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Photo: Le matin, 29 mai 2009
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Par Sabine Manigat
Par Sabine Manigat
Le Matin, 29 mai 2009
En principe, dans ce dossier de la faculté de Médecine, nous sommes face à un cas de revendication étudiante classique : un cursus altéré, des cours supprimés qui donnent lieu à des réclamations. Une seule issue : la négociation. Car aucun changement dans la formation universitaire ne se fait au hasard et sans fondement. Toute la question est dans l’évaluation de sa pertinence par rapport à une série de paramètres dont les équivalences internationales, par exemple, ne sont pas des moindres. C’est donc dire aussi que les responsabilités ne sont pas les mêmes entre un groupe d’étudiants attaché au « comme avant » et inquiet, à juste titre sans doute, de la valeur de son diplôme et une direction responsable de la gestion d’un ensemble de paramètres administratifs, académiques et de politique universitaire dont dépendent la qualité et la crédibilité de la formation offerte. Mais les choses ne se passent pas ainsi, ou plutôt elles ne se passent plus ainsi depuis qu’une dérive de plus en plus marquée tend à confiner l’image des luttes étudiantes à des protestations violentes, intolérantes et parfois même « fondamentalistes » dans leurs modalités comme dans leur contenu. Or le potentiel revendicatif des étudiants n’a pas à être galvaudé de la sorte parce qu’un petit groupe d’agitateurs a décidé de confisquer la faculté et de bloquer les rues plutôt que de s’assoir à une table de négociation. Il n’en a pas toujours été ainsi.
Grèves, manifs, sit-in, occupations… Autant de mots qui évoquent souvent l’action revendicative de la jeunesse universitaire. La culture et la tradition sont éminemment européennes et latines. Les causes, traditionnellement généreuses, volontiers citoyennes ou politiques, mais généralement liées à la cause universitaire. En ce sens, la tradition de lutte estudiantine en Haïti ne fait pas exception. Sans remonter à ses prolégomènes, on mentionnera les luttes de l’Union nationale des étudiants haïtiens – (Uneh) dans les années 1960, celles de la Fédération nationale des étudiants haïtiens (Feneh ) dans les années 1980 et celles de la Fédération des étudiants universitaires haïtiens (Feuh) à la fin des années 1990. Dix ans après, que dire des récents troubles qui perturbent régulièrement l’Université d’État d’Haïti? De quand date cette dérive et que faire pour l’arrêter? Le mouvement des étudiants en médecine est symptomatique d’une déchéance de l’Université d’État qu’il est difficile de nier. Certes, rien n’est jamais noir ou blanc, mais dans le « comment » comme dans le « pourquoi » on trouve matière à inquiétude et nécessité d’une reprise en main.
Le comment : fermeture de locaux, agression de professeurs, blocage de rues, n’est hélas pas nouveau. Il y a à peine quelques mois les étudiants de l’École normale supérieure avaient déjà remis ça (ils n’en étaient pas à leur première initiative de ce genre) lors de l’occupation du rectorat pour une affaire similaire de cursus et de changement de cours. Plus tard, c’est-à-dire tout récemment, un professeur était l’objet d’un déni de considération professionnelle et d’une atteinte flagrante à l’autorité de chaire dans ce même établissement. Il ne faut y voir aucune coïncidence. Comme avant, les autorités de l’UEH – de l’État donc – avaient cédé aux « revendications » et tout était rentré dans l’ordre, c’est-à-dire, dans la médiocrité du statu quo. Cette fois-ci, l’agitation se situe au cœur de la ville et perturbe la vie économique et sociale de la cité depuis plusieurs jours. En une occasion antérieure, c’est le mouvement des internes (une affaire de titre et de rémunération) qui avait paralysé l’hôpital universitaire, qui est aussi le premier centre hospitalier public du pays. Les conséquences en termes d’insalubrité de l’hôpital comme de déficit de services aux plus démunis sont encore dans les mémoires. Bref, la nature a horreur du vide et plus l’autorité bien comprise fait défaut, plus les pratiques antidémocratiques et intimidatrices gagnent du terrain.
Le pourquoi. C’est là l’essentiel. D’où ma question : que veut l’Université? Je dis bien l’université et pas seulement les étudiants. Un statu quo végétatif qui, à court terme , arrange tout le monde (impopularité auprès « des » étudiants personne n’aime) mais, à la longue , pave la route à la destruction de l’UEH? Ou une reprise en main courageuse qui doit commencer nécessairement par poser le problème d’une réforme indispensable? Que peut-on espérer d’un centre de formation dans lequel ce sont les apprenants qui imposent leurs vues, leurs préjugés, leurs méthodes à des responsables dont le seul objectif semble être – en tout cas pour l’observateur – de durer?
La situation à la faculté de Médecine n’est pas seulement intolérable, elle est surtout profondément triste, car elle évoque les plus grandes plaies de notre société : absence de culture du dialogue, refus du compromis, arrogance de l’ignorance et surtout irresponsabilité des autorités. Quel exemple de ces jeunes pour notre jeunesse, leurs pairs?
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Mise à jour du 6 juin 2009
Cliquez pour lire la réaction du Dr Rodolphe Mallebranche et une note de Madame Sabinne Manigat:
//Brève réaction à l’éditorial de Sabine Manigat sur la crise à la faculté de Médecine et de Pharmacie
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