vendredi 21 novembre 2008

Port-au-Prince / Environnement / Construction anarchiques / D'autres catastrophes sont encore possibles

Haïti, constructions anarchiques (Photo: Le Matin, 21 novembre 2008)

Source: Le Matin du vendredi 21 novembre 2008

De la tragédie de Nérette, vendredu dernier, au drame du Canapé-Vert, ce mercredi, il s'évidente que d'autres catastrophes restent encore possibles, comme le soulignait, dans notre édition du 12 novembre en cours, notre éditorialiste en chef, Claude Moise (*). Nos reporters photographes ont fait le tour de la région métropolitaine. Les images, captées par leurs cameras, sont saisissantes et dénoncent une réalité qui existe certes assez longtemps, mais à laquelle on ne prend pas assez garde. Elles accusent aussi, ces images, l'indifférence quasi collective qui a laissé se développer, contre tout bon sens, l'initiative des constructions anarchiques, sans considération aucune pour les normes élémentaires de sécurité.

Il est certain, du moins presque certain - pour ne pas parler ex cathedra - que Nérette et Canapé-Vert ne font qu'ouvrir une série. "Prophétie de Cassandre", répliqueront des incrédules. A ceux, les photos publiées en page 4 répondent non...plaident contre.
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(*) Éditorial de M. Claude Moïse, Le Matin, 12 novembre 2008

D’autres catastrophes sont possibles

La tragédie de Nérette, un autre choc après les ravages causés par l’enfilade des cataclysmes naturels des mois d’août et de septembre derniers. Une forte charge émotionnelle à l’échelle nationale. Les réactions nombreuses venues de tous les milieux mêlent la consternation aux messages de sympathie, les analyses aux accusations. Jusqu’au ministère de l’Éducation de la République voisine qui a décrété le 11 novembre 2008 « jour de deuil dans toutes les écoles et lycées publics ainsi que dans les collèges privés en signe de solidarité avec Haïti en raison de l’effondrement d’une école qui a fait tant de victimes parmi les élèves et les professeurs. Les drapeaux flotteront à demi-mât dans tous les centres éducatifs du pays. Les maîtres et les élèves porteront un ruban noir en signe de deuil.» Ce geste devrait être accueilli ici avec reconnaissance en dépit des sentiments d’amertume ou même de révolte chez des compatriotes en réaction aux péripéties dramatiques que connaissent périodiquement des migrants haïtiens de l’autre côté de la frontière. La mairie de Pétion-Ville a appelé de son côté les habitants de la commune à observer deux jours de deuil en attendant que le gouvernement, par un acte solennel, invite le pays tout entier à méditer les leçons de cette catastrophe. Comme le réclame à juste titre la secrétaire générale du RDNP. (Voir Le Matin, 10-11 novembre 2008)

Il y a beaucoup à dire en la circonstance et les commentateurs et analystes ne s’en sont pas privés. Il y aura encore tant à dire, il faudra continuer à identifier, relever, analyser les tares de notre société, les défaillances de l’État avant même que les malheurs s’abattent sur nous. Ils seront de tous ordres : sociaux, sécuritaires, économiques, institutionnels, politiques. Nous ne sommes pas au bout de nos peines quand on considère l’état de délabrement du pays, la situation extrême de survie dans laquelle se débat le petit peuple des villes et des campagnes. Le pire serait de dire il n’y a qu’à faire ceci. Ce qui est arrivé à Nérette aurait pu se produire ici ou là il y a longtemps. Et peut encore se reproduire tant nous sommes vulnérables socialement, politiquement, économiquement et même géologiquement. On n’ose pas imaginer les dégâts que peut causer un tremblement de terre dans les confins montagneux de Port-au-Prince et de Pétion-Ville anarchiquement occupés. Des spécialistes ont déjà insisté sur le risque sismique élevé de la région, et l’ingénieur géologue Claude Prepetit nous a lancé un véritable cri d’alarme en insistant sur notre responsabilité face à cette menace que l’on aurait tendance à minimiser (Le Matin 24-25 septembre, 9 et 10 octobre 2008). Il ne s’agit pas d’adopter non plus une posture catastrophiste si chère à plusieurs d’entre nous. Mais de prendre l’exacte mesure des choses pour bien agir. Il n’est pas facile de trouver les bonnes réponses quand, à bon escient, on aura fini de dénoncer les irresponsabilités et d’appeler les dirigeants de ce pays à se ressaisir. Mirlande Manigat a fait des observations et des propositions de réparation judicieuses. Mais passé le moment de désolation, il nous faudra aller encore plus loin, au-delà de l’événement. Dans ce qu’il a de plus révélateur en ce qui se rapporte à notre quotidien.

Il y a des situations qui passent inaperçues avec lesquelles on vit au jour le jour sans se préoccuper de ce qui peut arriver. Souvent, elles ne concernent pas que les besogneux et les pauvres gens dont les demeures s’agrippent au flanc des montagnes. Une inspection, pas seulement des constructions scolaires, mais tout simplement de certains édifices publics et privés destinés à recevoir beaucoup de gens nous réserverait bien des surprises. Sans aller bien loin, entrons dans l’immeuble qui abrite certains ministères au flanc du Palais national et qui n’était construit que pour recevoir un nombre limité de services au temps où le gouvernement n’était composé que de cinq secrétaires d’État. Il a subi aujourd’hui de telles transformations intérieures qu’on n’hésiterait pas à parler de bidonvilisation. Chaque fois que j’ai l’occasion de m’y trouver, j’essaie d’imaginer le drame que provoquerait un incendie dans un de ces « kounouk » qui servent de bureaux.

On voit bien par là à quel point les lois ne sont pas respectées par ceux-là qui les produisent ou qui sont chargés de les faire exécuter. Il n’y a pas longtemps un sénateur a été épinglé qui a fait édifier, dans l’ignorance ou au mépris des lois, une construction en encorbellement sur la route nationale non loin de Port-Salut. Je ne serais pas étonné d’apprendre que cet ouvrage n’a pas encore été détruit comme la loi en fait obligation au ministère des Travaux publics. Des exemples abondent. Il est nécessaire de les mettre au jour pour faire prendre conscience. Ils ne concernent pas seulement les responsables de l’État, mais aussi les citoyens. Des lois existent donc, mais elles ne sont pas appliquées. Les textes réglementant les constructions et l’occupation de l’espace physique sur le territoire national, allant de 1921 à 1996, ont été réunis dans un recueil et mis à la disposition des municipalités en 2003. Nous reproduisons ci-contre la note de présentation de ce recueil par le Premier ministre Yvon Neptune en 2003 où ce dernier admet que «La faillite … à la base du constat actuel de dégradation des espaces urbains montre clairement la non-mise en application des dispositions réglementaires fixées par lesdites lois.» Il remarque que si «Les causes d’un tel manquement méritent ... d’être analysées afin de donner lieu à brève échéance à une politique efficace adaptée, (il reconnaît que) dans l’immédiat, l’arrêt de l’implantation de toutes les interventions et constructions anarchiques à l’échelle du pays, prioritairement dans les espaces urbains, s’impose.»

Les lois existent dans ce domaine, d’autres également touchant à l’usage de l’espace public, mais elles sont inopérantes. Duvalier en a promulgué plusieurs, a dirigé le pays de main de fer pendant une longue période et nous avons eu Delmas. Les militaires ont également légiféré à leur passage au pouvoir, et la bidonvilisation des grandes villes a connu un développement accéléré depuis 1986. Il nous faut réfléchir. Regarder derrière, à côté et devant. D’autres catastrophes sont possibles.

Note de présentation du recueil des textes de loi réglementant les constructions et l’occupation de l’espace physique sur l’ensemble du territoire national

Les textes de lois rassemblés et publiés dans ce livret sous l’égide du Ministère des Travaux Publics, Transports et Communications ont l’ambition de constituer à terme, en matière d’aménagements urbains, une référence administrative et légale pour l’ensemble des municipalités du pays. Ces municipalités sont en effet appelées à se prononcer régulièrement sur des éléments de programmes ou de projets constitutifs et déterminants de l’aménagement global de nos villes et campagnes comme de celui de l’ensemble du territoire national. Or, un constat s’impose : lesdits aménagements s’opèrent, aujourd’hui, indépendamment d’un visa de contrôle systématique de ces municipalités. Nombre de ces dernières ignorent bien souvent les prérogatives qui leur sont légalement fixées.

Dans ces conditions, la compilation de ces textes de lois vise d’abord à permettre aux services techniques des différentes municipalités du pays d’opérer la nécessaire reprise en main de la direction de l’aménagement des espaces urbains dont la responsabilité est constitutionnellement confiée par les populations à leurs élus municipaux. Cette reprise en main s’impose face à la dérive institutionnelle devenue opérationnelle et surtout, pour essayer d’apporter une réponse concrète à la nécessité qu’ont les pouvoirs publics d’arrêter les méfaits de ce mode opératoire anarchique, lourd de conséquences fâcheuses d’ordre écologique, économique ou humain pour l’ensemble du pays.

Dans ce livret, les rôles et missions respectifs des differents organismes concernés par les contraintes d’aménagement sont présentés à travers les textes de lois répertoriés ; sont également mis en évidence les liens organiques qui doivent prévaloir à l’action coordonnée de ces organismes.
Quoiqu’il en soit, et sur requête des municipalités, le Ministère des TPTC, en tant qu’organe consultatif, devra se prononcer sur l’aménagement des nouveaux lotissements, sur les caractéristiques géométriques des routes à construire, sur la conformité des structures projetées, etc. et ce livret veut servir de guide à une prise de décision conséquente.

Le ministère des TPTC estime que, par l’utilisation de ce document, un premier objectif fondamental sera atteint lorsque l’acquisition d’un permis de construire deviendra un réflexe inscrit à la fois dans la routine de fonctionnement du projeteur, de l’entrepreneur comme dans celle de l’inspecteur municipal. Aussi, les mairies, les administrations concernées de même que l’ensemble des techniciens concernés sont vivement invités à conduire le public, par la mise en place des dispositions administratives et techniques appropriées, à se familiariser très vite avec les dispositions légales fixées. Cependant, ce premier objectif ne sera complètement atteint que lorsque le respect de la procédure imposée passera simplement par le respect des exigences contenues dans le formulaire administratif fixé et l’acquittement de la taxe légale requise.

Ce travail, somme toute, de «déblayage », n’a pas la prétention d’être exhaustif eu égard aux textes légaux disponibles comme par rapport aux différents champs de compétence qu’interpelle une réponse adéquate et complète à la problématique de réglementation des lotissements et constructions. L’arsenal légal doit donc être complété et actualisé. Fortement préoccupé par la dégradation accélérée du cadre de vie dans les agglomérations urbaines du pays, je salue avec intérêt ce recueil de textes de lois. Ces lois ont été régulièrement mises à la disposition des mairies et des ministères publics en vue d’assurer notamment une prise en charge conséquente des problèmes liés à l’aménagement urbain.

La faillite qui est pourtant à la base du constat actuel de dégradation des espaces urbains montre clairement la non-mise en application des dispositions réglementaires fixées par lesdites lois. Les causes d’un tel manquement méritent dès lors d’être analysées afin de donner lieu à brève échéance à une politique efficace adaptée. Cependant, dans l’immédiat, l’arrêt de l’implantation de toutes les interventions et constructions anarchiques à l’échelle du pays, prioritairement dans les espaces urbains, s’impose.

Puisse ce recueil mis au point par le Ministère des Travaux Publics, Transports et Communications pour répondre à mes multiples sollicitations pour des actions correctives concrètes et concertées des pouvoirs publics y contribuer fortement et permettre aux populations concernées de vivre si non dans un environnement sain, du moins dans des espaces urbains organisée et intégrés dans un environnement de plus en plus adéquatement protégé.

Yvon Neptune
Premier ministre
Octobre 2003

Par Claude Moïse
mercredi 12 novembre 2008

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