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Source: lenouvelliste, 27 mai 2014
Ancien président de la République, ancien président de la Cour de cassation, professeur de droit dans différentes universités du pays, Boniface Alexandre, du haut de ses cinquante-deux ans de carrière dans l’avocature, est une véritable encyclopédie vivante. Sympathique, il nous livre volontiers un petit résumé de sa vie.
Fils d’un grand propriétaire terrien, Boniface naît le 31 juillet 1936 à Ganthier et y grandit. Il fréquente d’abord l’Ecole nationale de Ganthier en primaire, puis rentre à Port-au-Prince, pour des études secondaires au Lycée Alexandre Pétion. Son enfance est heureuse. Entre une mère aimante, une grand-mère qui le dorlote et un père respectable, il vit entouré de ses sept (7) frères et deux (2) sœurs. Tout le monde l’aime. A la maison comme à l’école, le cadet des Alexandre est sage comme une image, et échappe aux punitions. Seul petite tache au tableau, sa grand-mère lui refuse tout contact avec l’extérieur. Aujourd’hui encore, il en garde les séquelles. C’est un homme solitaire, qui n’a pas beaucoup d’amis.
Le cycle secondaire bouclé, Boniface faillit entrer à l’Académie militaire qui recrutait en cette periode. Avec sa haute stature, son intelligence, il aurait aussi eu raison de n’importe quel test et serait aujourd’hui de la même promotion que des hommes tels que Roland Chavannes, Acédius St-Louis. Mais les parents posent leur veto. « On ne veut pas de militaire dans la famille.» Il doit choisir entre la médecine et le droit. Chose dite, chose comprise. Il entre à la Faculté de droit et des Sciences économiques et en 1962 décroche sa licence. C’est au Cabinet Lamarre, à la rue du Quai, qu’il fait ses premières armes, dans ce métier qu’il pratiquera jusqu'à ce qu’il décide de devenir magistrat.
Un des meilleurs juristes haïtiens
Maître Alexandre se hisse aisément dans la galerie des meilleurs juristes haïtiens. C’est au prix de longues heures de travail et d’études qu’il s’est taillé cette notoriété. « Depuis 1962, il ne se passe un jour sans que je ne lise un livre de droit. Au Cabinet Lamarre, des fois j’avais près de trois ou quatre affaires par jour. On me surnommait Le roi du Barreau. J’ai gagné les trois quarts de mes procès et certains se terminaient à la Cour de Cassation. Je le dis, je le redis à qui veut l’entendre, le droit positif haïtien n’a aucun secret pour moi. Même si vous me réveillez de mon sommeil, je dois pouvoir répondre à une question et ceci sans rien à consulter.»
Un seul cours de droit avec lui devrait vous en convaincre. Pas possible de le coller. Il semble avoir réponse à tout. La procédure civile, le droit civil, et les voies d’exécution sont ses matières de prédilection. Même s’il n’a publié aucun manuel y relatif, il les enseigne dans différentes universités de la place et à l’École du Barreau de Port-au-Prince.
En 1991, Boniface Alexandre entre dans la Magistrature en tant que substitut Commissaire près la Cour de Cassation. En 1995, il est nommé Commissaire en chef du Parquet et en 2001, il remplace le Président provisoire de la Cour de Cassation. C’est ce dernier poste qui lui vaut d’être le Président de la République, après le départ de Jean-Bertrand Aristide en février 2004 comme le veut la Constitution.
« Je n’ai jamais été un homme politique »
Le 8 mars 2004, celui qui a toujours été le premier de la classe grâce à sa superbe intelligence prête serment en tant que Président d’Haïti. A le croire, c’est un concours de circonstance qui le place au timon des affaires de l’Etat. « Quand je suis allé à la Cour de Cassation, je voulais juste être utile à mon pays. Je me sentais assez bien préparé pour être un bon magistrat. Je n’ai jamais été un homme politique. En acceptant ce poste, j’ai servi mon pays. J’ai obéi à la loi. »
D’ailleurs, dès les premières minutes de l’interview, il indique : « Je ne parlerai pas de politique. » Puis nuançant un peu, il poursuit : «Je peux donner des conseils en aparté, mais jamais des consultations publiques. On n’aime pas la vérité. Dès que vous critiquez quelqu’un en Haïti, vous risquez de vous faire un ennemi. »
Contre toute attente, ces deux années au pouvoir sont loin d’être les plus merveilleuses de la vie de cet homme, qui a toujours été à l’abri du besoin. « A l’époque, en pleine opération Bagdad, comme on l’appelait, le palais était une véritable prison. Il y avait des soirs où l’on ne pouvait pas dormir. On tirait directement sur le Palais, de Fort National étant, paraît-il. Et on dirait que c'est ma chambre qui était expressément visée. Souvent je devais ramper comme un serpent pour traverser d’une chambre à l’autre. C’était l’enfer. Maintenant qu’il y a plus de stabilité dans le pays, cela peut être différent, mais de mon temps, c’était une vie de martyr. On m’avait conseillé de ne pas faire les élections pour rester au pouvoir. J’ai dit non. Ceci n’était pas une vie. » Ce n’est donc pas une expérience qu’il aurait refaite dans les mêmes conditions qui prévalaient en ce temps.
A la retraite depuis 2006, Boniface a repris la vie tranquille qu’il aime tant, dans sa paisible maison à Delmas 75, à l’abri des regards indiscrets et du tumulte de la vie politique. Son horaire est bien chargé. « A cet âge, c’est dangereux de ne rien faire. Vous devez toujours être utile à la société. Etre en contact avec la jeunesse rajeunit également », laisse-t-il entendre. Du lundi au samedi, il dispense des cours de droit. Le dimanche dès 6 h, il se dirige vers sa ville natale pour ne revenir que le lundi, au matin. Entre une excursion à Source Zabeth ou à l’Étang Saumâtre, et la visite de ses terres en culture, il a de quoi se distraire. Outre cela, il partage volontiers ses connaissances. A longueur de journée, et ceci jusqu'à dix heures du soir, des étudiants l’appellent pour des consultations gratuites.
« Je suis un homme fidèle »
Enfant de chœur dans sa ville natale, Boniface Alexandre aurait pu être prêtre, s’il ne s’était laissé séduire par celle qui devint sa femme, Célima Dorcely. Native de Thomazeau, elle était en 6e et lui en 9e quand ils se sont rencontrés. « C’est ma femme qui m’a choisi. Et c’est peut-être pour cette raison que notre couple dure. Car quand une femme jette son dévolu sur vous, il ne peut y avoir de meilleur choix. » Marié en 1990, après la naissance de ses quatre enfants bien entendu et suite à quelques années de vie commune, elle reste et demeure la seule femme de sa vie. Quoiqu’il fût un brillant avocat – donc sujet à des avances – il affirme : « Je n’ai jamais succombé aux charmes d’une autre femme. Jamais de nuit hors du lit conjugal, à moins que je ne sois à l’étranger.» La fidélité semble être un héritage de famille. « Mes parents, mes grands-parents étaient fidèles, l’un à l’autre. Avec de tels exemples et ma foi chrétienne, je n’ai aucune raison de transiger sur cette valeur. »
C’est un romantique dans l’âme. « Je crois à l’amour, fidèle, jusqu'à la mort.» Et à ce titre, il nous rappelle une anecdote : « Mon grand-père pensait qu’il mourrait avant sa femme, mais ma grand-mère est partie la première. Ma grand-mère est morte un 15 mars, c’était la veille du vendredi saint, je crois. Le jour de la veillée, mon grand-père est allée près du cercueil et a dit « Pa kite m non, nan yon mwa pou vin chache m » Et bizarrement cela se réalisa. Mon père est mort le 15 avril. Jour pour jour. »
« Je suis impeccable »
Boniface Alexandre est un sujet très intéressant et assez singulier. L’homme a des goûts simples comme tout et semble être facile à vivre. « Quand on est vieux, il faut savoir qu’on l’est ». dit-il et donc, à son âge, il est sobre. Pas de boisson gazeuse. Pas d’alcool. Le café est son seul allié. S’il n’est pas gourmand, il aime néanmoins le riz, le maïs, et le griot. Il a un penchant pour le bleu marine et le blanc – par déformation professionnelle peut-être – et était ancien fan de Racing. Sa radio, posée sur une table dans un coin dans le salon, lui tient très souvent compagnie quand il est à la maison. Il aime la musique, celle de son temps du moins. Même s’il ne va plus au bal, ni au ciné, il n’y en a plus au pays d’ailleurs. Il irait peut-être, si Triomphe ouvrait. L’orchestre Tropicana reste son groupe favori, Manno Charlemagne et Coupé Cloué viennent ensuite. Ce nostalgique du boléro, des vieux films western, ne connaît rien aux mœurs de la nouvelle génération : « Avec les jeunes d’aujourd’hui, j’ai du mal à m’accommoder. Je ne peux m’habituer avec leur rythme, ni leurs manières. »
Il n’a pas beaucoup d’amis, donc pas beaucoup de visiteurs. Sauf les infortunés, « Ma maison, on la prend pour une banque. A longueur de journée les gens viennent frapper pour avoir de quoi manger, de quoi payer l’écolage de leur senfants, et je n’ai pas le cœur de refuser. » L’homme possède une grande estime de lui-même. Il sait qu’il est intelligent. C’est aussi un honnête homme qui a travaillé dur pour mériter le respect de ses pairs. Même deux années près des caisses de l’Etat n’ont pu le défaire de cette intégrité. « Je me respecte. Alors que j’étais président, personne ne peut dire que j’ai prélevé un seul centime des caisses de l’État. Je me suis contenté de mon chèque. Les dossiers sont là, on peut vérifier. Mon ministre de l’Économie est encore vivant. Demandez-lui si une fois au moins je lui ai ordonné de me donner de l’argent de l’État pour mes besoins personnels. Jamais. Je ne vivais que de mes appointements. – même si ce n’était pas beaucoup –. Pas de frais. »
Son assurance et son acceptation pleine et entière de sa personne surprennent. Les critiques des autres –quelles qu’elles soient- ne l’atteignent pas. Et quand je lui demande son principal défaut, sans broncher il répond : « Je suis un homme impeccable ». Je reste pantoise quelques minutes, guettant un changement d’attitude, mais non. L’homme ne se trouve pas de défauts. Il est parfait.
Toujours doté d’une bonne santé, calme et très réservé, le septuagénaire a vécu sa vie. Et faisant le bilan, il n’a aucun regret. « J’ai servi mon pays. Je n’ai jamais fait de mal à ma famille, ni à la société. Personne ne peut m’accuser de lui avoir fait du tort expressément. » Il est satisfait de lui-même et de ce qu’il a réalisé. Il l’est d’autant plus qu’il n’a pas eu à laisser le pays après son passage au pouvoir. Il vit avec le sentiment d’avoir accompli son devoir. De ses quatre enfants, trois, Jean Bony, Schiller et Berwick, sont médecins, un seul Marjorie, actuellement consul général d’Haïti à Boston, est avocat et marche sur ses traces. Sage, ses derniers mots sont pour exhorter la jeunesse à aimer Haïti et à travailler pour assurer la relève du pays.
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