mercredi 26 septembre 2007

Il y a cinquante ans, l’avènement de Duvalier au pouvoir / La bataille électorale 1956-1957 (3ème partie)

Pour les deux premières parties, une copie est postée sur ce blog les 21 et 25 septembre
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Source: Le Matin du mercredi 26 septembre 2007
Par Claude Moise
claudemoise@lematinhaiti.com

Voir Le Matin des 21-23, 25 septembre

Renversement d’alliance : Déjoie /Fignolé contre la mainmise duvaliériste sur Sylvain (3)

Dès son entrée en fonction, Sylvain prend des mesures énergiques : mise sous séquestre des biens meubles et immeubles de l’ex-président Magloire et de tous ceux qui, à quelque titre que ce soit, ont participé, sous son administration à la gestion de la chose publique ; renforcement des pouvoirs de la commission d’enquête administrative ; mise en mouvement de l’action publique partout où des crimes et délits ont été commis ; mise en disponibilité des membres et du personnel du Conseil de gouvernement créé par la Constitution de 1950 ; promulgation d’un nouveau décret électoral afin de simplifier les procédures électorales, de les adapter aux nouvelles conditions, notamment en ce qui concerne l’exercice du droit de vote des femmes, convocation des Assemblées primaires en vue des élections présidentielle et sénatoriales le 28 avril 1957. Les intentions du nouveau gouvernement paraissent rassurantes eu égard aux revendi-c ations anti-magloiristes. Sylvain se propose même de faire appel aux bons offices de l’ONU pour qu’elle envoie un contingent d’observateurs pour témoigner sur le déroulement des élections.
La campagne électorale redémarre en trombe après le 8 février. Mais ce mois aura été particulièrement fertile en incidents sanglants à Portau-Prince, à Petit-Goâve, aux Cayes, aux Gonaïves. Bilan : deux morts, des dizaines de blessés, des propriétés saccagées. Les violences verbales, les accusations, les insultes personnelles à la radio n’ont pas de limite. Les passions sont exacerbées. La police, alarmée, interdit les émissions radiophoniques à caractère politique.

Au fur et à mesure que l’on approche de la date des élections, les manifestations de rivalité entre Déjoie et Duvalier se font plus vives et plus fréquentes. Les inscriptions sur les listes électorales commencent le 22 mars. Comme d’habitude, elles donnent lieu à toutes sortes de récriminations. Les fraudes, les plaintes, les incidents révélés d’une circonscription à l’autre remplissent les médias de la capitale et continuent de faire monter la tension. Des ministres et des fonctionnaires sont mis en cause, accusés à tort ou à raison, de faire le jeu de Duvalier. Déjoie menace de déclencher des grèves de protestation contre les menées partisanes du gouvernement dénoncées avec fracas. Spécialement visés, le ministre de l’Intérieur, Thésalus Pierre-Étienne et celui de la Justice, Colbert Bonhomme, se défendent comme ils peuvent. Mais Déjoie et Fignolé ne leur laissent aucun répit. La méfiance s’installe, une nouvelle crise gouvernementale s’annonce.
Le 27 mars, à l’initiative de Fignolé, les représentants de tous les secteurs politiques, sauf celui de Duvalier, se réunissent pour conférer sur les mesures à prendre en vue de faire échec à l’emprise de Duvalier sur le gouvernement. Ils décident d’exiger du président Sylvain le renvoi de ses ministres et de former un nouveau cabinet « représentatif de tous les secteurs politiques et donnant des garanties d’impartialité et de sécurité dans les prochaines compétitions électorales. » Mais à l’invitation du président de participer à la formation du nouveau cabinet, la conférence politique présidée par Daniel Fignolé se dérobe. Entre temps. Sylvain — pour faire diversion ou pour profiter de l’ambiance de la crise ? — porte un grand coup : le 29 mars, il décrète la dissolution des Chambres, suspend les opérations d’inscription et remet à une date ultérieure la convocation des assemblées primaires. La dissolution des Chambres, même inconstitutionnelle, doit satisfaire l’en-s emble du mouvement anti-magloiriste dont c’était une vieille revendication. Rien n’y fait cependant, le gouvernement continue à perdre pied. Déjà le 27 mars, Déjoie avait mis en alerte tous ses bureaux politiques et avisé que le principe d’une grève générale avait été arrêté et que le mot d’ordre serait lancé en temps opportun. Le 29 mars. Fignolé parlant au nom de la Conférence politique, insiste sur le renvoi immédiat et sans condition du cabinet. L’Alliance démocratique, de son côté, affirme que la formation d’un nouveau cabinet ne suffira pas à dénouer la crise. Elle propose la simplification des opérations électorales par la suppression pure et simple des inscriptions, l’utilisation d’une encre indélébile au moment du vote, une représentation assurée à chaque candidat dans les bureaux de vote. C’est aussi la position de Duvalier vigoureusement affirmée, déjà le 28 décembre 1956, dans son discours des Gonaïves.
Isolé, vilipendé par l’opposition, menacé par les grèves déjoïstes et le rouleau compresseur fignoliste, Sylvain ne peut compter que sur le seul secteur duvaliériste dont il doit se démarquer pourtant pour ne pas accréditer l’accusation de partisannerie que lui collent ses adversaires. Toutes les tentatives de conciliation par plusieurs canaux, notamment par l’Alliance démocratique, échouent. Finalement, la grève est déclenchée le 1er avril. Pour l’opposition, maintenant, il ne suffit plus de renvoyer le ministère, Sylvain aussi doit partir. Coïncidence ? On ne sait, ce même 1er avril, la police met au jour un complot fomenté, dit-on, par des activistes duvaliéristes contre les bureaux politiques de Déjoie, de Fignolé et de Jumelle. Un dépôt de bombes est découvert en banlieue sud de Port-au-Prince. Le désamorçage raté des engins provoque la mort de deux officiers de l’armée : Michel Conte et Freynel Andral Colon. Des arrestations sont effectuées, dont celle du propre sous-ministre de Sylvain, Windsor K. Laferrière. D’autres individus, tous duvaliéristes, sont compromis : Clément Barbot. Fritz Cinéas, Daniel Francis et Thémistocles Fuentes, un activiste cubain. Durant la nuit du 1er au 2 avril, Port-au-Prince retentit de bruits d’armes sans qu’on sache ce qui s’y passe. Le lendemain 2 avril, on apprend par un communiqué du chef d’état-major de l’armée que le président Sylvain démissionnaire est placé en résidence surveillée.
À cette étape, le rôle de l’armée dans la suite des événements devient prépondérant. Jusque-là, il importait de conquérir des positions dans les administrations pour espérer gagner les circonscriptions. L’intérêt va se déplacer de la sphère proprement politique à la sphère militaire. Le jeu de bascule, d’alliances et de ruptures ne met pas en position de pouvoir. Tout en étant elle-même traversée par les antagonismes sociaux et politiques qui déchirent le pays, l’armée est destinée à arbitrer les compétitions, en dernier recours. Sous la direction de Cantave, soupçonné de mener un jeu embrouillé, elle reste tiraillée entre officiers duvaliéristes, déjoïstes, jumellistes et soldats fignolistes. La route de la présidence semble désormais passer par la conquête du pouvoir en son sein.
(A suivre)
mercredi 26 septembre 2007
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