Par Brunet Georges, ing.
Port-au-Prince, 12 juillet 2014
En octobre 1970, sur un effectif de 65 postulants ayant
brigué l’admission en année préparatoire
de la Faculté des Sciences de l’Université d’État d’Haïti, nous avons été 35 a réussir le concours. Quatre années plus tard,
en septembre 1974, le Décanat de la Faculté, avec l’accompagnement du Recteur de
l’Université et du Ministre de l’Éducation
Nationale, a gradué 20 d’entre nous aux titres d’ingénieurs-architectes,
d’ingénieurs civils, d’ingénieurs électromécaniciens et de licenciée en
sciences naturelles.
Notre sortie a été suivie d’une dispersion sur plusieurs
continents : l’Afrique, l’Amérique du Nord
l’Europe et bien sur Haïti, quelques uns pour des études plus avancées,
d’autres pour des engagements professionnels. Trois ingénieurs de notre
promotion ont même assez tôt fait le saut vers l’au-delà.
Aujourd’hui, après quarante ans, la famille que nous
avons constituée au sein de la Faculté se
réunit pour commémorer notre entrée dans la vie professionnelle. A cette
occasion, nous voulons saluer de façon toute particulière la mémoire de nos
trois camarades, partis avant l’heure. Avec respect, avec affection, nous
nommons Jean Fritz Bernadel, Philippe Guerrier et Nicolas Janvier. Ils sont
partis, mais ils restent présents dans le groupe. Leur sourire nous habite
comme au temps de nos vingt ans.
Cette célébration nous offre l’occasion de témoigner
notre gratitude d’une part envers nos parents, d’autre part envers l’État et le
contribuable haïtiens.
Issus pour la plupart de familles modestes, nous avons
bénéficié tout le long de nos parcours scolaires et universitaires du soutien
permanent de parents vivant souvent au jour le jour. Ils ont travaillé de leurs
mains pour nous offrir un niveau d’éducation qu’eux-mêmes n’avaient pas reçu.
Nous présentons nos compliments aux
camarades qui ont le bonheur d’avoir encore un parent vivant et nous saluons la
mémoire de ces hommes et de ces femmes qui toute une vie sont restés
debout au pied de la montagne, les yeux rivés
vers le sommet pour indiquer a leurs enfants le chemin qui mène aux cimes les
plus hautes. Aujourd’hui si nous sommes responsables d’état, hauts
fonctionnaires, chefs d’entreprises, professeurs d’université, dirigeants de
partis politiques, le mérite revient largement à maman et a papa. Pour les
camarades qui comme moi viennent de province, cet hommage s’étend aux familles
qui nous ont accueillis a
Port-au-Prince ; sans leur appui, il nous eût été difficile, voire impossible, de nous
consacrer aux études.
A 60 ans bien sonnés, nous sommes tous ou presque tous
parents et même grands parents. Nous connaissons donc bien le prix des études supérieures.
Dire que nous avons passé 4 années, c’est-a-dire 8 semestres, a la Faculté sans
rien débourser ; les plus doués d’entre nous recevaient même une bourse de 100 gourdes par mois! L’État haïtien,
a travers ses institutions compétentes et avec l’appui particulier de la
coopération française, a tout pris en charge. Nous voulons en cette cérémonie
rendre hommage au Rectorat de l’Université d’État, au Décanat et au personnel
administratif de la Faculté des Sciences ; nous voulons aussi remercier
l’Ambassade de France en Haïti et l’Institut français pour la contribution des Coopérants français à
notre formation en mathématiques, physique, chimie et biologie. Nous saluons la
mémoire de nos professeurs disparus, nous rendons hommage à ceux qui profitent
encore de la vie. Nous nommons spécialement Messieurs Hebert DAMBREVILLE,
Pierre RICHE, Guy ROBART, Jean-Paul BERNIER, Maurice SALOMON, Max TIPHAINE, Roger
MALBRANCHE, Jean-Jacques COICOU, Ernst LARAQUE, Lionel VIL, Fritz PIERRE-LOUIS, René MORAVIA, Ferdinand EDOUARD,
Eceler LOUIS, Yves NAZAIRE, Frank LAUTURE, Joseph ADRIEN, Alexandre GOUTIER, Gérard
GOURGUE.
Le Décanat de la Faculté se résumait a notre époque a quatre personnes : le Doyen Maurice
LATORTUE, le vice doyen Fritz PIERRE-LOUIS,
l’assistante administrative Madame Béatrice MERCIER et Monsieur HORATIUS, connu
sous le nom de HORA. Nous entretenons, 40 ans après avoir quitté la Faculté,
une affection particulière à l’ endroit de notre doyen et de Hora.
Doy, comme nous l’appelions, nous enseignait la
trigonométrie sphérique et l’anglais technique. Au premier mois de l’année préparatoire,
il nous regardait de haut, ou plutôt, il fermait les yeux pour ne pas nous
voir ; il nous trouvait trop laids et nous assimilait à nos numéros
d’ordre. Après les premiers tests et bons résultats, l’excès de sévérité a
laissé la place à l’affection et a la générosité du grand-père qui ne ménageait
pas son portefeuille pour récompenser les bonnes réponses et les meilleures
copies. Monsieur Latortue nous a appris à être a la fois nobles, réservés et
élégants dans nos propos comme dans nos comportements. Il nous a tenus a l’écart
des turbulences politiques de l’époque et a su maintenir la Faculté en dehors
de l’emprise du Pouvoir. Il nous a formés et a orienté nos carrières professionnelles.
Nous lui en sommes infiniment reconnaissants.
Hora était le permanent de l’école ; il gardait
les clés, assurait le ménage, distribuait le matériel ; il faisait nos
courses et nous informait de l’agenda du doyen. On l’appelait Ti Doy.
D’ailleurs, c’est Hora en personne qui a
remis a plusieurs d’entre nous nos diplômes d’ingénieurs en septembre 1974. A
l’époque, l’effectif global de la Faculté ne dépassait pas 150 étudiants ;
aussi, Hora connaissait tout le monde. Il appelait ingénieurs les étudiants des
années supérieures mais désignait seulement par leurs noms les étudiants de Préparatoire ;
il savait bien que ceux-là n’étaient pas encore tout à fait membres de la
grande famille. Nous sommes fiers d’avoir Hora avec nous et de l’honorer de son
vivant; nous le remercions pour l’appui apporté à notre formation.
Après nos études , plusieurs d’entre nous ont intégré
des institutions publiques : la BNDAI, l’EDH, le MTPTC, l’INAREM, le
MARNDR, la FDS ou nous avons acquis de
l’expérience et développé des savoir-faire en administration, en aménagement et
équipement du territoire etc.. qui font de nous
des experts et des entrepreneurs. Nous avons ainsi beaucoup reçu de
l’État et du contribuable. Aujourd’hui que sonnent déjà les cloches de la retraite, nous avons plus
que jamais une obligation de restitution. Nos retrouvailles ne doivent pas se réduire
à une commémoration. Nous devrions prendre la résolution de nous rencontrer de façon
régulière non pas pour de simples échanges mondains mais surtout pour débattre
de nos visions respectives et proposer des voies de solutions aux défis majeurs
auxquels notre pays reste confronté.
Nous ne serons pas jugés à l’aune de nos réussites personnelles, académiques ou
matérielles, mais selon les contributions concrètes que nous aurons apportées à réduire la
pauvreté, par la création d’emplois, la production de richesses, la
régénération de l’environnement, la formation et l’épanouissement des jeunes.
L’État nous a formés
pour servir la Nation, ne l’oublions pas !
Merci de votre attention.
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