jeudi 18 février 2010

Haïti-séisme/ Lettre de Mgr Ligondé au peuple d'Haïti

François-Marie Wolff Ligondé –
Archevêque émérite de Port-au-Prince

Message de Sympathie
Au peuple de mon pays, Haïti, à l’occasion du tremblement de terre
Du 12 janvier 2010, à 4h53 du soir.

Boston, le 21 Janvier 2010

Frères et Sœurs bien-aimés,

Notre pays est en deuil. Notre église est en deuil.
Un tremblement de terre d’une magnitude de 7.0 a ravagé la ville de Port-au-Prince et les villes environnantes.

Des édifices publics tels que le Palais National, le Palais législatif, le Palais de Justice, le Palais des Ministères, l’administration des Postes, etc. – sont détruits.
Des édifices religieux, la Cathédrale métropolitaine, la Cathédrale de la Sainte Trinité, l’Eglise du Sacré-Cœur, l’Eglise de Sainte Anne, l’Eglise de Bodin, l’Eglise de Petit-Goave sont par terre ainsi que l’Eglise St. Louis roi de France.

Des Institutions scolaires et universitaires : Petit Séminaire Collège St Martial, Grand Séminaire de Turgeau et de Cazeau, l’école Jean Marie Guilloux, le collège Gérard Gourgues, l’Institution du Sacré-Cœur, le Pensionnat Ste Rose de Lima sont par terre.

Des hôtels sont détruits tels l’Hôtel Montana, l’Hôtel Christopher.

Et de lourdes pertes en vies humaines. Mgr Joseph Serge Miot, Archevêque Métropolitain de Port-au-Prince est mort ainsi que Monseigneur Charles Benoit, Vicaire général et le Père Arnoux Chery, curé de la paroisse Ste Anne, Chancelier de l’archidiocèse.

Sont également morts: le frère Joseph Bergot et le frère Dominique Baron, de la Congrégation des Frères de l’Instruction Chrétienne.

Des religieuses sont mortes telle que la Supérieure générale des Filles de Marie de Louvain, les filles de Marie Reine Immaculée qui habitent au haut du Canapé Vert ont perdu une religieuse, Sœur Thonie et leurs trois maisons sont détruites, la Maison générale, le Noviciat et la Maison du Centre de promotion féminine.

Je logeais à cette Maison du Centre, et j’assurais la célébration de l’Eucharistie pour cette communauté religieuse; le tremblement de terre a emporté la chambre que j’occupais avec tous les meubles, les habits, ornements, livres - et mes objets personnels – j’ai tout perdu. Je deviens moi-même un sinistré parmi d’autres.
Le Seigneur m’a sauvé la vie, qu’Il soit loué et remercié.

Des morts, des morts, des morts à Port-au-Prince, à Carrefour, à Léogane, à Jacmel et ailleurs dans les provinces…

On n’a jamais vu pareille catastrophe depuis le tremblement de terre qui a détruit la ville du Cap-Haitien et fait dix mille morts en 1842.

Frères et Sœurs bien-aimés, nous ne devons ni perdre la foi en Dieu, la confiance en sa bonté et en sa miséricorde, ni nous laisser aller au découragement. Vivons dans l’espérance parce que « Toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu… » dit St. Paul dans la lettre aux Romains, chapitre 8, verset 28. Et Saint Augustin a ajouté « même les péchés : etiam peccata » le plan de Dieu, pour nous chrétiens baptisés se poursuit dans notre vie malgré cette calamité.

C’est un message d’espérance que nous voulons vous adresser un message d’encouragement, de sérénité dans le malheur. Car « l’espérance ne déçoit pas » dit St Paul, lettre aux Romains, Chapitre 5, verset 5.

Nous ne comprenons pas pourquoi cette catastrophe s’abat sur notre pays, mais nous acceptons cette réalité sans révolte contre la volonté de Dieu. Avec le Saint homme Job, nous disons : « Dieu a tout donné, il a permis que tout soit perdu que son Saint Nom soit béni».

Nous présentons nos sympathies et nos condoléances à tout le peuple de Dieu de toutes les églises et dénomination religieuses.

D’abord aux Responsables de l’Etat, à Monsieur le Président de la République, Monsieur René Préval, à Monsieur le Premier Ministre, aux membres de son Cabinet Ministériel, aux Directeurs généraux, aux membres de la Minustah, aux policiers, aux médecins, infirmières et a tous les fonctionnaires de l’Etat.

Nous avons perdu l’Archevêque de Port-au-Prince, Monseigneur Joseph Serge Miot. C’est une grande perte pour l’Eglise d’Haïti. Nous présentons nos condoléances à sa famille et à ses proches. Nos sympathies aux familles de Mgr. Charles Benoit, vicaire général et du Père Arnoux Chery, curé de la paroisse de sainte Année et chancelier de l’archevêché. Mes condoléances également aux confrères des religieux, aux consœurs des religieuses, à leurs familles et aux parents des séminaristes, des novices, des communautés religieuses qui ont été emportés dans la catastrophe. Mes sympathies à toutes les familles du peuple de Dieu, en Haïti, et dans la Diaspora, qui souffrent devant tant de disparus et de blessés.

Nous remercions, tous les organismes internationaux qui sont venues au secours de notre pays toutes les nations qui nous apportent leur aide et leur soutien. Nous remercions également les organisations publiques et privées du pays qui leur support spirituel, moral et matériel au peuple haïtien dans la détresse.

A Boston, le dimanche 17 janvier, à l’issue de la messe que j’ai célébrée à l’église du Sacré Cœur de Brockton, il y eut une réunion (meeting) présidée par le Congressman Stephen F. Lynch, avec l’assistance de Père David O’Donnel curé de la paroisse, de la mairesse de Brockton, de Linda Balzotti, du représentant de l’Etat Micheal Brady, du sénateur Thomas Kennedy, du Capitaine des gardes cotes américains Joseph Mc Guiness. Cette réunion a permis d’envisager la façon d’apporter de l’aide à Haïti a l’occasion du tremblement de terre.

Nous remercions le Congressman Stephen F. Lynch et tous les membres de ce Comité pour leur assistance à notre pays en détresse.

Frères et Sœurs bien-aimés,

Le tremblement de terre du 12 janvier 2010 4h53 du soir qui a fait tant de dégâts en Haïti, n’est pas un châtiment ni une punition de Dieu. Dieu est bon et Miséricordieux, lent à la colère et plein d’amour. Ceux qui sont morts sont entres dans le Royaume chacun par sa propre porte.

Nous autres, les vivants, nous ne devons pas nous nous considérer comme meilleurs qu’eux parce que nous ne sommes pas morts. Notre heure n’est pas encore venue. Remercions le Seigneur de nous garder la vie.

Utilisons cette vie pour faire du bien et non du mal.

C’est le temps de nous unir, d’oublier nos rancunes pour travailler ensemble à soulager nos frères humaines dans leur misère, d’ensevelir nos morts, de prendre soin des blessés, des affamés, de ceux qui manquent de tout.

Respectons nos frères, leur liberté, leurs croyances. Le tremblement de terre n’est pas un châtiment. C’est un phénomène naturel. Il n’y a pas longtemps ce phénomène qui relève de la géologie a été évoqué, dans un article du quotidien haïtien «Le Nouvelliste». L’existence de la faille «Plantain Garden Enriquillo » n’est pas d’hier. Deux blocs géologiques qui bougent en sens contraire dégagent leur énergie et engendrent un tremblement de terre. C’est donc que depuis l’an dernier, la possibilité d’un tremblement de terre a défrayé la chronique.

Une religieuse qui était informée de cette éventualité avait dit qu’il restait une seule chose à faire, «il nous faut prier».

Il y a cinq ans, en 2005, la Vierge Marie avait fait une révélation privée à un groupe de catholiques pour annoncer qu’il y aura des séismes en Haïti et qu’il y aura des morts et beaucoup de sang.

Certes, nous avons prié et nous prions encore. Mais avons-nous pris les mesures de protection pour limiter les dégâts.

Notre mentalité d’insouciance, «de Bon Dieubon » ne nous a pas incités à prendre des mesures d’urgence avant qu’il ne soit pas trop tard.

En 1749, les colons ont bâti la ville de Port-au-Prince pour une population qui devait atteindre cent mille (100,000) habitants.

Aujourd’hui en 2010, Port-au-Prince compte près de trois millions (3,000,000) d’habitants. Et puis avec des constructions anarchiques et qui sont un défi à l’urbanisme.

Des consignes ont souvent été données pour interdire de construire dans les lits des rivières, au morne l’hôpital. Des consignes sur les lieux réserves n’ont pas été observées.

Et puis, on bâtit les maisons des pauvres avec les matériaux de fortune. Des apprentis-mâcons bâtissent des maisons sans consultation ni autorisation d’un architecte et parfois pour le compte d’Institution religieuses...

Si les consignes sur les lieux réserves avaient été observées, on n’aurait pas conjuré le tremblement de terre, mais les dégâts auraient été limités.

Le Pape Jean Paul II, lors de sa visite a Port-au-Prince, le 9 mars 1983, avait prononce ces paroles aujourd’hui curieusement prophétiques : «il faut que quelque chose change ici… »

Aujourd’hui, avec le tremblement de terre du 12 janvier 2010 à 4h53 du soir, nous constatons un changement insolite. La terre a tremblé et a fait des morts dans toutes les couches sociales. Les cadavres des riches côtoient ceux des misérables; les cadavres des mulâtres gisent â coté de ceux des nègres, on n’a plus le temps d’organiser des funérailles dites «diacre sous diacre» avec un célébrant débitant un éloge mortuaire pour un usurier qui savait bien compter ses sous mais ne mettait pas les pieds à l’église…

Aujourd’hui riches et pauvres se donnent rendez-vous devant un trou noir. « Egal, égaux » dit le proverbe. Le riche n’est pas plus honoré que le pauvre. Le temps presse. Il ne fait pas bon vivre dans un milieu aussi nauséabond. Voila un changement que n’avait pas prévu le Pape Jean Paul II, en prononçant ces paroles « Il faut que quelque chose change ici… ». Pourtant, force nous est de constater ce changement de la réalité haïtienne: les riches et lespauvres sont égaux devant la mort, ici et aujourd’hui.

Ce changement de la réalité conduira-t-il à un changement de mentalité en faveur du pauvre qui sera considéré comme un être humain à part entière comme le riche.
Ce changement de mentalité peut sans doute aboutir à un traitement plus humain du pauvre dans la société haïtienne. Il n’y aura plus de « neg en dehors et de moun la ville… », le paysan sera considéré comme un être humain à part entière; l’enfant de service, le « restavek » sera respecté dans son intégrité corporelle.

Ce changement de la réalité provoque par le tremblement de terre du 12 Janvier 2010 a 4h53 du soir peut faire réfléchir sur toutes nos inégalités sociales.

Frères et sœurs bien-aimés,

Le tremblement de terre du 12 janvier 2010 à 4h53 du soir, à Port-au-Prince est un événement douloureux aux conséquences imprévisibles- pour le peuple de Dieu, la nation entière, aussi bien pour l’Eglise que pour l’Etat, pour la société haïtienne
C’est un Kairos, c’est-a-dire un événement permis par Dieu qui doit faire réfléchir le croyant ou le non-croyant, et conduire à un changement de comportement d’attitude dans le milieu ou il vit, à une conversion du cœur, à une « metanoia », changement de mentalité, à une nouvelle vision du monde, du milieu ambiant, à un changement de vie.

A chacun de réfléchir à ce qui nous est arrivé, d’essayer de comprendre ce que Dieu, Maître de l’Univers veut nous dire à travers cet événement.

Le tremblement de terre a détruit des « installations ». Il a désinstallé beaucoup de monde, beaucoup d’institutions bien installées. Il nous a fait prendre conscience que nous n’avons pas de maison permanente ici-bas. Nous sommes des pèlerins sur cette terre. Ceux qui ont survécu à cet événement doivent retenir que la terre est un lieu de passage qui nous prépare à la vie dans le Royaume.

Frères et sœurs bien-aimés, Courage, « Pran kouray pa febli” « Mets ta confiance dans le Seigneur et fais le bien ».Unissons nos mains et nos cœurs, frères et sœurs pour bâtir un pays neuf, un pays propre, un pays sans fatras, un pays ou il fait bon de vivre.

Nous pouvons refaire ce pays, nous pouvons refonder cette nation. Nous devons rebâtir ce pays. Soyons fermes dans cette décision et notre volonté de rebâtir ce pays, de refonder cette nation.

Gloire et Louange à la Trinité Sainte Père, Fils, Esprit. Honneur à la Vierge Marie, notre Mère qui aime « cette chaude terre ».

Que Dieu le Père, le Fils, et l’Esprit nous bénissent tous et toutes.

Maranatha, Viens, Seigneur Jésus!

Boston, le 21 janvier 2010

François Marie Wolff Ligondé
Archevêque émérite de Port-au-Prince Haïti.
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Document reçu de l'ingénieur Raphaël Richard, le 18 février 2010, par courriel.

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