Nouvelles considérations sur la suite de la descente aux enfers d’Haïti et une sortie de crise par une solution de salut public, si un sursaut collectif est encore possible. Il faudrait, dans cette hypothèse, en dehors d’une révolution nécessaire mais impossible, une révision déchirante d’un acquis bicentenaire. Déjàȧ les assassins nationaux et internationaux du pays sont dans la cité, mais ses sauveteurs aussi.
Par Leslie F. Manigat
Source: Robert Benodin, courriel du 21 février 2010
La marche d’Haïti ȧ l’abime a précédé l’horrible catastrophe du 12 janvier 2010. On sait que j’ai établi que le commencement du déclin irrémédiable de la société traditionnelle datait de la conjoncture de la fin du 19ème siècle, en fixant même l’année 1896 comme la date fatidique. Mais il y avait la perspective de la substitution d’une société moderne alors en gestation, celle-ci a tardé indéfiniment ȧ l’emporter. La fin de la fin allait se jouer ȧ partir de l’avènement du populisme, dernière réaction et dernier avatar de la survie de la société traditionnelle moribonde mais suffisamment capable de survie pour tenir la société moderne en échec. C’est alors dans cette impuissance de changement structurel que la course ȧ l’abime a précipité Haïti dans les profondeurs du passage du « développement du sous-développement » aux bas-fonds de l’hyper sous développement. (Haïti parmi les Pays les Moins Avancés du monde, les PMAs). C’est cette période de la dissolution finale des structures et des institutions haïtiennes qu’il faut mettre en cause pour analyser la tragédie haïtienne menant ȧ l’horrible catastrophe naturelle du 12 janvier, un moment de la descente continue aux enfers. Les faits du passé-présent haïtien ont la tâte dure : les Haïtiens auraient-ils la mémoire courte au point de retarder encore la solution de salut public qui est depuis longtemps déjà un urgent impératif de la conjoncture ?
Je sais, dans une évaluation historique de synthèse globale, que les obstacles internes et internationaux pour empêcher ce pays d’avancer ont été dirimants, tels que l’interdit politique international, la mise en quarantaine étrangère, le cordon sanitaire régional et les embargos commerciaux, car l’embargo commercial mortifère dans ses conséquences a commencé contre Haïti dès 1804 ȧ cause du « succès » de la révolution haïtienne.
Pendant les deux cents ans de l’existence du peuple haïtien, la dérive de la malgouvernance et les erreurs du maldéveloppement ont rendu une vraie révolution nécessaire, indispensable même, mais impossible, dans l’état du rapport des forces et de leur évolution interne et externe. Cette révolution nécessaire et impossible a enlisé Haïti dans un statu quo bien défini dans la formule « qui n’avance pas, recule ». Le poids de nos turpitudes n’a pas dépassé cependant l’action étrangère concertée contre notre pays, puis la ponction sur nos ressources exploitées dans un échange inégal dénoncé par un paysan révolutionnaire illettré, Jean-Jacques Acaau, cent ans avant l’élaboration de la théorie fameuse de la détérioration des termes de l’échange par Raoul Prebisch et ses co-équipiers de la CEPAL Révolution nécessaire mais impossible, pour changer l’état des esprits et de la mentalité avec l’avènement des idées nouvelles, les structures socio-économiques vieilles et vermoulues, et le critère décisive de toute révolution véritable, le déplacement de la propriété. La dépendance structurelle économico-financière a rogné puis détruit les bases et fondements de l’indépendance politique. Une de mes grandes thèses est que Haïti est née NATION ȧ cause de sa REVOLUTION d’INDEPENDANCE mais que les avatars de son évolution historique du fait de ses échecs en chaine, ont désintégré cet état-nation dans un processus de « nation-building » à l’inverse. Mais l’héritage sacré de la révolution haïtienne d’indépendance, outre les acquisitions, par les masses noires des anciens esclaves, de la petite propriété paysanne en échange du monopole de l’import-export monopolisé par l’oligarchie conservatrice des anciens affranchis hommes de couleur, demeure une capacité de pensée et d’invention artistique et artisanale qui ont fait parler d’un miracle haïtien comme on a parlé d’un miracle grec.
On sait que, dans tous mes écrits de ces soixante dernière années, j’ai analysé pour mes concitoyens que la crise haïtienne actuelle n’est pas une crise de plus ni une crise dans la crise, mais la crise exceptionnelle de la phase ultime du dépérissement de la société traditionnelle haïtienne. A une situation exceptionnelle, il faut un remède d’exception. C’est pourquoi dans cette situation inédite, il faut, pour assurer un sauvetage national encore possible, une solution de salut public. L’horrible tragédie du 12 janvier 2019 en rend l’adoption encore plus urgente.
Il faut insister vraiment : En vérité, en vérité, je vous le dis : ce pays a besoin d’une véritable REVOLUTION pour s’en sortir, cette révolution nécessaire mais malheureusement impossible. Nous ne sommes plus dans la situation de 1791-1804. Après 1804, je ne connais qu’une seule, une unique révolution dans notre histoire, celle de 1843, qui a vite sombré faute de soutien populaire des masses non préparées ȧ assumer les responsabilités du pouvoir et dans le militarisme de Rivière Hérard, des gouvernements des épaulettes et de la société des baïonnettes.
Quant aux possibilités d’une révolution véritable avec sa dose de violence naturelle et légitime, malgré sa nécessité évidente, elle est malheureusement impossible pour des raisons objectives internes et externes opposées ȧ la réussite d’un changement profond, durable et structurellement fondé dans les assises d’une Haïti ȧ capacité d’énergie créatrice (le peuple haïtien n’a pas les ressources matérielles ni morales pour réussir une véritable révolution, ou du moins, je n’en crois pas le pays capable dans son état, de l’entreprendre malgré une détermination de certains soucieux d’un sursaut national que nous demandons depuis ces soixante dernières années d’urgence. Ne nous faisons pas d’illusion sur ce dont les nôtres sont capables, sauf miracle de la volonté suivie d’effet. J’ai passé ma vie ȧ voir le peuple haïtien tout accepter, y compris l’inacceptable, sans réaction de rejet et je dis ȧ mon peuple : cessons donc de tout accepter ! Il faut avoir le courage et le devoir civique de cesser d’accepter l’inacceptable. Dans les cas d’infamie collective et de forfaiture nationale, il faut refuser d’accepter et j’ai donné l’exemple dans une situation récente notoire. Il y a des saintes colères comme celle de Jésus chassant les vendeurs du temple !). Mais surtout l’international ne permettra pas la nécessaire révolution de salut public de sauvetage national haïtien ȧ cause de la dose de violence inévitable et naturelle sinon légitime qu’elle charriera, et je le comprends car une violence même tactiquement acceptée peut être débordée pour se convertir en une destruction aveugle de tout en commençant par les apprentis sorciers. Or c’est l’international qui a la force de répression et exerce déjà la tutelle sur notre pays sous le nom du besoin de « stabilisation ». Les lambeaux de souveraineté qui nous restaient nous ont été enlevés quand le centre des décisions politiques pour Haïti a été dévolu ȧ l’autorité suprême du quartier-général des Nations-Unies ȧ New-York, pour être transmis à un proconsul étranger déjà investi de l’onction du Saint Chrême de l’hégémonie souveraine de la plus grande République impériale dotée de l’hyperpuissante mondiale.
Et puis, depuis la seule révolution authentique récente dans la région, je veux dire la révolution cubaine de Fidel Castro, le dogme est d’empêcher un second Cuba, et effectivement il n’y en pas eu une seconde, sauf à scruter le ciel et chercher du coté des changements ethno-indigénistes actuels en Amérique Latine, ce qui me fait rappeler qu’il n’y en pas eu de révolution ethno-indigéniste depuis la seule de cette nature exemplarisée dans la révolution haïtienne d’indépendance dans sa formule dessalinienne. Le radicalisme dessalinien, dans son obsession d’une union nationale égalitariste fondée sur la race, la propriété pour les anciens esclaves, l’appartenance identitaire ȧ l’ethno-culture nègre et ȧ « l’armée indigène » (appellation officielle des forces armées des guerres d’indépendance) n’avait plus de sens pour les assassins de l’empereur qui lui ont substitué une oligarchie conservatrice dominée par la faction élitiste des hommes de couleur, anciens affranchis, composée des Pétion, Bonnet, Gérin, Inginac, Boyer, Nau, Lespinasse, Sabourin, Imbert, Borgella, Carrié, Vilvaleix, Joute Lachenais et tutti quanti, représentant le contraire exactement de l’ancien dessalinisme, et que Paul Verna a appelé la « société créole » claire de peau, comme les latifundistes venezueliens que Pétion a généreusement secourus comme frères basanés (et c’est le même Paul Verna, homme de couleur haïtien devenu vénézuélien, qui a souligné la communauté d’appartenance épidermique de cette engeance solidairement pigmentocratique.
I. – Tout doit commencer par la consignation d’une triple liaison historique récente autour du thème d’une solution haïtienne de salut public, face au dépérissement de la société traditionnelle haïtienne jusqu'a encourir la perte de ce qui reste de souveraineté nationale à notre pays déjà sous tutelle étrangère, quand l’horrible catastrophe du 12 janvier est venue l’ensevelir sous les ruines et les décombres de quatre villes martyres parmi les zones sinistrées : Port-au-Prince, Léogâne, Petit Goâve et Jacmel.
Précisons la problématique avec les problèmes qui s’ensuivent et auxquels la collectivité toute entière doit faire face et qu’elle doit résoudre au cours des prochaines décennies.
Les trois dates récentes d’un destin national en perdition
-Disons-le, au départ, (in limine litis), en historiens, il s’agit de trois dates de référence dans la succession de la marche ȧ l’abime : la chute de notre gouvernement du 7 février au 19 juin 1988 et l’effarante plongée de la courbe évolutive de la situation globale du pays quand la Banque Mondiale, dans son rapport de 2002 situe « la décomposition » du pays après 1988. Le dernier sursaut de réveil a eu pour espace-temps notre expérience de gestion gouvernementale des quatre mois et demi de Manigat au pouvoir.
-Deuxième date : la fin du premier mandat d’Aristide, après l’échec avéré d’une expérience politique qui a sombré dans son contraire après avoir soulevé les espoirs du peuple haïtien dans un messianisme salvateur qui s’est soldé par un échec objectivement malheureux ne laissant que la nostalgie vivace dans certains milieux populaires d’une chance perdue une fois de plus. Il faut dire qu’elle avait mal commencé par « la mise en cage » du président revenu avec les troupes américaines d’invasion dont le corset le maintenait dans la ligne droite des accords de Washington qui lui liaient les mains dans une capitulation consentie comme prix du pouvoir. L’expérience du premier mandat de Préval fut une parodie dérisoire de ce que le pays attendait après les années de remise de fond en comble par un « Titid » populaire porteur d’une véritable révolution trahie.
-Troisième date : le coup d’état de la fuite du président Aristide sous la poussée de l’offensive américano-française intervenant pour son éjection du pouvoir en 2004. La confusion était déjà à son comble dans un vide de forces de sécurité laissé par la dissolution de l’armée substituée par le règne des gangs politiques porteurs de la dissolution des liens de la société civilisée justificatrice des forces d’occupation de la Minusta. Le pays ne s’en est jamais relevé, sauf le faux remède trompeur de la stabilisation dispendieuse assurée artificiellement par les blindés, les troupes et la flotte omniprésente des véhicules de transport marqués du sceau NU (Nations-Unies)
Trois étapes du martyrologe haïtien. Le genre Manigat (ou de ceux qui pourraient lui ressembler) est interdit d’accessibilité au pouvoir (le genre d’Aristide d’ailleurs tout autant malgré les apparences). Son retour au pouvoir est conclu en haut lieu, comme exclu, mieux : forclos.
II. - Une déraison qui n’a eu pour caractère démocratique que le mot. Tout l’appareil institutionnel des operateurs politiciens s’est mis à se gargariser de l’expression de « mouvement démocratique » de 1984 à 2004 alors que l’aspiration véritablement démocratique avait déjà sombré avec le choix d’un gouvernement militaire au départ forcé de Jean-Claude Duvalier, et la survenue des événements sanglants de novembre 1987 pour empêcher les élections alors programmées, dont on voyait la main de l’armée obstructive. Or, c’est l’armée qui a repris la direction du pays avec Namphy II et le général Avril I et II jusqu’a l’épuration de la tète puis de la paralysie des membres du corps par l’arrêt de fonctionnement opéré par Aristide. Après quoi, on a eu pire car l’ère des gangs politiques lui a succédé, officiel, officieux ou par personnes et institutions interposées nationales et internationales. Plus que jamais, il est question de militarisation du pays. On a écarté la nationale pour mieux lui substituer l’internationale à grands frais. Celle-ci n’a pas voulu de la voie et de la voix des patriotes haïtiens et a choisi un proconsul brésilien érigé en « imperator » aux ordres. On a vu qui ont été écartés à ces moments-lȧ et ce n’est pas par hasard. N’est-ce pas Préval qui a été invité pour empêcher le retour de Manigat au pouvoir ? Aujourd’hui, le même Préval peut vouloir profiter de l’impossibilité des élections de la fin de l’année 2010 pour jouer aux prolongations comme au football en sa faveur ou en faveur de l’un des siens. C’est cette perspective qui devrait servir de repoussoir pour un réveil de conscience en faveur de l’alternative la mieux novatrice, la plus compétente, la plus idoine, la mieux située sur la scène politique haïtienne actuelle autour de laquelle on pourrait négocier un consensus raisonnable. Préval aurait alors à se soumettre ou se démettre, car l’homme qui voudrait rester à Limonade ou ȧ Furcy préférerait se retirer à Miami, au Brésil, à Cuba ou à Caracas plutôt que courir le risque d’être lynché à la Vilbrun Guillaume Sam, ce qui ne serait pas bon pour lui, ni salutaire au pays.
III. -Et c’est ici qu’il faut placer une distinction fondamentale dans le cours du déroulement de la vie politique haïtienne, toutes tendances confondues. Il y a les « operateurs » en tant que fabricateurs des décisions et des actions de la vie politique Ce n’est pas un problème de poids réel dans la balance politique mais d’un art d’occuper l’espace de la scène politique soit par une omniprésence bruyante soit par des conciliabules de derrière les rideaux où se négocient les arrangements concrets. Ce n’est pas seulement le lieu de la magouille. Ce n’est pas nécessairement immoral. La preuve, c’est que j’y vois évoluer mon estimable confrère et ami Victor Benoit, le « Maitre Ben » populaire des étudiants qui l’ont à la bonne avec le sourire persifleur, et des politiciens désireux de ménager leur réputation de popularité, fondée ou non, et sachant se positionner. L’exemplaire de ces operateurs politiques est tiré à des centaines voire des milliers d’exemplaires sinon plus, et le type réussi occupe le haut du pavé et attire le lime light des medias. On peut donc dire ab uno, disce omnes.
La deuxième catégorie est représentative, détentrice et porteuse des forces vives de la nation et c’est elle qui fait la décision dans la détermination du destin collectif, qu’elle oriente ou non les opérations de surface comme les élections à financer ou qu’elle se met la barbe à la trempe quand la direction du pouvoir réel semble devoir lui échapper. On pense aux militaires bien placés, mais comme ce sont les financiers qui mènent le monde, beaucoup des incarnateurs des forces vives de la nation élèvent un culte aux forces d’argent qui maintiennent sous contrôle sinon sous leur obédience, les professionnels, les intellectuels, les forces religieuses, les forces du travail et les medias, ces derniers obligés ȧ tenir compte par exemple de la publicité pour faire vivre leurs organes de communication diffuseurs de la vérité opportune à répandre.
La « société » haïtienne a ses favoris et ses mal-aimés.
Il se peut que les opérateurs arrivent à s’infiltrer dans les coulisses des forces vives ou soient des parties prenantes dans la mouvance des forces vives par osmose ou par jeu ou par intérêt ou par affinités. Alors on a le hardcore de la politique haïtienne laissant quasi en position de hors jeu le softcore de celle-ci. On peut trouver dans notre histoire des cas d’hommes d’état découragés par leur mise à l’écart de la centralité du pouvoir par les habiles qui n’avaient pas leur envergure.
IV. -Le coup de colère sur coup de tête de Manigat se retirant de toute activité politique d’engagement personnel responsable quel qu’il soit a-t-il été intempestif ? Il n’était pas obligatoire, comme De Gaulle n’était pas obligé de se retirer quand il l’a fait. Mais il y a la lucidité de l’orgueil reconnaissant une impossibilité de rester dans des conditions de fierté verticale se cabrant devant un échec même non encore terminal, et surtout, dans mon cas, la réaction d’un lutteur excédé devant jusqu’où la perversité humaine peut aller ouvertement et cyniquement et dérisoirement (la majorité forgée de toutes pièces devant le pays résigné malgré l’énormité de la fraude initiale, l’eau houligan de la piscine de l’hôtel Montana sur une plaisanterie acceptée par le pays tout en la sachant telle, la réinsertion au grand jour des bulletins de vote dans le circuit par une supercherie qui a fait criminellement sourire, et enfin l’inflation des urnes d’une quantité de voix inventées pour éviter un deuxième tour légalement inévitable ȧ la face d’un pays incapable de réagir contre la forfaiture, c’en était trop. Je ne me voyais plus pouvoir faire de la politique dans cette boue. On m’a reproché de l’avoir dit. Mais le spectacle de voir aller à la soupe et de voir les chiens revenir à leur vomi, selon le mot de l’Evangile, a été plus fort. Ayant déjà passé la main, il m’était plus facile de me retirer sur mon Mont Aventin, refugiant mes vieux jours à écrire, delà produire et à publier une œuvre historique encore inachevée malgré les gros tomes rouges de mon Eventail d’Histoire Vivante. Mon ambition, qui a toujours marqué ma vie active, est aujourd’hui cette continuation d’une passion intellectuelle qui aura dépassé une passion pour la politique, que j’ai héritée dans le sang de grands ancêtres.
V. -Mais qu’ai-je dit au pays de ma voix d’intellectuel patriote responsable au-dessus de la mêlée dans une indépendance d’esprit qui me permet de dire ce que je veux librement, sans attaches d’aucune sorte aujourd’hui, mais dans la ligne de fidélité à la vérité de mes principes et de mes combats d’une carrière de 60 ans ?
D’abord, j’ai vécu l’horrible catastrophe du 12 janvier chez moi, dans mon bureau, cloué d’épouvante devant la furie des forces de la nature déchainée à détruire. Je l’ai déjà décrit avec mes deux questions ȧ l’esprit, l’espace d’un cillement : la force de destruction qui a tout ébranlé dans une vision d’apocalypse n’a pas détruit la maison, comment et pourquoi ? Je ne crois pas à la seule raison rationnellement suffisante cependant, qu’elle avait été construite pour résister à des pressions formidables de ce genre. Deuxième pensée-éclair ; Je suis à l’article de la mort sans phrase car tout s’est écroulé dans le bureau, et les meubles et les rayons de la bibliothèque dansaient une valse-hésitation comme pour savoir où tomber. Or aucun ne m’est tombé sur la tête, mais ȧ terre autour de moi sans m’égratigner. On a été obligé de venir me chercher par derrière la maison après un dialogue hilarant : Professeur, vous n’êtes pas mort ? Non, et vous ? On est vivants et on va venir vous retirer de lȧ par derrière. Mon heure n’était pas encore venue. Tout mon personnel domestique s’en sortait sans une seule égratignure, émergeant des débris d’alentour car la force en furie du séisme avait pulvérisé l’intérieur des meubles les plus fragiles (Verreries, argenterie, objets familiers de la vie quotidienne) et surtout les murs de la résidence pulvérisés sur trois façades, nous laissant pour ainsi dire presqu’à nu par rapport aux voisins. Mais comment dire ce soulagement instantané, joyeux et il faut l’avouer humainement égoïste d’avoir été parmi les survivants ? C’était déjà la tombée du jour. Et la terre continuait à trembloter !
Le lendemain, on trouve que l’électricité de la génératrice nous avait charitablement valu de pouvoir allumer la maison et faire fonctionner deux ou trois appareils échappés à la destruction ou non en dérangement, dont le réfrigérateur. Nous étions des sinistrés providentiellement heureux par rapport à ce que l’on commençait à apprendre du pays. Dès le lendemain, on était dans les rues, non en curieux, mais pour pouvoir témoigner et assister. Dans l’après-midi, nous étions ma femme et moi au chevet d’une amie très proche, hospitalisée ȧ l’hôpital de la Communauté haïtienne, que nous trouvons en attente de radiographie. Elle était souffrante mais confiante. Elle n’a pas survécu finalement à la démolition physique de son corps pourtant structurellement robuste. Quelques minutes plus tard, on se rendait au cimetière du Parc du Souvenir pour participer à l’inhumation en stricte intimité familiale, de ma nièce et filleule Yolaine Lhérisson, victime de l’effondrement de l’immeuble de son bureau. Au dehors, c’était l’abomination de la désolation dont parle la Bible. Pas un signe ni un signal public de l’autorité responsable.
VI. -J’ai dû attendre décemment et vainement les premières quarante-huit heures pour le premier message attendu de la tête du pouvoir, mais devant la défaillance du chef de l’Etat ȧ ne vouloir rien dire sauf deux incongruités rapportées par ses proches, j’ai dû, le premier, je crois, ȧ l’exception d’une Marie-Jocelyn Lassègue , ministre de la culture, s’activant ȧ consoler et ȧ se solidariser avec les victimes, expression d’un scoutisme douloureusement sympathique, j’ai donc dû prendre publiquement la parole par la voie de l’internet, pour recommander les premières mesures d’urgence pour la mobilisation d’un effort national et des dispositions d’impact symbolique, psychologique ȧ cause des traumatismes individuels et collectifs, socio-économique, ethnoculturel, religieux, moral et pratique, de sécurité préventive et dissuasive de l’état comme un couvre-feu sous la vigilance des forces policières et de certains contingents militaires rappelés au devoir du service, et de salut public comme la permanence citoyenne au service de l’ordre et du respect des biens, ȧ efficacité de court , de moyen et de long terme qui s’imposaient en attendant, pour voir venir et encadrer l’aide extérieure déjà déclenchée dans un élan de solidarité superbe pour Haïti, avec les étrangers experts ès questions haïtiennes du meilleur au pire. Je rappelle l’essentiel des mesures que je recommandais comme immédiates pour parer au plus pressé. Un deuil national de trois jours, inauguré par une cérémonie œcuménique en mémoire des disparus de toutes conditions et de toutes croyances y compris les convictions de l’athéisme, de l’agnosticisme, de l’ésotérisme et de l’incroyance. L’appel aux ressources matérielles et humaines locales accompagnait la proposition d’un Haut Conseil Supérieur de 12 membres (« les douze apôtres ») représentatifs des 12 forces vives de la nation invitées à prendre leurs responsabilités face ȧ la situation, haut Comite de salut public coiffé d’une cellule de crise de trois membres pour obvier ȧ la défaillance du Président de la République, car on avait la preuve palpable que « nous n’étions pas gouvernés ». La nature a révoqué le chef nominal de l’Etat, mais la Providence attend toujours l’exécution du verdict par le peuple. Nous invitions les têtes pensantes ayant survécu ȧ la tourmente et la diaspora toute entière ȧ se solidariser avec l’Haïti de l’intérieur si durement frappée, pour une réparation urgente des dégâts mais surtout pour une reconstruction nationale modernisatrice qui était le consensus de tous exprimé des quatre coins du pays et de l’Haïti de l’extérieur vers la cohérence d’un plan graduel et solidaire pour la renaissance haïtienne. Pleuvent drus les suggestions ; plans et propositions de toutes parts, individuels et collectifs, esquissés brefs ou longs de plus d’une centaine de pages, ȧ mettre en forme pour un plan cohérent et graduel ȧ formuler pour le sauvetage national. Je l’ai toujours dit « la solidarité s’enseigne, la solidarité s’apprend ». Mais j’ai dit encore plus fort que, même avec les deux préalables d’une amélioration du niveau de vie matériel et éducatif du pays, parmi les priorités des priorités, il faut inscrire le mental, je veux dire ce dont est capable le peuple haïtien pour s’en sortir, autrement dit : de sa capacité d’énergie créatrice. En bref, c’est l’esprit qui compte, c’est l’esprit qui doit dominer, c’est l’esprit qui vient d’abord. L’autre disait « Je veux, je peux » mais pour menacer ou faire détruire l’ancienne cathédrale de Port-au-Prince vieille de trois siècles d’histoire nationale. Nous disons : « nous voulons, nous pouvons », dans l’esprit de construire la nation moderne de l’Haïti de demain sur les ruines de la plus grande catastrophe naturelle de notre histoire.
Dans cet esprit, parallèlement, je participe ȧ l’effort de création d’un Comité international de soutien ȧ l’Université Haïtienne dont l’initiative a été lancée par un universitaire haïtien enseignant ȧ Mexico (Guy Pierre) en solidarité morale, scientifico-technique, socio-économique et institutionnelle avec le monde académique haïtien sinistré. L’information en été sans nul doute portée ȧ la connaissance de tous les intéressés ȧ cet effort collectif dans les plus brefs délais, car l’acte constitutif du Comité international a été préparé et les personnalités étrangères qui ont accepté d’en faire partie approchées avec leur assentiment. Cependant, c’est l’Université haïtienne qui sera responsable directement de cet effort en maitre d’œuvre et en sera bénéficiaire mais avec le soutien et l’action du Comite International de soutien, d’appui et d’action dont la présidence m’a été offerte pour avoir un universitaire haïtien connu ȧ sa tête, mais j’étais et suis prêt ȧ servir ȧ tout niveau sollicité, et c’est avec gratitude et allégresse que je vois les capitales étrangères accueillir des conférences et réunions pour organiser des efforts de coopération, et les ONGs comme « Aide et Action » ou « Lutte contre la faim » s’activant sur le terrain universitaire en faveur de l’enseignement supérieur haïtien, ainsi que les initiatives privées de partout.
VII. -Le reste de ma première intervention publique en m’autorisant de ce que j’ai pris l’habitude d’appeler une voix responsable de patriote en toute indépendance d’esprit, comme par-dessus la mêlée en quête individuelle d’une expression de la volonté nationale pan-partisane, renforcée de recommandations « en vrac » au cours d’une seconde intervention complémentaire, fut ȧ dessein de saisir l’occasion de la publication sans doute sincère mais insuffisamment informée et trop absolue, de la contre-vérité consistant ȧ dire, comme ex-cathedra, qu’AUCUN des gouvernements, DEPUIS 1984, ne s’était plus soucié de bannir les constructions anarchiques dangereuses attentatoires au bien-être écologique de la nation, les épinglant de la sorte comme coupables de la désertification du pays par l’érosion géomorphologique et par les impérities de la gestion publique. Or précisément, le gouvernement du 7 février 1988 (donc après 1984) s’était justement attaché ȧ empêcher les constructions anarchiques dangereuses allant même jusqu'à les détruire spectaculairement Il me fallait sauter sur l’occasion pour, non seulement rétablir la vérité du cas ignoré par l’énoncé d’une contre-vérité d’évidence, en défense même légitime de mon gouvernement de quatre mois et demi du 7 février – 19 juin, mais dans une véritable « apologie pour l’histoire et la vérité ». C’est ȧ cette tâche que je me suis attelé dans la dernière partie de ma première intervention en improvisant, de mémoire, quelques exemples de ma gestion gouvernementale, non seulement dans le domaine des travaux publics et de la protection de l’environnement, mais pour illustrer notre action au pouvoir de cas précis d’un effort réussi d’inspiration national- progressiste et d’étiquette officielle social-chrétienne nationale et internationale de centre-gauche.
Voici donc venir, en résumé, ce que j’esquissais dans cette improvisation qui a occupé le reste de mon intervention de salut public.
L’habitude a été prise d’omettre le gouvernement constitutionnel du 7 février 1988 dans la série des régimes qui se sont succédés de la chute de Jean-Claude Duvalier ȧ nos jours pour leur attribuer des caractéristiques générales judicieuses ou fantaisistes. J’ai essayé de m’éloigner de cette problématique de vulgate en me plaçant dans une optique qui voyait les acteurs-témoins sans passion mais avec leurs passions. Voir la politique autrement pour la faire autrement.
Sait-on que je n’ai jamais participé ȧ la phobie anti-Aristidienne ni a l’adulation idolâtre d’un homme avec lequel je n’ai eu aucun entretien parce que ses demandes en ce sens quand il était au pouvoir rencontraient une attitude claire de ma part de différer tout entretien qui ne pouvait aboutir ȧ un rapprochement, alors que j’avais été séduit un moment par la parole prophétique du messianisme d’avant sa candidature ȧ la présidence de la République, de l’homme que j’appelais le Savonarole de la révolution haïtienne, ce qui pour moi était un compliment, car le moine ardent de Florence était le héraut et le héros d’une théocratie de type christique venu comme rédempteur d’un monde injuste et inacceptable dans son ignorance des aspirations messianiques populaires. Mais il y avait entre nous une distance sur des positions de désaccords idéologiques et de pratiques politiques qui menaient l’homme ȧ devenir le contraire de ce qu’il était ȧ l’origine et ȧ faire le contraire de ce dont il avait pris l’engagement de faire. La recherche de la présidence a fait d’un Polyeucte un Catilina. C’est le cas de le dire : « Comment en un plomb vil, l’or pur s’est-il changé » ? Il courtisait politiquement mes filles dont il s’était attiré les chants de sirène partisans de l’une jusqu’au fanatisme anti-paternel. Au pouvoir, je n’ai été mêlé aux menées de quiconque qui aurait pu me porter ȧ faire un geste public contre lui, et même il bénéficiait de la protection de Jean-Claude Paul qui ne me le cachait pas, et j’étais ainsi complice en quelque sorte, ce qui m’a créé un embarras quand le haut clergé demanda au bras exécutif séculier de participer ȧ envoyer le tribun dangereux en exil. J’allais devoir donner l’ordre de le faire discrètement par courtoisie, mais sans enthousiasme car ce n’était pas mes oignons, sauf si le maintien de l’ordre public était en jeu, quand l’intéressé s’arrangea pour ne pas partir. Lui au pouvoir, il n’a pas sévi contre moi qu’il considérait sans doute comme un adversaire ȧ gagner, sauf un moment de menaces non voilées que son entourage avait fomentées pour raviver et nourrir une inimitié qui n’avait pas de raison de jamais âtre sans quartier. On ne s’est jamais serré la main parce que j’évitais de me trouver face ȧ face avec lui et qu’il a respecté ma décision de ne pas pactiser avec lui que l’historien-politologue en moi voyait comme une déception de ne pas pouvoir lui reconnaître l’étoffe que je lui avais attribuée originellement quand il était encore un prophète inspiré. Il m’a invité par téléphone, ȧ venir au palais « voir le bureau que j’avais occupé » (sic) (une allusion sans doute au fait que j’avais demandé ȧ l’ISPAN, de Patrick Delatour, qui s’en était acquitté ȧ ma satisfaction, de rénover l’aile de la réception et des bureaux officiels de la présidence). Je n’ai pas cru en lui tout en ne le haïssant point. Il a emprunté de moi le slogan « Tout moun se moun » qu’il a porté ȧ une plus grande vogue que moi, mais non avec plus de sincérité. On s’est finalement ignoré, pour le bien de chacun, car il n’était pas encore important quand j’étais au pouvoir, et je n’étais plus important non ȧ ses yeux mais aux yeux des siens, quand il a été au pouvoir. Il faut comprendre que je croyais possible de « faire la politique autrement » selon un de mes slogans de candidat ȧ la Présidence de la République. Dans cet esprit, nous ne vivions pas dans la même planète.
Le post-duvaliérisme, dans la mesure où le duvaliérisme est mort en 1986, ce qui n’est pas démontré, et demeure une hypothèse d’école tandis que le post-noirisme est considéré obsolète alors que des signaux noiristes encombrent encore les expériences de l’époque Lavalassienne dans un bouillon de culture où la question de couleur sert d’étalon implicite des professions de foi, et pèsent d’un poids important comme vérités officielles entendues. L’époque des Duvalier avait été celle de la dictature, l’époque post-Duvalier est celle décorée de la démocratie ! L’époque des Duvalier (malgré le bémol majeur Michèle Bennet reine contre-nature) était dominée par les tontons macoutes noiristes, époque tontonmacoutarde ȧ dominante signalétique de la peau noire. L’époque post-Duvalier d’après 1986 se targue d’avoir dépassé la question de couleur pour des questions plus fondamentales comme la lutte contre la pauvreté, la nécessité de la centralisation, du contrôle de la massification et de l’exode rural puis diasporien. Les « camoquins » dont on faisait la chasse sous Duvalier au nom de la lutte de couleur ont changé de peau en devenant les déchouqueurs et les « chimères » attitrés de la lutte des classes de 1986. C’est dans ce contexte de tournant historique que l’originalité de mon administration a démontré sa positivité créatrice comme une exception de détente par rapport aux fanatismes aveugles de la tension sociale. Faire du neuf, asseoir le changement institutionnel, renouveler le personnel dirigeant, apprivoiser les prépondérances « rances », faire une incursion prospective dans le monde d’avenir du sérieux progressiste, tels furent les signaux nouveaux lancés par la nouvelle équipe gouvernementale au point que les vaincus de novembre 1987 préparaient leur retour au pays et aux affaires avec nous, et que la diaspora organisait son triomphe avec son atout financier des transferts mal récompensés parfois par une réticence voire une résistance ȧ son allure de nouvelle bourgeoisie « arriviste » conquérante. Nous autres, nous étions ȧ la fois ceux du dedans et ceux du dehors. Manigat, de vieille souche, ne faisait pas « diaspora » malgré 23 ans d’exil. Mais c’était fragile car le moindre faux pas changeait les classifications figées entre ceux qui avaient enduré Duvalier sur place et ceux qui sont revenus en descendant du ciel, selon un mot du général Namphy. Un jeune partisan m’ayant reproché d’avoir favorisé la diaspora dans le choix de mes collaborateurs, a été invité ȧ faire l’évaluation comparative, aux résultats contraires ȧ son attente. Nous ne pouvions pas, et nous n’étions pas parfaits, mais nous étions ȧ la recherche de la perfection.
VIII. -Nous avons choisi le terrain de la politique des Travaux Publics de mon administration pour commencer à présenter le nouveau visage de mon gouvernement car la contre-vérité du mot de Michel Soukar nous a servi d’introducteur d’analyse d’un premier bilan de réalisations dans les quatre mois et demi de la gestion du nouveau pouvoir. La légèreté involontaire mais injuste du mot de notre confrère historien Michel Soukar était une aubaine pour, en rétablissant la vérité en ce qui nous concernait, nous permettre de commencer ȧ camper l’équipe gouvernementale par lȧ où elle s’estimait contestée ȧ tort ou oubliée injustement. Heureux mécompte !
En effet, la mémoire haïtienne est courte même pour des historiens patentés, car on a entendu une voix connue de cette catégorie professionnelle savante affirmer avec aplomb que DEPUIS 1984 aucun gouvernement n’a fait quoi que ce soit, en dehors de la magie des mots, dans le sens des intérêts du pays national dans le domaine des constructions anarchiques dangereuses pour la sauvegarde du patrimoine naturel, avec les méfaits de l’érosion géomorphologique qui s’ensuivent, autrement dit dans le domaine de la prévention des catastrophes naturelles et de la protection des bassins versants du Morne l’Hôpital par exemple. Au nom de la vérité historique précisément, si facile ȧ fouler aux pieds par défaillance de la mémoire, ce qui n’est pas seulement un péché véniel chez un historien, l’ingénieur Elysée Nicoleau, sous mon gouvernement et dans le cabinet ministériel que j’ai eu le privilège et la fierté de donner au pays comme hommes capables et intègres de l’équipe de février-juin 1988, peut s’inscrire en faux contre cette assertion. Son œuvre porte témoignage combien, ȧ l’égal de ses collègues tout aussi méritants, chacun dans son domaine et tous sous la direction dynamique et progressiste du timonier de l’heure, s’est déployée avec sa compétence technique, son audace d’homme de modestie mais de fermeté, et de dévouement sans mesure ȧ la chose publique haïtienne spécialement et spectaculairement contre les constructions anarchiques précisément. C’est lui qui a sauvé techniquement les ponts stratégiques de Bourdon et de la Croix des Missions rénovés en urgence record pour la remise en circulation, valorisé les sites des zones écologiques du Morne Garnier et du Juvénat, et qui, couvert de l’autorisation expresse du Président de la République, pour l’exemple, a réalisé au bulldozer l’opération de protection des bassins versants du Morne l’Hôpital en détruisant les constructions anarchiques dangereusement édifiées dans cette zone sensible, y compris symboliquement la « rectification » de la résidence du Président du Senat, un ami personnel et politique de vieille souche capoise commune.
Peut-être pour beaucoup, ont été plus mémorables sinon plus frappants la conception et les débuts de réalisation graduelle de la Route de Carrefour ȧ trois itinéraires de décongestionnement de la route du Sud ( niveau de la chaussée par la route habituelle courante reconsolidée et élargie, niveau aérien audacieux des trèfles des villes américaines pour la distribution du trafic par zones de résidence, et niveau maritime par ferry-boat de Mariani au Sud-ouest jusqu’au port d’embarquement vers l’ile de la Gonâve au Nord-est sur la route des plages de Montrouis. Sait-on que le gouvernement avait déjàȧ commencé ȧ dédommager financièrement les premiers riverains de ces artères ȧ partir de la jonction du Bicentenaire avec l’Ecole Ménagère et l’Eglise Sainte Bernadette en direction de Martissant ? Je ferai dans mes « Souvenirs et Mémoires » le bilan de cette politique de Travaux Publics dans le contexte des plans et des réalisations de notre expérience gouvernementale, si Dieu nous prête vie, la première mouture du volume de 540 pages du manuscrit que j’avais rédigé ȧ Genève en 1989-1990 consacré ȧ l’histoire de mon gouvernement devant âtre refondue par suite des documents, témoignages et livres rendus publics depuis 1990.
IX. – En attendant, je saisis l’occasion pour citer ici-même des exemples concrets de cette expérience gouvernementale d’innovations dans quelques autres champs d’action comme pour rappeler qu’on a été capable de faire des choses en 1988, raison de plus pour en faire de nouvelles dans les dix a quinze ans suivants ! Citer notre expérience de 1988, c’est pour faire valoir un précédent dont l’inspiration pourrait âtre exemplaire. C’est d’abord la lutte contre la vie chère en cassant les prix des produits de première nécessité et en important le riz de Miami pour le distribuer aux marchandes ȧ destination des marchés populaires sans briser les circuits de redistribution et on se souvient encore que le bon peuple appelait ce riz « le riz Manigat a 1gde 25 la petite marmite ». C’était un volet de notre lutte contre la pauvreté. Un autre champ d’action gouvernementale en liaison avec notre politique dans le domaine de l’énergie fut la délocation d’une raffinerie de pétrole de Maracaibo (Venezuela) pour devenir haïtienne aux Gonaïves, avec les entrepôts du fuel prévus dans la baie de Fort-Liberté, dans le cadre de la coopération haitiano-vénézuélienne avec, en même temps, la construction en cours par les services de génie de l’armée venezuelienne des premiers logements sociaux clefs en mains ȧ Port-au-Prince, zone de Sans Fil, dans un projet élargi déjàȧ décidé pour le Cap, les Cayes et les Gonaïves avec sélection des sites de pauvreté. Dans le domaine de l’Education Nationale, outre un plan ingénieux du gouvernement pour ne pas lasser perdre l’année scolaire aux élèves, ce fut l’arrivée ȧ Port-au-Prince des premières unités de la première centaine d’appareils ȧ l’énergie solaire pour l’enseignement ȧ distance obtenue de la Coopération Française ȧ un moment ou le premier Ministre Jacques Chirac, en pleine « cohabitation », soignait avec le Ministre Aurillac et les encouragements de l’ambassadeur de France a Port-au-Prince Michel de la Fournière, les relations privilégiées France-Haïti et nous attribuait trois Instituts de Technologie l’un pour Port-au-Prince (projet réalisé après mon départ, ȧ Drouillard), le second pour le Cap Haïtien et le troisième pour les Cayes dont je n’ai plus entendu parler. Dans le domaine des relations patronat-travail, c’est le fonctionnement, inauguré par le Président de la République au Palais National, d’une commission tripartite Etat-Secteur Privé des affaires-Syndicats ouvriers et paysans. Dans le domaine de l’économie nationale, nous nous sommes lancés dans une stimulation de la production par l’entreprenariat national en promouvant un modèle de production associant l’agriculture, l’industrie et le commerce dans la même entreprise, et ma première visite officielle fut pour l’entreprise « La Famosa » en plaine du Cul de Sac où Nessir Mourra plantait des tomates avec les paysans, fabriquait des jus, des pates et un « ketchup » national savoureux, et assurait l’approvisionnement du marché local et l’exportation dans la région caraïbe voisine. Il faut signaler que ce modèle fonctionnait dans le complexe des usines Brandt pionnier de la production nationale dans son principe, mais portant davantage sur deux domaines d’activités plus que sur l’intégralité des trois. Dans un autre ordre d’idées, sait-on que c’est mon gouvernement qui a inauguré le calcul du « panier de la ménagère » ȧ la fois pour une appréciation de la diète alimentaire idéale et surveiller l’évolution des prix des produits de base pour la nourriture et l’habillement (avant l’ère des pèpès) pour que ces produits ne s’emballent pas sur le marché de la consommation ? Il y avait une diététicienne d’Etat recrutée par un ministre ami pour faire partie comme technicienne du personnel au pouvoir. Un Conseil National de la Recherche Scientifique (CNRS) ȧ l’équipe de direction partiellement choisie de certains techniciens et professionnels pressentait d’autres pour en faire partie, devait âtre créé institutionnellement en septembre-octobre 1988 sur le modèle français que nous connaissions par expérience de participation, pour commencer les investigations scientifiques dans trois domaines retenus comme pionniers : les vertus curatives des plantes, les sources alternatives d’énergie substitutives du charbon de bois (on pensait aux éoliennes et ȧ la biomasse, en plus du pétrole local prometteur découvert dans des réserves ȧ évaluer déjà mentionnées dès 1928 par Woodring. Et le troisième était les matériaux et les techniques de construction (ardoquins, asphaltes naturels, pisés d’argiles paysans, utilisation des bois, résistance des matériaux etc.).
Et puis, qui, sans mauvaise foi, pourrait attribuer ȧ nul autre gouvernement la création du Ministère des Affaires Culturelles, la création, au sein du Ministère des Affaires Sociales, d’une Secrétairerie de la Condition Féminine, la création d’un Ministère de la Solidarité et de la Sécurité Sociale pour les mouvements Fédératifs, les Coopératives, les Mutuelles et les Caisses populaires qu’on a vite laisse tomber significativement ȧ la chute du gouvernement.
L’association du vodou pour l’inventaire et la mobilisation des ressources en santé physique et mentale était facilitée par la prise de position publique des trois fédérations vodoues unifiées sous la houlette de Hérard Simon, Max Beauvoir et de Réginald Bailly entre autres, en faveur de mon gouvernement connu comme social-chrétien sur le plan national et international dans le cadre de l’ODCA (Organisation de la Démocratie Chrétienne dans les Amériques) affiliée ȧ l’IDC, mais respectueux et promoteur de la liberté des Cultes et reconnaissant la spiritualité de la religion populaire ȧ distinguer d’une sorcellerie ancestrale dont les crimes étaient passibles des sanctions du Code pénal.
Tel devenait l’état d’esprit d’une bonne partie de la jeunesse qu’un groupe non-gouvernemental vint jusqu'à dire publiquement qu’au lieu de l’obsession des belles voitures et des belles femmes ȧ acquérir rapidement, il valait mieux désormais préparer l’avenir individuel, familial et national en se meublant le cerveau.
Comme par coïncidence, le Chef de l’Etat, la Première Dame, le Premier Ministre, le Ministre des Affaires Etrangères, le Chef du cabiner particulier du Président, et son médecin personnel avaient fait leurs études supérieures dans les universités françaises, tandis que d’autres membres du gouvernement étaient des diplômés de grande classe des universités américaines comme ingénieurs, médecins et professionnels de renom.
Il n’y avait pas que les « Ti koze an-ba ton-nel » dans la politique de formation de l’esprit public sous mon gouvernement, toutes classes confondues, pour maintenir le pays réel informé par la voix hebdomadaire en créole du Président de la République, de la gestion des affaires publiques et expliquer les priorités pour s’attaquer aux problèmes ȧ résoudre en faisant comprendre qu’on ne pouvait pas tout faire ȧ la fois. Par exemple, l’exploitation des gisements aurifères de la Cordillera septentrionale était une priorité des priorités parce que les ressources ȧ en tirer devaient garantir les premières années du Trésor public avant les résultats de la croissance ȧ venir. Avec nous aux affaires, la marche du progrès modernisateur graduel planifié avait été bel et bien entamée avec succès, détermination, et une lucidité réaliste malgré les obstacles, les épreuves, les hostilités d’adversaires qui ne se rendaient toujours pas ȧ l’évidence des changements amorcés et entamés, la gravite des retards accumulés, et la mentalité archaïque du pays. Le mot d’ordre présidentiel : « Soyons sérieux » annonçait au pays qu’on était en train de prendre les lourdes responsabilités du pouvoir ȧ cœur, en élaborant les décisions aux conseils des ministres hebdomadaires de 3h jusqu’ ‘a 11h du soir, laissant guillerets les seniors septuagénaires du cabinet dont, ȧ la pause-café, les bonbons sirop de Ninide faisaient les délices présidentiels et ministériels.
A tous les échelons de l’intervention humaine, on choisissait les solutions en vertu du principe « minimax » d’un catéchisme de l’action qui préconisait le rendement maximum au coût minimum pour exécuter les directives donnés aux groupes de travail techniques, conscients que gouverner, c’est choisir, c’est décider, c’est agir, c’est prévoir et c’est corriger, en des opérations apprises ȧ bonne école et en recherche de l’excellence. Je l’ai dit, non sans orgueil, que nous avons œuvré dans le sens du meilleur intérêt du pays, et, selon un mot devenu historique, « je n’ai pas échoué, j’ai failli réussir ».
Essayer de faire oublier cette expérience gouvernementale de l’élu du 14 janvier au mandat inauguré le 7 février 1988 est peine perdue, car ce fut une politique multiforme pétrie dans la glaise du réel vécu historique haïtien. Essayer de la réduire ȧ sa seule dimension individuelle est également peine perdue, même si le personnel dirigeant qui m’accompagnait solidairement dans l’exercice du pouvoir a heureusement été épargné et que mon premier ministre Martial Célestin a bien fait de me confier beaucoup plus tard, ȧ deux reprises, en présence de parents et amis témoins, que le général Namphy, sans doute remis de ses émotions, et quelques-uns de sa suite, sont venus chez Martial et l’ont fait chercher en vain ȧ la capitale après le coup d’Etat, non pour l’avertir et l’admonester de manière hostile ȧ sa personne, mais pour lui offrir la présidence provisoire de la République. Cette dernière manœuvre des auteurs militaires et civils du coup contre moi a échoué. Mais invraisemblable comme elle l’était, elle aurait été significative de la souplesse d’échine des Machiavels haïtiens aux petits pieds pour sortir de l’embarras comme les militaires d’après le 27 novembre 1987 acculés au moindre mal des élections de janvier 1988 voulues pat l’International et les Internationales, auxquelles nous avions décidé de prendre « le risque calculé » de participer.
On connaît les adversités politiques, économiques, sociales et internationales qui n’ont pas voulu que cette expérience gouvernementale puisse durer, en profitant des erreurs humaines inévitables liées aux difficultés d’innover dans ce pays sans se voir barrer la route. On a érigé en principe ce fameux « danger d’innover » inscrit en exergue dans la presse gouvernementale du successeur de Pétion et dans la mentalité collective traditionnelle jusqu’ȧ nos jours dans le contexte post-marxiste et post-noiriste. D’autres ont appelé cela, avec moi, le complot de la médiocrité contre la qualité.
Ajoutez ȧ cela l’existence dans la tradition haïtienne et dans l’esprit public d’une mentalité encline ȧ croire que le métier d’homme politique relève d’une activité liée ȧ la corruption, au « Kraze zo » pour gouverner et au favoritisme immoral, et c’est ainsi que la bonne politique saine de bien public en pâtit sur le plan de la crédibilité publique. Tous les politiciens sont mis dans le même sac, confondant les hommes politiques et les hommes d’état avec les politiciens et les politicailleurs. On sait quel effort nous avons dû consentir pour faire comprendre que « les affaires politiques dont les affaires de tout le monde et que les affaires de tout le monde sont des affaires politiques ».
J’ai fini par accepter, malgré moi, de guerre lasse, la réputation de « moitrinaire » ou de mégalomane – De Gaulle en était un – que les malintentionnés ont essaye de me faire pour tenter en vain de me laisser inhiber par une réticence pudique quelconque ȧ dire la vérité sans fard ni réserve, sachant de toute façon, que les grandes choses, pour se faire, ont besoin de grandes circonstances, de grands moyens et de grands esprits. De Gaulle, en disant que l’intendance suivra, privilégié le rôle des grands esprits.
J’ai préféré lucidement, même si ce fut apparemment sur un coup de tête excédé, mettre fin irréversiblement et irrévocablement ȧ un vain effort de quinze ans de leadership politique en service commandé pour la reconquête démocratique du pouvoir par la voie électorale après mon deuxième retour d’exil, d’un ostracisme qui aura duré un quart de siècle au total. C’est dire que ceux qui ne voulaient pas de Manigat ont été tenaces et opiniâtres, de mon retour, non sans opposition ni sans mal (le couple Ertha Trouillot- Adams par exemple en 1890) jusqu’aux manœuvres de la fin de l’expérience dite de transition Boniface-Latortue (2006). Après avoir passé la main dans le processus de la relève intergénérationnelle, je continue ma vie sous la forme exclusive désormais de ma production intellectuelle, la poursuite de mon œuvre historique étant ma dernière contribution ȧ une autre forme de combat d’un patriote vertical qui aura jusqu’au bout, comme l’autre, aimé son singulier et pauvre petit pays de « furieuse amour ». Un autre Manigat de plus est passé ȧ l’histoire politique, mais le nom a des racines historiques profondes et nombreuses. Le crépuscule de ma vie me trouve fidèle ȧ la devise de ma jeunesse : « vitam impendere vero ». Consacrer sa vie au vrai, en y ajoutant, le vrai en tant que corolaire du beau, du bon, du juste et de l’équitable. Une utopie ambitieuse d’un historien-politologue professionnel que j’aurai essayé d’apprivoiser.
LFM
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Notes pour aider ȧ la réflexion sur la solution de salut public en vue du sauvetage national, préparées pour l’émission de Michel Soukar du jeudi 18 février 2010 ȧ Signal FM, émission reprise le même soir du 18 février, et le matin du samedi 20 février 2010. Un humoriste faisait sourire en disant ȧ son audience médusée : « pas sérieux, s’abstenir ». Soyons sérieux !
Un peu plus sur la question :
Les Haïtiens ont-ils la mémoire courte ?
Un témoignage, une réflexion, une supplique, une semence
Par Leslie F. Manigat
Source: Robert Benodin, courriel du 21 février 2010
La marche d’Haïti ȧ l’abime a précédé l’horrible catastrophe du 12 janvier 2010. On sait que j’ai établi que le commencement du déclin irrémédiable de la société traditionnelle datait de la conjoncture de la fin du 19ème siècle, en fixant même l’année 1896 comme la date fatidique. Mais il y avait la perspective de la substitution d’une société moderne alors en gestation, celle-ci a tardé indéfiniment ȧ l’emporter. La fin de la fin allait se jouer ȧ partir de l’avènement du populisme, dernière réaction et dernier avatar de la survie de la société traditionnelle moribonde mais suffisamment capable de survie pour tenir la société moderne en échec. C’est alors dans cette impuissance de changement structurel que la course ȧ l’abime a précipité Haïti dans les profondeurs du passage du « développement du sous-développement » aux bas-fonds de l’hyper sous développement. (Haïti parmi les Pays les Moins Avancés du monde, les PMAs). C’est cette période de la dissolution finale des structures et des institutions haïtiennes qu’il faut mettre en cause pour analyser la tragédie haïtienne menant ȧ l’horrible catastrophe naturelle du 12 janvier, un moment de la descente continue aux enfers. Les faits du passé-présent haïtien ont la tâte dure : les Haïtiens auraient-ils la mémoire courte au point de retarder encore la solution de salut public qui est depuis longtemps déjà un urgent impératif de la conjoncture ?
Je sais, dans une évaluation historique de synthèse globale, que les obstacles internes et internationaux pour empêcher ce pays d’avancer ont été dirimants, tels que l’interdit politique international, la mise en quarantaine étrangère, le cordon sanitaire régional et les embargos commerciaux, car l’embargo commercial mortifère dans ses conséquences a commencé contre Haïti dès 1804 ȧ cause du « succès » de la révolution haïtienne.
Pendant les deux cents ans de l’existence du peuple haïtien, la dérive de la malgouvernance et les erreurs du maldéveloppement ont rendu une vraie révolution nécessaire, indispensable même, mais impossible, dans l’état du rapport des forces et de leur évolution interne et externe. Cette révolution nécessaire et impossible a enlisé Haïti dans un statu quo bien défini dans la formule « qui n’avance pas, recule ». Le poids de nos turpitudes n’a pas dépassé cependant l’action étrangère concertée contre notre pays, puis la ponction sur nos ressources exploitées dans un échange inégal dénoncé par un paysan révolutionnaire illettré, Jean-Jacques Acaau, cent ans avant l’élaboration de la théorie fameuse de la détérioration des termes de l’échange par Raoul Prebisch et ses co-équipiers de la CEPAL Révolution nécessaire mais impossible, pour changer l’état des esprits et de la mentalité avec l’avènement des idées nouvelles, les structures socio-économiques vieilles et vermoulues, et le critère décisive de toute révolution véritable, le déplacement de la propriété. La dépendance structurelle économico-financière a rogné puis détruit les bases et fondements de l’indépendance politique. Une de mes grandes thèses est que Haïti est née NATION ȧ cause de sa REVOLUTION d’INDEPENDANCE mais que les avatars de son évolution historique du fait de ses échecs en chaine, ont désintégré cet état-nation dans un processus de « nation-building » à l’inverse. Mais l’héritage sacré de la révolution haïtienne d’indépendance, outre les acquisitions, par les masses noires des anciens esclaves, de la petite propriété paysanne en échange du monopole de l’import-export monopolisé par l’oligarchie conservatrice des anciens affranchis hommes de couleur, demeure une capacité de pensée et d’invention artistique et artisanale qui ont fait parler d’un miracle haïtien comme on a parlé d’un miracle grec.
On sait que, dans tous mes écrits de ces soixante dernière années, j’ai analysé pour mes concitoyens que la crise haïtienne actuelle n’est pas une crise de plus ni une crise dans la crise, mais la crise exceptionnelle de la phase ultime du dépérissement de la société traditionnelle haïtienne. A une situation exceptionnelle, il faut un remède d’exception. C’est pourquoi dans cette situation inédite, il faut, pour assurer un sauvetage national encore possible, une solution de salut public. L’horrible tragédie du 12 janvier 2019 en rend l’adoption encore plus urgente.
Il faut insister vraiment : En vérité, en vérité, je vous le dis : ce pays a besoin d’une véritable REVOLUTION pour s’en sortir, cette révolution nécessaire mais malheureusement impossible. Nous ne sommes plus dans la situation de 1791-1804. Après 1804, je ne connais qu’une seule, une unique révolution dans notre histoire, celle de 1843, qui a vite sombré faute de soutien populaire des masses non préparées ȧ assumer les responsabilités du pouvoir et dans le militarisme de Rivière Hérard, des gouvernements des épaulettes et de la société des baïonnettes.
Quant aux possibilités d’une révolution véritable avec sa dose de violence naturelle et légitime, malgré sa nécessité évidente, elle est malheureusement impossible pour des raisons objectives internes et externes opposées ȧ la réussite d’un changement profond, durable et structurellement fondé dans les assises d’une Haïti ȧ capacité d’énergie créatrice (le peuple haïtien n’a pas les ressources matérielles ni morales pour réussir une véritable révolution, ou du moins, je n’en crois pas le pays capable dans son état, de l’entreprendre malgré une détermination de certains soucieux d’un sursaut national que nous demandons depuis ces soixante dernières années d’urgence. Ne nous faisons pas d’illusion sur ce dont les nôtres sont capables, sauf miracle de la volonté suivie d’effet. J’ai passé ma vie ȧ voir le peuple haïtien tout accepter, y compris l’inacceptable, sans réaction de rejet et je dis ȧ mon peuple : cessons donc de tout accepter ! Il faut avoir le courage et le devoir civique de cesser d’accepter l’inacceptable. Dans les cas d’infamie collective et de forfaiture nationale, il faut refuser d’accepter et j’ai donné l’exemple dans une situation récente notoire. Il y a des saintes colères comme celle de Jésus chassant les vendeurs du temple !). Mais surtout l’international ne permettra pas la nécessaire révolution de salut public de sauvetage national haïtien ȧ cause de la dose de violence inévitable et naturelle sinon légitime qu’elle charriera, et je le comprends car une violence même tactiquement acceptée peut être débordée pour se convertir en une destruction aveugle de tout en commençant par les apprentis sorciers. Or c’est l’international qui a la force de répression et exerce déjà la tutelle sur notre pays sous le nom du besoin de « stabilisation ». Les lambeaux de souveraineté qui nous restaient nous ont été enlevés quand le centre des décisions politiques pour Haïti a été dévolu ȧ l’autorité suprême du quartier-général des Nations-Unies ȧ New-York, pour être transmis à un proconsul étranger déjà investi de l’onction du Saint Chrême de l’hégémonie souveraine de la plus grande République impériale dotée de l’hyperpuissante mondiale.
Et puis, depuis la seule révolution authentique récente dans la région, je veux dire la révolution cubaine de Fidel Castro, le dogme est d’empêcher un second Cuba, et effectivement il n’y en pas eu une seconde, sauf à scruter le ciel et chercher du coté des changements ethno-indigénistes actuels en Amérique Latine, ce qui me fait rappeler qu’il n’y en pas eu de révolution ethno-indigéniste depuis la seule de cette nature exemplarisée dans la révolution haïtienne d’indépendance dans sa formule dessalinienne. Le radicalisme dessalinien, dans son obsession d’une union nationale égalitariste fondée sur la race, la propriété pour les anciens esclaves, l’appartenance identitaire ȧ l’ethno-culture nègre et ȧ « l’armée indigène » (appellation officielle des forces armées des guerres d’indépendance) n’avait plus de sens pour les assassins de l’empereur qui lui ont substitué une oligarchie conservatrice dominée par la faction élitiste des hommes de couleur, anciens affranchis, composée des Pétion, Bonnet, Gérin, Inginac, Boyer, Nau, Lespinasse, Sabourin, Imbert, Borgella, Carrié, Vilvaleix, Joute Lachenais et tutti quanti, représentant le contraire exactement de l’ancien dessalinisme, et que Paul Verna a appelé la « société créole » claire de peau, comme les latifundistes venezueliens que Pétion a généreusement secourus comme frères basanés (et c’est le même Paul Verna, homme de couleur haïtien devenu vénézuélien, qui a souligné la communauté d’appartenance épidermique de cette engeance solidairement pigmentocratique.
I. – Tout doit commencer par la consignation d’une triple liaison historique récente autour du thème d’une solution haïtienne de salut public, face au dépérissement de la société traditionnelle haïtienne jusqu'a encourir la perte de ce qui reste de souveraineté nationale à notre pays déjà sous tutelle étrangère, quand l’horrible catastrophe du 12 janvier est venue l’ensevelir sous les ruines et les décombres de quatre villes martyres parmi les zones sinistrées : Port-au-Prince, Léogâne, Petit Goâve et Jacmel.
Précisons la problématique avec les problèmes qui s’ensuivent et auxquels la collectivité toute entière doit faire face et qu’elle doit résoudre au cours des prochaines décennies.
Les trois dates récentes d’un destin national en perdition
-Disons-le, au départ, (in limine litis), en historiens, il s’agit de trois dates de référence dans la succession de la marche ȧ l’abime : la chute de notre gouvernement du 7 février au 19 juin 1988 et l’effarante plongée de la courbe évolutive de la situation globale du pays quand la Banque Mondiale, dans son rapport de 2002 situe « la décomposition » du pays après 1988. Le dernier sursaut de réveil a eu pour espace-temps notre expérience de gestion gouvernementale des quatre mois et demi de Manigat au pouvoir.
-Deuxième date : la fin du premier mandat d’Aristide, après l’échec avéré d’une expérience politique qui a sombré dans son contraire après avoir soulevé les espoirs du peuple haïtien dans un messianisme salvateur qui s’est soldé par un échec objectivement malheureux ne laissant que la nostalgie vivace dans certains milieux populaires d’une chance perdue une fois de plus. Il faut dire qu’elle avait mal commencé par « la mise en cage » du président revenu avec les troupes américaines d’invasion dont le corset le maintenait dans la ligne droite des accords de Washington qui lui liaient les mains dans une capitulation consentie comme prix du pouvoir. L’expérience du premier mandat de Préval fut une parodie dérisoire de ce que le pays attendait après les années de remise de fond en comble par un « Titid » populaire porteur d’une véritable révolution trahie.
-Troisième date : le coup d’état de la fuite du président Aristide sous la poussée de l’offensive américano-française intervenant pour son éjection du pouvoir en 2004. La confusion était déjà à son comble dans un vide de forces de sécurité laissé par la dissolution de l’armée substituée par le règne des gangs politiques porteurs de la dissolution des liens de la société civilisée justificatrice des forces d’occupation de la Minusta. Le pays ne s’en est jamais relevé, sauf le faux remède trompeur de la stabilisation dispendieuse assurée artificiellement par les blindés, les troupes et la flotte omniprésente des véhicules de transport marqués du sceau NU (Nations-Unies)
Trois étapes du martyrologe haïtien. Le genre Manigat (ou de ceux qui pourraient lui ressembler) est interdit d’accessibilité au pouvoir (le genre d’Aristide d’ailleurs tout autant malgré les apparences). Son retour au pouvoir est conclu en haut lieu, comme exclu, mieux : forclos.
II. - Une déraison qui n’a eu pour caractère démocratique que le mot. Tout l’appareil institutionnel des operateurs politiciens s’est mis à se gargariser de l’expression de « mouvement démocratique » de 1984 à 2004 alors que l’aspiration véritablement démocratique avait déjà sombré avec le choix d’un gouvernement militaire au départ forcé de Jean-Claude Duvalier, et la survenue des événements sanglants de novembre 1987 pour empêcher les élections alors programmées, dont on voyait la main de l’armée obstructive. Or, c’est l’armée qui a repris la direction du pays avec Namphy II et le général Avril I et II jusqu’a l’épuration de la tète puis de la paralysie des membres du corps par l’arrêt de fonctionnement opéré par Aristide. Après quoi, on a eu pire car l’ère des gangs politiques lui a succédé, officiel, officieux ou par personnes et institutions interposées nationales et internationales. Plus que jamais, il est question de militarisation du pays. On a écarté la nationale pour mieux lui substituer l’internationale à grands frais. Celle-ci n’a pas voulu de la voie et de la voix des patriotes haïtiens et a choisi un proconsul brésilien érigé en « imperator » aux ordres. On a vu qui ont été écartés à ces moments-lȧ et ce n’est pas par hasard. N’est-ce pas Préval qui a été invité pour empêcher le retour de Manigat au pouvoir ? Aujourd’hui, le même Préval peut vouloir profiter de l’impossibilité des élections de la fin de l’année 2010 pour jouer aux prolongations comme au football en sa faveur ou en faveur de l’un des siens. C’est cette perspective qui devrait servir de repoussoir pour un réveil de conscience en faveur de l’alternative la mieux novatrice, la plus compétente, la plus idoine, la mieux située sur la scène politique haïtienne actuelle autour de laquelle on pourrait négocier un consensus raisonnable. Préval aurait alors à se soumettre ou se démettre, car l’homme qui voudrait rester à Limonade ou ȧ Furcy préférerait se retirer à Miami, au Brésil, à Cuba ou à Caracas plutôt que courir le risque d’être lynché à la Vilbrun Guillaume Sam, ce qui ne serait pas bon pour lui, ni salutaire au pays.
III. -Et c’est ici qu’il faut placer une distinction fondamentale dans le cours du déroulement de la vie politique haïtienne, toutes tendances confondues. Il y a les « operateurs » en tant que fabricateurs des décisions et des actions de la vie politique Ce n’est pas un problème de poids réel dans la balance politique mais d’un art d’occuper l’espace de la scène politique soit par une omniprésence bruyante soit par des conciliabules de derrière les rideaux où se négocient les arrangements concrets. Ce n’est pas seulement le lieu de la magouille. Ce n’est pas nécessairement immoral. La preuve, c’est que j’y vois évoluer mon estimable confrère et ami Victor Benoit, le « Maitre Ben » populaire des étudiants qui l’ont à la bonne avec le sourire persifleur, et des politiciens désireux de ménager leur réputation de popularité, fondée ou non, et sachant se positionner. L’exemplaire de ces operateurs politiques est tiré à des centaines voire des milliers d’exemplaires sinon plus, et le type réussi occupe le haut du pavé et attire le lime light des medias. On peut donc dire ab uno, disce omnes.
La deuxième catégorie est représentative, détentrice et porteuse des forces vives de la nation et c’est elle qui fait la décision dans la détermination du destin collectif, qu’elle oriente ou non les opérations de surface comme les élections à financer ou qu’elle se met la barbe à la trempe quand la direction du pouvoir réel semble devoir lui échapper. On pense aux militaires bien placés, mais comme ce sont les financiers qui mènent le monde, beaucoup des incarnateurs des forces vives de la nation élèvent un culte aux forces d’argent qui maintiennent sous contrôle sinon sous leur obédience, les professionnels, les intellectuels, les forces religieuses, les forces du travail et les medias, ces derniers obligés ȧ tenir compte par exemple de la publicité pour faire vivre leurs organes de communication diffuseurs de la vérité opportune à répandre.
La « société » haïtienne a ses favoris et ses mal-aimés.
Il se peut que les opérateurs arrivent à s’infiltrer dans les coulisses des forces vives ou soient des parties prenantes dans la mouvance des forces vives par osmose ou par jeu ou par intérêt ou par affinités. Alors on a le hardcore de la politique haïtienne laissant quasi en position de hors jeu le softcore de celle-ci. On peut trouver dans notre histoire des cas d’hommes d’état découragés par leur mise à l’écart de la centralité du pouvoir par les habiles qui n’avaient pas leur envergure.
IV. -Le coup de colère sur coup de tête de Manigat se retirant de toute activité politique d’engagement personnel responsable quel qu’il soit a-t-il été intempestif ? Il n’était pas obligatoire, comme De Gaulle n’était pas obligé de se retirer quand il l’a fait. Mais il y a la lucidité de l’orgueil reconnaissant une impossibilité de rester dans des conditions de fierté verticale se cabrant devant un échec même non encore terminal, et surtout, dans mon cas, la réaction d’un lutteur excédé devant jusqu’où la perversité humaine peut aller ouvertement et cyniquement et dérisoirement (la majorité forgée de toutes pièces devant le pays résigné malgré l’énormité de la fraude initiale, l’eau houligan de la piscine de l’hôtel Montana sur une plaisanterie acceptée par le pays tout en la sachant telle, la réinsertion au grand jour des bulletins de vote dans le circuit par une supercherie qui a fait criminellement sourire, et enfin l’inflation des urnes d’une quantité de voix inventées pour éviter un deuxième tour légalement inévitable ȧ la face d’un pays incapable de réagir contre la forfaiture, c’en était trop. Je ne me voyais plus pouvoir faire de la politique dans cette boue. On m’a reproché de l’avoir dit. Mais le spectacle de voir aller à la soupe et de voir les chiens revenir à leur vomi, selon le mot de l’Evangile, a été plus fort. Ayant déjà passé la main, il m’était plus facile de me retirer sur mon Mont Aventin, refugiant mes vieux jours à écrire, delà produire et à publier une œuvre historique encore inachevée malgré les gros tomes rouges de mon Eventail d’Histoire Vivante. Mon ambition, qui a toujours marqué ma vie active, est aujourd’hui cette continuation d’une passion intellectuelle qui aura dépassé une passion pour la politique, que j’ai héritée dans le sang de grands ancêtres.
V. -Mais qu’ai-je dit au pays de ma voix d’intellectuel patriote responsable au-dessus de la mêlée dans une indépendance d’esprit qui me permet de dire ce que je veux librement, sans attaches d’aucune sorte aujourd’hui, mais dans la ligne de fidélité à la vérité de mes principes et de mes combats d’une carrière de 60 ans ?
D’abord, j’ai vécu l’horrible catastrophe du 12 janvier chez moi, dans mon bureau, cloué d’épouvante devant la furie des forces de la nature déchainée à détruire. Je l’ai déjà décrit avec mes deux questions ȧ l’esprit, l’espace d’un cillement : la force de destruction qui a tout ébranlé dans une vision d’apocalypse n’a pas détruit la maison, comment et pourquoi ? Je ne crois pas à la seule raison rationnellement suffisante cependant, qu’elle avait été construite pour résister à des pressions formidables de ce genre. Deuxième pensée-éclair ; Je suis à l’article de la mort sans phrase car tout s’est écroulé dans le bureau, et les meubles et les rayons de la bibliothèque dansaient une valse-hésitation comme pour savoir où tomber. Or aucun ne m’est tombé sur la tête, mais ȧ terre autour de moi sans m’égratigner. On a été obligé de venir me chercher par derrière la maison après un dialogue hilarant : Professeur, vous n’êtes pas mort ? Non, et vous ? On est vivants et on va venir vous retirer de lȧ par derrière. Mon heure n’était pas encore venue. Tout mon personnel domestique s’en sortait sans une seule égratignure, émergeant des débris d’alentour car la force en furie du séisme avait pulvérisé l’intérieur des meubles les plus fragiles (Verreries, argenterie, objets familiers de la vie quotidienne) et surtout les murs de la résidence pulvérisés sur trois façades, nous laissant pour ainsi dire presqu’à nu par rapport aux voisins. Mais comment dire ce soulagement instantané, joyeux et il faut l’avouer humainement égoïste d’avoir été parmi les survivants ? C’était déjà la tombée du jour. Et la terre continuait à trembloter !
Le lendemain, on trouve que l’électricité de la génératrice nous avait charitablement valu de pouvoir allumer la maison et faire fonctionner deux ou trois appareils échappés à la destruction ou non en dérangement, dont le réfrigérateur. Nous étions des sinistrés providentiellement heureux par rapport à ce que l’on commençait à apprendre du pays. Dès le lendemain, on était dans les rues, non en curieux, mais pour pouvoir témoigner et assister. Dans l’après-midi, nous étions ma femme et moi au chevet d’une amie très proche, hospitalisée ȧ l’hôpital de la Communauté haïtienne, que nous trouvons en attente de radiographie. Elle était souffrante mais confiante. Elle n’a pas survécu finalement à la démolition physique de son corps pourtant structurellement robuste. Quelques minutes plus tard, on se rendait au cimetière du Parc du Souvenir pour participer à l’inhumation en stricte intimité familiale, de ma nièce et filleule Yolaine Lhérisson, victime de l’effondrement de l’immeuble de son bureau. Au dehors, c’était l’abomination de la désolation dont parle la Bible. Pas un signe ni un signal public de l’autorité responsable.
VI. -J’ai dû attendre décemment et vainement les premières quarante-huit heures pour le premier message attendu de la tête du pouvoir, mais devant la défaillance du chef de l’Etat ȧ ne vouloir rien dire sauf deux incongruités rapportées par ses proches, j’ai dû, le premier, je crois, ȧ l’exception d’une Marie-Jocelyn Lassègue , ministre de la culture, s’activant ȧ consoler et ȧ se solidariser avec les victimes, expression d’un scoutisme douloureusement sympathique, j’ai donc dû prendre publiquement la parole par la voie de l’internet, pour recommander les premières mesures d’urgence pour la mobilisation d’un effort national et des dispositions d’impact symbolique, psychologique ȧ cause des traumatismes individuels et collectifs, socio-économique, ethnoculturel, religieux, moral et pratique, de sécurité préventive et dissuasive de l’état comme un couvre-feu sous la vigilance des forces policières et de certains contingents militaires rappelés au devoir du service, et de salut public comme la permanence citoyenne au service de l’ordre et du respect des biens, ȧ efficacité de court , de moyen et de long terme qui s’imposaient en attendant, pour voir venir et encadrer l’aide extérieure déjà déclenchée dans un élan de solidarité superbe pour Haïti, avec les étrangers experts ès questions haïtiennes du meilleur au pire. Je rappelle l’essentiel des mesures que je recommandais comme immédiates pour parer au plus pressé. Un deuil national de trois jours, inauguré par une cérémonie œcuménique en mémoire des disparus de toutes conditions et de toutes croyances y compris les convictions de l’athéisme, de l’agnosticisme, de l’ésotérisme et de l’incroyance. L’appel aux ressources matérielles et humaines locales accompagnait la proposition d’un Haut Conseil Supérieur de 12 membres (« les douze apôtres ») représentatifs des 12 forces vives de la nation invitées à prendre leurs responsabilités face ȧ la situation, haut Comite de salut public coiffé d’une cellule de crise de trois membres pour obvier ȧ la défaillance du Président de la République, car on avait la preuve palpable que « nous n’étions pas gouvernés ». La nature a révoqué le chef nominal de l’Etat, mais la Providence attend toujours l’exécution du verdict par le peuple. Nous invitions les têtes pensantes ayant survécu ȧ la tourmente et la diaspora toute entière ȧ se solidariser avec l’Haïti de l’intérieur si durement frappée, pour une réparation urgente des dégâts mais surtout pour une reconstruction nationale modernisatrice qui était le consensus de tous exprimé des quatre coins du pays et de l’Haïti de l’extérieur vers la cohérence d’un plan graduel et solidaire pour la renaissance haïtienne. Pleuvent drus les suggestions ; plans et propositions de toutes parts, individuels et collectifs, esquissés brefs ou longs de plus d’une centaine de pages, ȧ mettre en forme pour un plan cohérent et graduel ȧ formuler pour le sauvetage national. Je l’ai toujours dit « la solidarité s’enseigne, la solidarité s’apprend ». Mais j’ai dit encore plus fort que, même avec les deux préalables d’une amélioration du niveau de vie matériel et éducatif du pays, parmi les priorités des priorités, il faut inscrire le mental, je veux dire ce dont est capable le peuple haïtien pour s’en sortir, autrement dit : de sa capacité d’énergie créatrice. En bref, c’est l’esprit qui compte, c’est l’esprit qui doit dominer, c’est l’esprit qui vient d’abord. L’autre disait « Je veux, je peux » mais pour menacer ou faire détruire l’ancienne cathédrale de Port-au-Prince vieille de trois siècles d’histoire nationale. Nous disons : « nous voulons, nous pouvons », dans l’esprit de construire la nation moderne de l’Haïti de demain sur les ruines de la plus grande catastrophe naturelle de notre histoire.
Dans cet esprit, parallèlement, je participe ȧ l’effort de création d’un Comité international de soutien ȧ l’Université Haïtienne dont l’initiative a été lancée par un universitaire haïtien enseignant ȧ Mexico (Guy Pierre) en solidarité morale, scientifico-technique, socio-économique et institutionnelle avec le monde académique haïtien sinistré. L’information en été sans nul doute portée ȧ la connaissance de tous les intéressés ȧ cet effort collectif dans les plus brefs délais, car l’acte constitutif du Comité international a été préparé et les personnalités étrangères qui ont accepté d’en faire partie approchées avec leur assentiment. Cependant, c’est l’Université haïtienne qui sera responsable directement de cet effort en maitre d’œuvre et en sera bénéficiaire mais avec le soutien et l’action du Comite International de soutien, d’appui et d’action dont la présidence m’a été offerte pour avoir un universitaire haïtien connu ȧ sa tête, mais j’étais et suis prêt ȧ servir ȧ tout niveau sollicité, et c’est avec gratitude et allégresse que je vois les capitales étrangères accueillir des conférences et réunions pour organiser des efforts de coopération, et les ONGs comme « Aide et Action » ou « Lutte contre la faim » s’activant sur le terrain universitaire en faveur de l’enseignement supérieur haïtien, ainsi que les initiatives privées de partout.
VII. -Le reste de ma première intervention publique en m’autorisant de ce que j’ai pris l’habitude d’appeler une voix responsable de patriote en toute indépendance d’esprit, comme par-dessus la mêlée en quête individuelle d’une expression de la volonté nationale pan-partisane, renforcée de recommandations « en vrac » au cours d’une seconde intervention complémentaire, fut ȧ dessein de saisir l’occasion de la publication sans doute sincère mais insuffisamment informée et trop absolue, de la contre-vérité consistant ȧ dire, comme ex-cathedra, qu’AUCUN des gouvernements, DEPUIS 1984, ne s’était plus soucié de bannir les constructions anarchiques dangereuses attentatoires au bien-être écologique de la nation, les épinglant de la sorte comme coupables de la désertification du pays par l’érosion géomorphologique et par les impérities de la gestion publique. Or précisément, le gouvernement du 7 février 1988 (donc après 1984) s’était justement attaché ȧ empêcher les constructions anarchiques dangereuses allant même jusqu'à les détruire spectaculairement Il me fallait sauter sur l’occasion pour, non seulement rétablir la vérité du cas ignoré par l’énoncé d’une contre-vérité d’évidence, en défense même légitime de mon gouvernement de quatre mois et demi du 7 février – 19 juin, mais dans une véritable « apologie pour l’histoire et la vérité ». C’est ȧ cette tâche que je me suis attelé dans la dernière partie de ma première intervention en improvisant, de mémoire, quelques exemples de ma gestion gouvernementale, non seulement dans le domaine des travaux publics et de la protection de l’environnement, mais pour illustrer notre action au pouvoir de cas précis d’un effort réussi d’inspiration national- progressiste et d’étiquette officielle social-chrétienne nationale et internationale de centre-gauche.
Voici donc venir, en résumé, ce que j’esquissais dans cette improvisation qui a occupé le reste de mon intervention de salut public.
L’habitude a été prise d’omettre le gouvernement constitutionnel du 7 février 1988 dans la série des régimes qui se sont succédés de la chute de Jean-Claude Duvalier ȧ nos jours pour leur attribuer des caractéristiques générales judicieuses ou fantaisistes. J’ai essayé de m’éloigner de cette problématique de vulgate en me plaçant dans une optique qui voyait les acteurs-témoins sans passion mais avec leurs passions. Voir la politique autrement pour la faire autrement.
Sait-on que je n’ai jamais participé ȧ la phobie anti-Aristidienne ni a l’adulation idolâtre d’un homme avec lequel je n’ai eu aucun entretien parce que ses demandes en ce sens quand il était au pouvoir rencontraient une attitude claire de ma part de différer tout entretien qui ne pouvait aboutir ȧ un rapprochement, alors que j’avais été séduit un moment par la parole prophétique du messianisme d’avant sa candidature ȧ la présidence de la République, de l’homme que j’appelais le Savonarole de la révolution haïtienne, ce qui pour moi était un compliment, car le moine ardent de Florence était le héraut et le héros d’une théocratie de type christique venu comme rédempteur d’un monde injuste et inacceptable dans son ignorance des aspirations messianiques populaires. Mais il y avait entre nous une distance sur des positions de désaccords idéologiques et de pratiques politiques qui menaient l’homme ȧ devenir le contraire de ce qu’il était ȧ l’origine et ȧ faire le contraire de ce dont il avait pris l’engagement de faire. La recherche de la présidence a fait d’un Polyeucte un Catilina. C’est le cas de le dire : « Comment en un plomb vil, l’or pur s’est-il changé » ? Il courtisait politiquement mes filles dont il s’était attiré les chants de sirène partisans de l’une jusqu’au fanatisme anti-paternel. Au pouvoir, je n’ai été mêlé aux menées de quiconque qui aurait pu me porter ȧ faire un geste public contre lui, et même il bénéficiait de la protection de Jean-Claude Paul qui ne me le cachait pas, et j’étais ainsi complice en quelque sorte, ce qui m’a créé un embarras quand le haut clergé demanda au bras exécutif séculier de participer ȧ envoyer le tribun dangereux en exil. J’allais devoir donner l’ordre de le faire discrètement par courtoisie, mais sans enthousiasme car ce n’était pas mes oignons, sauf si le maintien de l’ordre public était en jeu, quand l’intéressé s’arrangea pour ne pas partir. Lui au pouvoir, il n’a pas sévi contre moi qu’il considérait sans doute comme un adversaire ȧ gagner, sauf un moment de menaces non voilées que son entourage avait fomentées pour raviver et nourrir une inimitié qui n’avait pas de raison de jamais âtre sans quartier. On ne s’est jamais serré la main parce que j’évitais de me trouver face ȧ face avec lui et qu’il a respecté ma décision de ne pas pactiser avec lui que l’historien-politologue en moi voyait comme une déception de ne pas pouvoir lui reconnaître l’étoffe que je lui avais attribuée originellement quand il était encore un prophète inspiré. Il m’a invité par téléphone, ȧ venir au palais « voir le bureau que j’avais occupé » (sic) (une allusion sans doute au fait que j’avais demandé ȧ l’ISPAN, de Patrick Delatour, qui s’en était acquitté ȧ ma satisfaction, de rénover l’aile de la réception et des bureaux officiels de la présidence). Je n’ai pas cru en lui tout en ne le haïssant point. Il a emprunté de moi le slogan « Tout moun se moun » qu’il a porté ȧ une plus grande vogue que moi, mais non avec plus de sincérité. On s’est finalement ignoré, pour le bien de chacun, car il n’était pas encore important quand j’étais au pouvoir, et je n’étais plus important non ȧ ses yeux mais aux yeux des siens, quand il a été au pouvoir. Il faut comprendre que je croyais possible de « faire la politique autrement » selon un de mes slogans de candidat ȧ la Présidence de la République. Dans cet esprit, nous ne vivions pas dans la même planète.
Le post-duvaliérisme, dans la mesure où le duvaliérisme est mort en 1986, ce qui n’est pas démontré, et demeure une hypothèse d’école tandis que le post-noirisme est considéré obsolète alors que des signaux noiristes encombrent encore les expériences de l’époque Lavalassienne dans un bouillon de culture où la question de couleur sert d’étalon implicite des professions de foi, et pèsent d’un poids important comme vérités officielles entendues. L’époque des Duvalier avait été celle de la dictature, l’époque post-Duvalier est celle décorée de la démocratie ! L’époque des Duvalier (malgré le bémol majeur Michèle Bennet reine contre-nature) était dominée par les tontons macoutes noiristes, époque tontonmacoutarde ȧ dominante signalétique de la peau noire. L’époque post-Duvalier d’après 1986 se targue d’avoir dépassé la question de couleur pour des questions plus fondamentales comme la lutte contre la pauvreté, la nécessité de la centralisation, du contrôle de la massification et de l’exode rural puis diasporien. Les « camoquins » dont on faisait la chasse sous Duvalier au nom de la lutte de couleur ont changé de peau en devenant les déchouqueurs et les « chimères » attitrés de la lutte des classes de 1986. C’est dans ce contexte de tournant historique que l’originalité de mon administration a démontré sa positivité créatrice comme une exception de détente par rapport aux fanatismes aveugles de la tension sociale. Faire du neuf, asseoir le changement institutionnel, renouveler le personnel dirigeant, apprivoiser les prépondérances « rances », faire une incursion prospective dans le monde d’avenir du sérieux progressiste, tels furent les signaux nouveaux lancés par la nouvelle équipe gouvernementale au point que les vaincus de novembre 1987 préparaient leur retour au pays et aux affaires avec nous, et que la diaspora organisait son triomphe avec son atout financier des transferts mal récompensés parfois par une réticence voire une résistance ȧ son allure de nouvelle bourgeoisie « arriviste » conquérante. Nous autres, nous étions ȧ la fois ceux du dedans et ceux du dehors. Manigat, de vieille souche, ne faisait pas « diaspora » malgré 23 ans d’exil. Mais c’était fragile car le moindre faux pas changeait les classifications figées entre ceux qui avaient enduré Duvalier sur place et ceux qui sont revenus en descendant du ciel, selon un mot du général Namphy. Un jeune partisan m’ayant reproché d’avoir favorisé la diaspora dans le choix de mes collaborateurs, a été invité ȧ faire l’évaluation comparative, aux résultats contraires ȧ son attente. Nous ne pouvions pas, et nous n’étions pas parfaits, mais nous étions ȧ la recherche de la perfection.
VIII. -Nous avons choisi le terrain de la politique des Travaux Publics de mon administration pour commencer à présenter le nouveau visage de mon gouvernement car la contre-vérité du mot de Michel Soukar nous a servi d’introducteur d’analyse d’un premier bilan de réalisations dans les quatre mois et demi de la gestion du nouveau pouvoir. La légèreté involontaire mais injuste du mot de notre confrère historien Michel Soukar était une aubaine pour, en rétablissant la vérité en ce qui nous concernait, nous permettre de commencer ȧ camper l’équipe gouvernementale par lȧ où elle s’estimait contestée ȧ tort ou oubliée injustement. Heureux mécompte !
En effet, la mémoire haïtienne est courte même pour des historiens patentés, car on a entendu une voix connue de cette catégorie professionnelle savante affirmer avec aplomb que DEPUIS 1984 aucun gouvernement n’a fait quoi que ce soit, en dehors de la magie des mots, dans le sens des intérêts du pays national dans le domaine des constructions anarchiques dangereuses pour la sauvegarde du patrimoine naturel, avec les méfaits de l’érosion géomorphologique qui s’ensuivent, autrement dit dans le domaine de la prévention des catastrophes naturelles et de la protection des bassins versants du Morne l’Hôpital par exemple. Au nom de la vérité historique précisément, si facile ȧ fouler aux pieds par défaillance de la mémoire, ce qui n’est pas seulement un péché véniel chez un historien, l’ingénieur Elysée Nicoleau, sous mon gouvernement et dans le cabinet ministériel que j’ai eu le privilège et la fierté de donner au pays comme hommes capables et intègres de l’équipe de février-juin 1988, peut s’inscrire en faux contre cette assertion. Son œuvre porte témoignage combien, ȧ l’égal de ses collègues tout aussi méritants, chacun dans son domaine et tous sous la direction dynamique et progressiste du timonier de l’heure, s’est déployée avec sa compétence technique, son audace d’homme de modestie mais de fermeté, et de dévouement sans mesure ȧ la chose publique haïtienne spécialement et spectaculairement contre les constructions anarchiques précisément. C’est lui qui a sauvé techniquement les ponts stratégiques de Bourdon et de la Croix des Missions rénovés en urgence record pour la remise en circulation, valorisé les sites des zones écologiques du Morne Garnier et du Juvénat, et qui, couvert de l’autorisation expresse du Président de la République, pour l’exemple, a réalisé au bulldozer l’opération de protection des bassins versants du Morne l’Hôpital en détruisant les constructions anarchiques dangereusement édifiées dans cette zone sensible, y compris symboliquement la « rectification » de la résidence du Président du Senat, un ami personnel et politique de vieille souche capoise commune.
Peut-être pour beaucoup, ont été plus mémorables sinon plus frappants la conception et les débuts de réalisation graduelle de la Route de Carrefour ȧ trois itinéraires de décongestionnement de la route du Sud ( niveau de la chaussée par la route habituelle courante reconsolidée et élargie, niveau aérien audacieux des trèfles des villes américaines pour la distribution du trafic par zones de résidence, et niveau maritime par ferry-boat de Mariani au Sud-ouest jusqu’au port d’embarquement vers l’ile de la Gonâve au Nord-est sur la route des plages de Montrouis. Sait-on que le gouvernement avait déjàȧ commencé ȧ dédommager financièrement les premiers riverains de ces artères ȧ partir de la jonction du Bicentenaire avec l’Ecole Ménagère et l’Eglise Sainte Bernadette en direction de Martissant ? Je ferai dans mes « Souvenirs et Mémoires » le bilan de cette politique de Travaux Publics dans le contexte des plans et des réalisations de notre expérience gouvernementale, si Dieu nous prête vie, la première mouture du volume de 540 pages du manuscrit que j’avais rédigé ȧ Genève en 1989-1990 consacré ȧ l’histoire de mon gouvernement devant âtre refondue par suite des documents, témoignages et livres rendus publics depuis 1990.
IX. – En attendant, je saisis l’occasion pour citer ici-même des exemples concrets de cette expérience gouvernementale d’innovations dans quelques autres champs d’action comme pour rappeler qu’on a été capable de faire des choses en 1988, raison de plus pour en faire de nouvelles dans les dix a quinze ans suivants ! Citer notre expérience de 1988, c’est pour faire valoir un précédent dont l’inspiration pourrait âtre exemplaire. C’est d’abord la lutte contre la vie chère en cassant les prix des produits de première nécessité et en important le riz de Miami pour le distribuer aux marchandes ȧ destination des marchés populaires sans briser les circuits de redistribution et on se souvient encore que le bon peuple appelait ce riz « le riz Manigat a 1gde 25 la petite marmite ». C’était un volet de notre lutte contre la pauvreté. Un autre champ d’action gouvernementale en liaison avec notre politique dans le domaine de l’énergie fut la délocation d’une raffinerie de pétrole de Maracaibo (Venezuela) pour devenir haïtienne aux Gonaïves, avec les entrepôts du fuel prévus dans la baie de Fort-Liberté, dans le cadre de la coopération haitiano-vénézuélienne avec, en même temps, la construction en cours par les services de génie de l’armée venezuelienne des premiers logements sociaux clefs en mains ȧ Port-au-Prince, zone de Sans Fil, dans un projet élargi déjàȧ décidé pour le Cap, les Cayes et les Gonaïves avec sélection des sites de pauvreté. Dans le domaine de l’Education Nationale, outre un plan ingénieux du gouvernement pour ne pas lasser perdre l’année scolaire aux élèves, ce fut l’arrivée ȧ Port-au-Prince des premières unités de la première centaine d’appareils ȧ l’énergie solaire pour l’enseignement ȧ distance obtenue de la Coopération Française ȧ un moment ou le premier Ministre Jacques Chirac, en pleine « cohabitation », soignait avec le Ministre Aurillac et les encouragements de l’ambassadeur de France a Port-au-Prince Michel de la Fournière, les relations privilégiées France-Haïti et nous attribuait trois Instituts de Technologie l’un pour Port-au-Prince (projet réalisé après mon départ, ȧ Drouillard), le second pour le Cap Haïtien et le troisième pour les Cayes dont je n’ai plus entendu parler. Dans le domaine des relations patronat-travail, c’est le fonctionnement, inauguré par le Président de la République au Palais National, d’une commission tripartite Etat-Secteur Privé des affaires-Syndicats ouvriers et paysans. Dans le domaine de l’économie nationale, nous nous sommes lancés dans une stimulation de la production par l’entreprenariat national en promouvant un modèle de production associant l’agriculture, l’industrie et le commerce dans la même entreprise, et ma première visite officielle fut pour l’entreprise « La Famosa » en plaine du Cul de Sac où Nessir Mourra plantait des tomates avec les paysans, fabriquait des jus, des pates et un « ketchup » national savoureux, et assurait l’approvisionnement du marché local et l’exportation dans la région caraïbe voisine. Il faut signaler que ce modèle fonctionnait dans le complexe des usines Brandt pionnier de la production nationale dans son principe, mais portant davantage sur deux domaines d’activités plus que sur l’intégralité des trois. Dans un autre ordre d’idées, sait-on que c’est mon gouvernement qui a inauguré le calcul du « panier de la ménagère » ȧ la fois pour une appréciation de la diète alimentaire idéale et surveiller l’évolution des prix des produits de base pour la nourriture et l’habillement (avant l’ère des pèpès) pour que ces produits ne s’emballent pas sur le marché de la consommation ? Il y avait une diététicienne d’Etat recrutée par un ministre ami pour faire partie comme technicienne du personnel au pouvoir. Un Conseil National de la Recherche Scientifique (CNRS) ȧ l’équipe de direction partiellement choisie de certains techniciens et professionnels pressentait d’autres pour en faire partie, devait âtre créé institutionnellement en septembre-octobre 1988 sur le modèle français que nous connaissions par expérience de participation, pour commencer les investigations scientifiques dans trois domaines retenus comme pionniers : les vertus curatives des plantes, les sources alternatives d’énergie substitutives du charbon de bois (on pensait aux éoliennes et ȧ la biomasse, en plus du pétrole local prometteur découvert dans des réserves ȧ évaluer déjà mentionnées dès 1928 par Woodring. Et le troisième était les matériaux et les techniques de construction (ardoquins, asphaltes naturels, pisés d’argiles paysans, utilisation des bois, résistance des matériaux etc.).
Et puis, qui, sans mauvaise foi, pourrait attribuer ȧ nul autre gouvernement la création du Ministère des Affaires Culturelles, la création, au sein du Ministère des Affaires Sociales, d’une Secrétairerie de la Condition Féminine, la création d’un Ministère de la Solidarité et de la Sécurité Sociale pour les mouvements Fédératifs, les Coopératives, les Mutuelles et les Caisses populaires qu’on a vite laisse tomber significativement ȧ la chute du gouvernement.
L’association du vodou pour l’inventaire et la mobilisation des ressources en santé physique et mentale était facilitée par la prise de position publique des trois fédérations vodoues unifiées sous la houlette de Hérard Simon, Max Beauvoir et de Réginald Bailly entre autres, en faveur de mon gouvernement connu comme social-chrétien sur le plan national et international dans le cadre de l’ODCA (Organisation de la Démocratie Chrétienne dans les Amériques) affiliée ȧ l’IDC, mais respectueux et promoteur de la liberté des Cultes et reconnaissant la spiritualité de la religion populaire ȧ distinguer d’une sorcellerie ancestrale dont les crimes étaient passibles des sanctions du Code pénal.
Tel devenait l’état d’esprit d’une bonne partie de la jeunesse qu’un groupe non-gouvernemental vint jusqu'à dire publiquement qu’au lieu de l’obsession des belles voitures et des belles femmes ȧ acquérir rapidement, il valait mieux désormais préparer l’avenir individuel, familial et national en se meublant le cerveau.
Comme par coïncidence, le Chef de l’Etat, la Première Dame, le Premier Ministre, le Ministre des Affaires Etrangères, le Chef du cabiner particulier du Président, et son médecin personnel avaient fait leurs études supérieures dans les universités françaises, tandis que d’autres membres du gouvernement étaient des diplômés de grande classe des universités américaines comme ingénieurs, médecins et professionnels de renom.
Il n’y avait pas que les « Ti koze an-ba ton-nel » dans la politique de formation de l’esprit public sous mon gouvernement, toutes classes confondues, pour maintenir le pays réel informé par la voix hebdomadaire en créole du Président de la République, de la gestion des affaires publiques et expliquer les priorités pour s’attaquer aux problèmes ȧ résoudre en faisant comprendre qu’on ne pouvait pas tout faire ȧ la fois. Par exemple, l’exploitation des gisements aurifères de la Cordillera septentrionale était une priorité des priorités parce que les ressources ȧ en tirer devaient garantir les premières années du Trésor public avant les résultats de la croissance ȧ venir. Avec nous aux affaires, la marche du progrès modernisateur graduel planifié avait été bel et bien entamée avec succès, détermination, et une lucidité réaliste malgré les obstacles, les épreuves, les hostilités d’adversaires qui ne se rendaient toujours pas ȧ l’évidence des changements amorcés et entamés, la gravite des retards accumulés, et la mentalité archaïque du pays. Le mot d’ordre présidentiel : « Soyons sérieux » annonçait au pays qu’on était en train de prendre les lourdes responsabilités du pouvoir ȧ cœur, en élaborant les décisions aux conseils des ministres hebdomadaires de 3h jusqu’ ‘a 11h du soir, laissant guillerets les seniors septuagénaires du cabinet dont, ȧ la pause-café, les bonbons sirop de Ninide faisaient les délices présidentiels et ministériels.
A tous les échelons de l’intervention humaine, on choisissait les solutions en vertu du principe « minimax » d’un catéchisme de l’action qui préconisait le rendement maximum au coût minimum pour exécuter les directives donnés aux groupes de travail techniques, conscients que gouverner, c’est choisir, c’est décider, c’est agir, c’est prévoir et c’est corriger, en des opérations apprises ȧ bonne école et en recherche de l’excellence. Je l’ai dit, non sans orgueil, que nous avons œuvré dans le sens du meilleur intérêt du pays, et, selon un mot devenu historique, « je n’ai pas échoué, j’ai failli réussir ».
Essayer de faire oublier cette expérience gouvernementale de l’élu du 14 janvier au mandat inauguré le 7 février 1988 est peine perdue, car ce fut une politique multiforme pétrie dans la glaise du réel vécu historique haïtien. Essayer de la réduire ȧ sa seule dimension individuelle est également peine perdue, même si le personnel dirigeant qui m’accompagnait solidairement dans l’exercice du pouvoir a heureusement été épargné et que mon premier ministre Martial Célestin a bien fait de me confier beaucoup plus tard, ȧ deux reprises, en présence de parents et amis témoins, que le général Namphy, sans doute remis de ses émotions, et quelques-uns de sa suite, sont venus chez Martial et l’ont fait chercher en vain ȧ la capitale après le coup d’Etat, non pour l’avertir et l’admonester de manière hostile ȧ sa personne, mais pour lui offrir la présidence provisoire de la République. Cette dernière manœuvre des auteurs militaires et civils du coup contre moi a échoué. Mais invraisemblable comme elle l’était, elle aurait été significative de la souplesse d’échine des Machiavels haïtiens aux petits pieds pour sortir de l’embarras comme les militaires d’après le 27 novembre 1987 acculés au moindre mal des élections de janvier 1988 voulues pat l’International et les Internationales, auxquelles nous avions décidé de prendre « le risque calculé » de participer.
On connaît les adversités politiques, économiques, sociales et internationales qui n’ont pas voulu que cette expérience gouvernementale puisse durer, en profitant des erreurs humaines inévitables liées aux difficultés d’innover dans ce pays sans se voir barrer la route. On a érigé en principe ce fameux « danger d’innover » inscrit en exergue dans la presse gouvernementale du successeur de Pétion et dans la mentalité collective traditionnelle jusqu’ȧ nos jours dans le contexte post-marxiste et post-noiriste. D’autres ont appelé cela, avec moi, le complot de la médiocrité contre la qualité.
Ajoutez ȧ cela l’existence dans la tradition haïtienne et dans l’esprit public d’une mentalité encline ȧ croire que le métier d’homme politique relève d’une activité liée ȧ la corruption, au « Kraze zo » pour gouverner et au favoritisme immoral, et c’est ainsi que la bonne politique saine de bien public en pâtit sur le plan de la crédibilité publique. Tous les politiciens sont mis dans le même sac, confondant les hommes politiques et les hommes d’état avec les politiciens et les politicailleurs. On sait quel effort nous avons dû consentir pour faire comprendre que « les affaires politiques dont les affaires de tout le monde et que les affaires de tout le monde sont des affaires politiques ».
J’ai fini par accepter, malgré moi, de guerre lasse, la réputation de « moitrinaire » ou de mégalomane – De Gaulle en était un – que les malintentionnés ont essaye de me faire pour tenter en vain de me laisser inhiber par une réticence pudique quelconque ȧ dire la vérité sans fard ni réserve, sachant de toute façon, que les grandes choses, pour se faire, ont besoin de grandes circonstances, de grands moyens et de grands esprits. De Gaulle, en disant que l’intendance suivra, privilégié le rôle des grands esprits.
J’ai préféré lucidement, même si ce fut apparemment sur un coup de tête excédé, mettre fin irréversiblement et irrévocablement ȧ un vain effort de quinze ans de leadership politique en service commandé pour la reconquête démocratique du pouvoir par la voie électorale après mon deuxième retour d’exil, d’un ostracisme qui aura duré un quart de siècle au total. C’est dire que ceux qui ne voulaient pas de Manigat ont été tenaces et opiniâtres, de mon retour, non sans opposition ni sans mal (le couple Ertha Trouillot- Adams par exemple en 1890) jusqu’aux manœuvres de la fin de l’expérience dite de transition Boniface-Latortue (2006). Après avoir passé la main dans le processus de la relève intergénérationnelle, je continue ma vie sous la forme exclusive désormais de ma production intellectuelle, la poursuite de mon œuvre historique étant ma dernière contribution ȧ une autre forme de combat d’un patriote vertical qui aura jusqu’au bout, comme l’autre, aimé son singulier et pauvre petit pays de « furieuse amour ». Un autre Manigat de plus est passé ȧ l’histoire politique, mais le nom a des racines historiques profondes et nombreuses. Le crépuscule de ma vie me trouve fidèle ȧ la devise de ma jeunesse : « vitam impendere vero ». Consacrer sa vie au vrai, en y ajoutant, le vrai en tant que corolaire du beau, du bon, du juste et de l’équitable. Une utopie ambitieuse d’un historien-politologue professionnel que j’aurai essayé d’apprivoiser.
LFM
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Notes pour aider ȧ la réflexion sur la solution de salut public en vue du sauvetage national, préparées pour l’émission de Michel Soukar du jeudi 18 février 2010 ȧ Signal FM, émission reprise le même soir du 18 février, et le matin du samedi 20 février 2010. Un humoriste faisait sourire en disant ȧ son audience médusée : « pas sérieux, s’abstenir ». Soyons sérieux !
Un peu plus sur la question :
Les Haïtiens ont-ils la mémoire courte ?
Un témoignage, une réflexion, une supplique, une semence
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