La troisième question du Juge à l’adresse du Jury dans l’Affaire Guy Turcotte
Par Guy Lamothe
En raison des flots d’encre et de salive que l’affaire Guy Turcotte a fait couler, nous avons délibérément attendu que la poussière soit retombée et que les passions se soient tues, pour essayer de commenter la troisième question du Juge au Jury, à savoir : « L’accusé est-il non criminellement responsable pour cause de maladie mentale ?»
Cette question, à elle seule, constitue-t-elle un motif pour interjeter Appel ? Disons, pour le cas qui nous occupe, une demande valable ? Car on peut aller en Appel pour faire du dilatoire : on va en Appel pour aller en Appel, en sachant pertinemment que l’on n’aura pas gain de cause, mais pour gagner du temps (l’appel étant suspensif).
Avant d’entrer dans le vif du sujet, rappelons que Guy Turcotte est un cardiologue qui, en proie à des problèmes dans sa vie de couple, a tué, à l’arme blanche, ses deux enfants en bas âge.
La dernière partie des plaidoiries dans cette affaire a porté sur les dépositions de trois psychiatres qui se sont prononcés sur l’état mental de l’accusé : la procureure de la Couronne a fait entendre un expert en la matière, et les deux procureurs de l’accusé en ont fait entendre deux. Puis les plaidoiries des Procureurs ont suivi : celle de la Procureure de la Couronne a duré une demi-heure, et celle des deux autres, trois audiences.
Ces plaidoiries terminées, le Juge, avant d’inviter les Jurés à se diriger vers leur salle de délibération, ne leur a pas fait, comme autrefois, le résumé de ce qui s’est passé aux différentes audiences ; car ce procédé pouvait être suggestif et influencer la décision du Jury.
Dans le cas qui nous occupe, le Juge leur a soumis trois questions objectives tirées des audiences pour les guider dans leur délibération. Les-voici :
- L’accusé Guy Turcotte est-il coupable d’homicide volontaire ?
- Est-il coupable d’homicide involontaire ?
- Est-il non criminellement responsable pour cause de maladie mentale ?
D’après l’opinion publique, avant même la décision du Jury, Guy Turcotte était coupable d’homicide volontaire, puisqu’il avait admis avoir tué ses trois enfants. L’aveu, obtenu sans contraintes, ni tortures physiques ou morales, est la preuve par excellence de la culpabilité de celui qui le fait. À la rigueur, elle déclarait Guy Turcotte coupable d’homicide.
Quant à la troisième question, elle n’effleurait même pas l’esprit des gens ; elle était prise pour un épiphénomène.
Déjà épuisés dans cette affaire par un affrontement féroce, presque quotidien, entre l’amour et la haine, les jurés n’étaient pas au bout de leur peine ; il leur restait une dernière tache énorme à accomplir : rendre leur verdict. Pour y arriver, ils délibéraient pendant des semaines. Compte tenu de la complexité du cas, on s’imagine que les débats devaient être longs et pénibles. De plus, ils devaient se mettre d’accord, à l’unanimité (12 jurés sur 12) sur l’innocence ou la culpabilité de l’accusé. Ils finirent par accorder leur unanimité, en répondant à la troisième question : « Guy Turcotte n’est pas criminellement coupable pour cause de maladie mentale.» Cette décision a provoqué un tollé, un «tsunami» de protestations dans l’opinion publique qui n’était pas prête pour recevoir une telle nouvelle. Les jurés ont été injustement critiqués, blâmés même. C’est pour nous l’occasion de les remercier d’avoir accompli jusqu’au bout la rude mission que la société leur avait confiée et d’avoir tenu bon pour ne pas provoquer leur renvoi par le tribunal pour mésentente.
Cela étant dit, peut-on reprocher le juge d’avoir influencé la décision du Jury ?
Nous répondons tout de suite par la négative. Le Juge s’est tenu strictement à ce qui s’est passé à l’audience : il n’a rien ajouté, ni rien retranché, et ce, selon le vœu de la loi. Il n’a pas non plus inventé de toutes pièces la question sur le «non criminellement responsable de l’accusé» ; celle-ci découle de longs débats contradictoires ci-dessus portant sur l’état mental de l’accusé. Un Appel interjeté uniquement sur ce point serait, selon toute évidence, voué à l’échec. Nous pensons qu’il n’est pas trop tard pour présenter au Juge toute notre admiration et nos sincères remerciements pour avoir conduit les débats avec compétence et brio.
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(c) 2011 Le Coin de Pierre et Guy Lamothe
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