dimanche 1 juin 2014

Henri Bazin l’honnêteté à tout prix

Source: lenouvelliste, 30 mai 2014
Par Roberson Alphonse
ralphonse@lenouvelliste.com  

Henri Bazin. Sa compétence, son honnêteté font l’unanimité. L’ex-ministre de l’Économie et des Finances, entré récemment au panthéon de la finance haïtienne, voudrait que les journées aient plus de 24 heures. Cet ancien étudiant de l’UEH, boursier de l’État, enseigne, donne ce qu’il a reçu, s’implique dans la vie de la cité. Réservé, il croit que le pays mérite mieux, qu’il faut « être honnête, surtout quand on s’occupe des biens publics ».
 
 
Dr. Henri Bazin
Source photo: Le Nouvelliste, 31 mai 2014
 
 
 « Mon âge ? Je ne le dirai pas ! », lance gentiment Henri Bazin. Bien calé dans un fauteuil couleur chocolat, chez lui, à la rue O, Turgeau, le benjamin des frères Bazin esquive les relances de journalistes fouineurs. Au pif, on devine qu’il fait 70 ans. Peut-être plus. Solide, il porte bien le poids des ans. Sa démarche de lord anglais -une partie de sa légende- reste la même. L’homme, très affable, n’est pas timide, mais discret. « Je n’aime pas parler de moi », justifie Henri Bazin, considéré comme un « grand esprit » et « l’un des Haïtiens les plus honnêtes ».
 
En quelques minutes et après un verre de jus d’orange sur glace, la glace se brise. Il parle, s’ouvre. La version « short » de sa vie, un mélange d’efforts, de sacrifices, de partage et de rectitude, fascine, suspend à ses lèvres.
 
 
Les premiers pas
 
Ce provincial, né à St-Marc, n’est pas seul à la maison. Son père, Louis Bazin, avocat, substitut du commissaire du gouvernement, et sa mère Simone avaient pris le soin de mettre deux fils au monde avant lui et trois filles après lui. « Dans la famille, tout est équilibré », plaisante Henri Bazin, qui a découvert les chiffres et les lettres à l’école paroissiale du Limbé, ville natale de son père, après avoir vécu brièvement à Gros-Morne, sur les terres de sa mère.
 
En 1945, l’année de la capitulation allemande pendant la Seconde Guerre mondiale, sa mère Simone, ses six enfants sur les ailes, part à l’aventure, prend une décision courageuse et audacieuse. Elle s’installe à Port-au-Prince. Le paternel reste à Limbé. L’envoi des provisions alimentaires est irrégulier. « On mène alors une vie très modeste à la maison située en face du collège St- Martial », raconte Henri Bazin avec simplicité.
 
La mère monte une pension, fréquentée des parents et des affiliés du Limbé, de Pilate. « Pour subsister lors des fins de mois difficiles, ma mère empruntait de l’argent. Elle m’emmenait régulièrement chez l’usurier pour éviter toute équivoque », se souvient-t-il, encore fier de la solvabilité quasi légendaire de sa mère. « Une dame absolument remarquable », indique Henri Bazin en hochant la tête. Scolarisé entre-temps au Petit-Séminaire Collège St-Martial, Henri Bazin raconte que la page des années de vaches maigres a été tournée en 1946. Son père, connu comme avocat dans tout le département du Nord, est élu sénateur de la République. Il est même devenu président du grand Corps.
 
Henri Bazin boucle ses études classiques. Il entre à la Faculté de droit et des sciences économiques en 1954. Colauréat de la promotion avec François Martole, il sort avec son diplôme d’avocat et d’économiste. L’excellence est récompensée par une bourse d’études. En 1957, il pose ses valises à Paris, en plein hiver. À l’Université de Paris, il passe cinq ans. Le temps de faire sa maîtrise et sa thèse de doctorat. C’était sur « Commerce extérieur et développement, exemple de la région de la Caraïbe », se souvient Henri Bazin sur qui veillait son grand frère Marc.
 
Contrairement à Marc, Henri, aimé des femmes, Henri n’était pas un bourreau des cœurs. « Marc, c’était le caïd », raconte-t-il, le regard figé, comme s'il voulait remonter le temps, ce temps.
 
 
Le bannissement
 
La tête bien pleine et bien faite, Henri Bazin prépare son retour:« J’ai voulu me mettre à la disposition de mon pays».Cela attendra. Longtemps. Au téléphone, sa mère lui assène la mauvaise nouvelle. « C’est la prison si tu entres en Haiti, mon fils ». Henri Bazin, sans le savoir, a été photographié par la police secrète du régime, pendant une manifestation anti-Duvalier à Paris, aux côtés de Hervé Denis, de Claudette Werleigh. Dans le contexte des indépendances africaines, le sentiment révolutionnaire bouillonnait dans les têtes et dans les cœurs. Pas question pour Henri Bazin d’aller en prison. La sinistre réputation des cachots de Fort-Dimanche était connue, bien au-delà des 27 000 kilomètres carrés du territoire d’Haïti.
 
 
Il reste à Paris
 
Sollicité par des camarades originaires de plusieurs pays du continent africain, Henri Bazin, en 1964, choisit le Mali. Quelques-uns de ses meilleurs amis à Paris étaient maliens. Là-bas, il devient conseiller technique du ministre du Commerce et de l'Industrie malien. Bazin enseigne aussi à l'Ecole nationale d'administration du Mali, à Bamako. Avant de quitter ce pays en 1969, Henri devient le conseiller du président Bodibo Keïta, renversé lors d’un putsch.
 
Après la parenthèse malienne, il offre ses services en tant qu’officier des affaires économiques à la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) à Genève. Il y reste pendant trois ans. Bazin revient en Afrique qu’il connait comme le fond de sa poche. Il arrive à la Commission économique des Nations unies pour l'Afrique à Addis Abeba pour trois mois comme directeur de la division des questions commerciales, financières et monétaires internationales. De poste en poste, de projet en projet, HB reste finalement 14 ans en Éthiopie. Le temps passe. À ses côtés, de Mali à l'Ethiopie, sa moitié, Danielle Tardieu, militante féministe, intellectuelle engagée.
 
Loin d’Haïti, la nostalgie pèse. Henri Bazin choisit un poste de conseiller économique principal au PNUD. Il s'est établi à New York. « Je devais être le plus près d’Haïti possible », confie-t-il, rongé par l’envie de revenir chez lui, dans son pays. Ce docteur en économie, entre-temps, gérait le programme régional pour l’Afrique dont l’enveloppe était de 600 millions de dollars. « On faisait des projets dans quatre ou cinq pays à la fois », explique ce bosseur, qui est resté six ans dans le Big Apple.
 
 
Le retour au pays et les défis relevés
 
« En 1991, j’ai décidé de rentrer chez moi », confie HB. Parallèlement au cours d’économie qu’il dispense à l’Université Jean-Price Mars à l’époque, en 1992, il occupe aussi la fonction de conseiller technique au cabinet du Premier ministre, son grand frère, Marc L. Bazin. Il crée avec d’autres l’Association haïtienne des économistes. Bazin passe la main après deux mandats de président.
 
En 2004, après le départ de Jean-Bertrand Aristide, Henri Bazin accepte le poste de ministre de l’Économie et des finances à la demande de son ami, le Premier ministre Gérard Latortue. Henri Bazin vit l’une des expériences les plus révélatrices de sa vie. « La BRH, à l’époque, avait des réserves que pour un mois d’importation alors qu’il en fallait au moins pour six mois », explique Bazin, appelé à redresser la barre des finances publiques. « C’était nécessaire. Avec une situation aussi désastreuse, on ne prenait pas le pays au sérieux. On ne te fait pas de prêts avec des réserves estimées à un mois d’importation.»
 
Grâce à une cure de gestion rationnelle des finances publiques, Henri Bazin, qui a pu éviter le programme d’ajustement structurel, remet le Trésor public sur les rails. Il gronde au besoin des experts internationaux indélicats, incompétents et prétentieux. « Il faut mettre de l’ordre dans ses affaires. Se respecter, pour se faire respecter », selon Henri Bazin qui, à ce poste, a repoussé d’innombrables sollicitations pour ne pas céder aux pratiques illégales. « J’ai résisté. Absolument », indique-t-il avec virilité. À ce poste, il a aussi vu des gens dans leurs postures et leurs impostures. Il résume : « Dans certains cas, la position publique des gens ne correspond pas toujours à leurs actions ». Pour Bazin, « il faut être honnête, surtout quand on s’occupe des biens publics». « C’est clair que cela a manqué à Haïti », estime cet économiste, qui marche souvent à pied pour voir la vie, humer la réalité quotidienne. « Le peuple mérite mieux que ce qu’on lui donne », croit Henri Bazin, qui appelle à la retenue : « Soyez humble, soyez modeste.»
 
Ce Bazin n’est pas tenté par aucun poste électif. « On s’était toujours dit qu’un Bazin en politique était more than enought », explique Henri Bazin, connecté en revanche à la vie dans la cité et qui a décliné plusieurs offres pour devenir ministre pendant ces dernières années. « Je ne me boucherai pas le nez pour accepter un job, pour faire un coup comme on dit», tranche Henri Bazin, qui ne lésine pas sur ses principes.
 
 
Restituer, partager, forger l’avenir
 
Henri Bazin, qui se considère comme un privilégié pour avoir fait des études universitaires avancées aux frais de l’État haïtien, croit dans la restitution. « Ce pays nous donne beaucoup. Nous n’apprécions pas assez. Nous ne rendons pas assez». Bazin enseigne, parallèlement à l’Université Quisqueya, au CTPEA. Sa chaire est de 7000 gourdes par mois et est le cadet de ses soucis. Ce n’est pas l’argent qui le motive. Membre du conseil d’administration de HaïtiTech, une institution de formation de professionnels comme des plombiers, des électriciens Bazin offre ses services à la Chambre de conciliation et d’arbitrage, une institution qui aide le secteur privé à résoudre ses différends. L’auteur de l’ouvrage « Le secteur privé haïtien à l'orée du troisième millénaire : enjeux et perspectives » milite beaucoup pour harmoniser les rapports au sein du monde des affaires haïtien.
 
 
Ses chagrins
 
Cet homme qui vit humblement, sans superflu, ressent parfois le poids de la solitude. Certains jours, le vide laissé dans sa vie par Danielle Tardieu, sa moitié, est immense. Brutal a été le sevrage. Elle est morte dans un accident de véhicule sur la route nationale numéro un. Elle se rendait à un séminaire à l’hôtel le Xaragua. « Elle est morte sur le coup ». Pause. Une profonde respiration. Henri Bazin n’est pas du genre à étaler ses émotions. Au téléphone avec l’une des ses sœurs, il sourit pourtant. D’un autre souffle, ce père d’une jeune femme de 27 ans née d’une autre relation évoque le parcours admirable dans l’enseignement de sœur Colette Bazin. « 54 ans dans l’enseignement. C’est extraordinaire », explique Henri qui a une anecdote empreinte d’affection pour chacun de ses frères et sœurs.
 
Il y a dans sa tête la chaleur, les moments de bonheur quand ils vivaient à la rue Lamarre, non loin de Lakou Mouzin, fréquenté à l’époque par un certain Gérard Gourgue, un Pierrot Riché. « Des aînés », explique Henri Bazin qui balance sur son fauteuil ses souvenirs d’homme de province, resté vertical jusqu’au bout.