lundi 21 juillet 2014

Haïti / Faculté des Sciences (UEH) / 40e anniversaire de la promotion FDS1974 - Discours de Promotion


Par Brunet Georges, ing.
 Port-au-Prince, 12 juillet 2014
 
En octobre 1970, sur un effectif de 65 postulants ayant brigué  l’admission en année préparatoire de la Faculté des Sciences de l’Université d’État d’Haïti, nous avons été 35 a  réussir le concours. Quatre années plus tard, en septembre 1974, le Décanat de la Faculté, avec l’accompagnement du Recteur de l’Université et du Ministre de l’Éducation  Nationale, a gradué 20 d’entre nous aux titres d’ingénieurs-architectes, d’ingénieurs civils, d’ingénieurs électromécaniciens et de licenciée en sciences naturelles.

Notre  sortie  a été suivie d’une dispersion sur plusieurs continents : l’Afrique, l’Amérique du Nord  l’Europe et bien sur Haïti, quelques uns pour des études plus avancées, d’autres pour des engagements professionnels. Trois ingénieurs de notre promotion ont même assez tôt fait le saut vers l’au-delà.

Aujourd’hui, après quarante ans, la famille que nous avons constituée au sein de la Faculté se  réunit pour commémorer notre entrée dans la vie professionnelle. A cette occasion, nous voulons saluer de façon toute particulière la mémoire de nos trois camarades, partis avant l’heure. Avec respect, avec affection, nous nommons Jean Fritz Bernadel, Philippe Guerrier et Nicolas Janvier. Ils sont partis, mais ils restent présents dans le groupe. Leur sourire nous habite comme au temps de nos vingt ans.

Cette célébration nous offre l’occasion de témoigner notre gratitude d’une part envers nos parents, d’autre part envers l’État et le contribuable haïtiens.

Issus pour la plupart de familles modestes, nous avons bénéficié tout le long de nos parcours scolaires et universitaires du soutien permanent de parents vivant souvent au jour le jour. Ils ont travaillé de leurs mains pour nous offrir un niveau d’éducation qu’eux-mêmes n’avaient pas reçu. Nous  présentons nos compliments aux camarades qui ont le bonheur d’avoir encore un parent vivant et nous saluons la mémoire de ces hommes et de ces femmes qui toute une vie sont restés debout  au pied de la montagne, les yeux rivés vers le sommet pour indiquer a leurs enfants le chemin qui mène aux cimes les plus hautes. Aujourd’hui si nous sommes responsables d’état, hauts fonctionnaires, chefs d’entreprises, professeurs d’université, dirigeants de partis politiques,  le mérite  revient largement à maman et a papa. Pour les camarades qui comme moi viennent de province, cet hommage s’étend aux familles qui nous ont  accueillis a Port-au-Prince ; sans leur appui, il nous eût  été difficile, voire impossible, de nous consacrer aux études.

A 60 ans bien sonnés, nous sommes tous ou presque tous parents et même grands parents. Nous connaissons donc bien le prix des études supérieures. Dire que nous avons passé 4 années, c’est-a-dire 8 semestres, a la Faculté sans rien débourser ; les plus doués d’entre nous recevaient même  une bourse de 100 gourdes par mois! L’État haïtien, a travers ses institutions compétentes et avec l’appui particulier de la coopération française, a tout pris en charge. Nous voulons en cette cérémonie rendre hommage au Rectorat de l’Université d’État, au Décanat et au personnel administratif de la Faculté des Sciences ; nous voulons aussi remercier l’Ambassade de France en Haïti et l’Institut français  pour la contribution des Coopérants français à notre formation en mathématiques, physique, chimie et biologie. Nous saluons la mémoire de nos professeurs disparus, nous rendons hommage à ceux qui profitent encore de la vie. Nous nommons spécialement Messieurs Hebert DAMBREVILLE, Pierre RICHE, Guy ROBART, Jean-Paul BERNIER, Maurice SALOMON, Max TIPHAINE, Roger MALBRANCHE, Jean-Jacques COICOU, Ernst LARAQUE, Lionel VIL, Fritz PIERRE-LOUIS,   René MORAVIA, Ferdinand EDOUARD, Eceler LOUIS, Yves NAZAIRE, Frank LAUTURE, Joseph ADRIEN, Alexandre GOUTIER, Gérard GOURGUE.

Le Décanat de la Faculté  se résumait a notre époque a  quatre personnes : le Doyen Maurice LATORTUE, le vice doyen Fritz PIERRE-LOUIS,  l’assistante administrative Madame Béatrice MERCIER et Monsieur HORATIUS, connu sous le nom de HORA. Nous entretenons, 40 ans après avoir quitté la Faculté, une affection particulière à l’ endroit de notre doyen et de Hora.

Doy, comme nous l’appelions, nous enseignait la trigonométrie sphérique et l’anglais technique. Au premier mois de l’année préparatoire, il nous regardait de haut, ou plutôt, il fermait les yeux pour ne pas nous voir ; il nous trouvait trop laids et nous assimilait à nos numéros d’ordre. Après les premiers tests et bons résultats, l’excès de sévérité a laissé la place à l’affection et a la générosité du grand-père qui ne ménageait pas son portefeuille pour récompenser les bonnes réponses et les meilleures copies. Monsieur Latortue nous a appris à être a la fois nobles, réservés et élégants dans nos propos comme dans nos comportements. Il nous a tenus a l’écart des turbulences politiques de l’époque et a su maintenir la Faculté en dehors de l’emprise du Pouvoir. Il nous a formés et a orienté nos carrières professionnelles. Nous lui en sommes infiniment reconnaissants.

Hora était le permanent de l’école ; il gardait les clés, assurait le ménage, distribuait le matériel ; il faisait nos courses et nous informait de l’agenda du doyen. On l’appelait Ti Doy. D’ailleurs, c’est Hora  en personne qui a remis a plusieurs d’entre nous nos diplômes d’ingénieurs en septembre 1974. A l’époque, l’effectif global de la Faculté ne dépassait pas 150 étudiants ; aussi, Hora connaissait tout le monde. Il appelait ingénieurs les étudiants des années supérieures mais désignait seulement par leurs noms les étudiants de Préparatoire ; il savait bien que ceux-là n’étaient pas encore tout à fait membres de la grande famille. Nous sommes fiers d’avoir Hora avec nous et de l’honorer de son vivant; nous le remercions pour l’appui apporté à notre formation.

Après nos études , plusieurs d’entre nous ont intégré des institutions publiques : la BNDAI, l’EDH, le MTPTC, l’INAREM, le MARNDR, la FDS ou  nous avons acquis de l’expérience et développé des savoir-faire en administration, en aménagement et équipement du territoire etc.. qui font de nous  des experts et des entrepreneurs. Nous avons ainsi beaucoup reçu de l’État et du contribuable. Aujourd’hui que sonnent déjà  les cloches de la retraite, nous avons plus que jamais une obligation de restitution. Nos retrouvailles ne doivent pas se réduire à une commémoration. Nous devrions prendre la résolution de nous rencontrer de façon régulière non pas pour de simples échanges mondains mais surtout pour débattre de nos visions respectives et proposer des voies de solutions aux défis majeurs auxquels notre  pays reste confronté.

Nous ne serons pas jugés à l’aune de nos  réussites personnelles, académiques ou matérielles, mais selon les contributions concrètes  que nous aurons apportées à réduire la pauvreté, par la création d’emplois, la production de richesses, la régénération de l’environnement, la formation et l’épanouissement des jeunes.

 L’État nous a formés pour servir la Nation, ne l’oublions pas !

Merci de votre attention.