Par Roberson Alphonse
ralphonse@lenouvelliste.com
Henri Bazin. Sa compétence, son honnêteté font l’unanimité. L’ex-ministre de l’Économie et des Finances, entré récemment au panthéon de la finance haïtienne, voudrait que les journées aient plus de 24 heures. Cet ancien étudiant de l’UEH, boursier de l’État, enseigne, donne ce qu’il a reçu, s’implique dans la vie de la cité. Réservé, il croit que le pays mérite mieux, qu’il faut « être honnête, surtout quand on s’occupe des biens publics ».
Dr. Henri Bazin
Source photo: Le Nouvelliste, 31 mai 2014
Source photo: Le Nouvelliste, 31 mai 2014
« Mon âge ? Je ne le dirai pas ! », lance gentiment Henri Bazin. Bien calé dans un fauteuil couleur chocolat, chez lui, à la rue O, Turgeau, le benjamin des frères Bazin esquive les relances de journalistes fouineurs. Au pif, on devine qu’il fait 70 ans. Peut-être plus. Solide, il porte bien le poids des ans. Sa démarche de lord anglais -une partie de sa légende- reste la même. L’homme, très affable, n’est pas timide, mais discret. « Je n’aime pas parler de moi », justifie Henri Bazin, considéré comme un « grand esprit » et « l’un des Haïtiens les plus honnêtes ».
En quelques minutes et après un verre de jus d’orange sur glace, la glace se brise. Il parle, s’ouvre. La version « short » de sa vie, un mélange d’efforts, de sacrifices, de partage et de rectitude, fascine, suspend à ses lèvres.
Les premiers pas
Ce provincial, né à St-Marc, n’est pas seul à la maison. Son père, Louis Bazin, avocat, substitut du commissaire du gouvernement, et sa mère Simone avaient pris le soin de mettre deux fils au monde avant lui et trois filles après lui. « Dans la famille, tout est équilibré », plaisante Henri Bazin, qui a découvert les chiffres et les lettres à l’école paroissiale du Limbé, ville natale de son père, après avoir vécu brièvement à Gros-Morne, sur les terres de sa mère.
En 1945, l’année de la capitulation allemande pendant la Seconde Guerre mondiale, sa mère Simone, ses six enfants sur les ailes, part à l’aventure, prend une décision courageuse et audacieuse. Elle s’installe à Port-au-Prince. Le paternel reste à Limbé. L’envoi des provisions alimentaires est irrégulier. « On mène alors une vie très modeste à la maison située en face du collège St- Martial », raconte Henri Bazin avec simplicité.
La mère monte une pension, fréquentée des parents et des affiliés du Limbé, de Pilate. « Pour subsister lors des fins de mois difficiles, ma mère empruntait de l’argent. Elle m’emmenait régulièrement chez l’usurier pour éviter toute équivoque », se souvient-t-il, encore fier de la solvabilité quasi légendaire de sa mère. « Une dame absolument remarquable », indique Henri Bazin en hochant la tête.
Scolarisé entre-temps au Petit-Séminaire Collège St-Martial, Henri Bazin raconte que la page des années de vaches maigres a été tournée en 1946. Son père, connu comme avocat dans tout le département du Nord, est élu sénateur de la République. Il est même devenu président du grand Corps.
Henri Bazin boucle ses études classiques. Il entre à la Faculté de droit et des sciences économiques en 1954. Colauréat de la promotion avec François Martole, il sort avec son diplôme d’avocat et d’économiste. L’excellence est récompensée par une bourse d’études. En 1957, il pose ses valises à Paris, en plein hiver. À l’Université de Paris, il passe cinq ans. Le temps de faire sa maîtrise et sa thèse de doctorat. C’était sur « Commerce extérieur et développement, exemple de la région de la Caraïbe », se souvient Henri Bazin sur qui veillait son grand frère Marc.
Contrairement à Marc, Henri, aimé des femmes, Henri n’était pas un bourreau des cœurs. « Marc, c’était le caïd », raconte-t-il, le regard figé, comme s'il voulait remonter le temps, ce temps.
Le bannissement
La tête bien pleine et bien faite, Henri Bazin prépare son retour:« J’ai voulu me mettre à la disposition de mon pays».Cela attendra. Longtemps. Au téléphone, sa mère lui assène la mauvaise nouvelle. « C’est la prison si tu entres en Haiti, mon fils ». Henri Bazin, sans le savoir, a été photographié par la police secrète du régime, pendant une manifestation anti-Duvalier à Paris, aux côtés de Hervé Denis, de Claudette Werleigh. Dans le contexte des indépendances africaines, le sentiment révolutionnaire bouillonnait dans les têtes et dans les cœurs. Pas question pour Henri Bazin d’aller en prison. La sinistre réputation des cachots de Fort-Dimanche était connue, bien au-delà des 27 000 kilomètres carrés du territoire d’Haïti.
Il reste à Paris
Sollicité par des camarades originaires de plusieurs pays du continent africain, Henri Bazin, en 1964, choisit le Mali. Quelques-uns de ses meilleurs amis à Paris étaient maliens. Là-bas, il devient conseiller technique du ministre du Commerce et de l'Industrie malien. Bazin enseigne aussi à l'Ecole nationale d'administration du Mali, à Bamako. Avant de quitter ce pays en 1969, Henri devient le conseiller du président Bodibo Keïta, renversé lors d’un putsch.
Après la parenthèse malienne, il offre ses services en tant qu’officier des affaires économiques à la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) à Genève. Il y reste pendant trois ans. Bazin revient en Afrique qu’il connait comme le fond de sa poche. Il arrive à la Commission économique des Nations unies pour l'Afrique à Addis Abeba pour trois mois comme directeur de la division des questions commerciales, financières et monétaires internationales. De poste en poste, de projet en projet, HB reste finalement 14 ans en Éthiopie. Le temps passe. À ses côtés, de Mali à l'Ethiopie, sa moitié, Danielle Tardieu, militante féministe, intellectuelle engagée.
Loin d’Haïti, la nostalgie pèse. Henri Bazin choisit un poste de conseiller économique principal au PNUD. Il s'est établi à New York. « Je devais être le plus près d’Haïti possible », confie-t-il, rongé par l’envie de revenir chez lui, dans son pays. Ce docteur en économie, entre-temps, gérait le programme régional pour l’Afrique dont l’enveloppe était de 600 millions de dollars. « On faisait des projets dans quatre ou cinq pays à la fois », explique ce bosseur, qui est resté six ans dans le Big Apple.
Le retour au pays et les défis relevés
« En 1991, j’ai décidé de rentrer chez moi », confie HB. Parallèlement au cours d’économie qu’il dispense à l’Université Jean-Price Mars à l’époque, en 1992, il occupe aussi la fonction de conseiller technique au cabinet du Premier ministre, son grand frère, Marc L. Bazin. Il crée avec d’autres l’Association haïtienne des économistes. Bazin passe la main après deux mandats de président.
En 2004, après le départ de Jean-Bertrand Aristide, Henri Bazin accepte le poste de ministre de l’Économie et des finances à la demande de son ami, le Premier ministre Gérard Latortue. Henri Bazin vit l’une des expériences les plus révélatrices de sa vie. « La BRH, à l’époque, avait des réserves que pour un mois d’importation alors qu’il en fallait au moins pour six mois », explique Bazin, appelé à redresser la barre des finances publiques. « C’était nécessaire. Avec une situation aussi désastreuse, on ne prenait pas le pays au sérieux. On ne te fait pas de prêts avec des réserves estimées à un mois d’importation.»
Grâce à une cure de gestion rationnelle des finances publiques, Henri Bazin, qui a pu éviter le programme d’ajustement structurel, remet le Trésor public sur les rails. Il gronde au besoin des experts internationaux indélicats, incompétents et prétentieux. « Il faut mettre de l’ordre dans ses affaires. Se respecter, pour se faire respecter », selon Henri Bazin qui, à ce poste, a repoussé d’innombrables sollicitations pour ne pas céder aux pratiques illégales. « J’ai résisté. Absolument », indique-t-il avec virilité. À ce poste, il a aussi vu des gens dans leurs postures et leurs impostures. Il résume : « Dans certains cas, la position publique des gens ne correspond pas toujours à leurs actions ». Pour Bazin, « il faut être honnête, surtout quand on s’occupe des biens publics». « C’est clair que cela a manqué à Haïti », estime cet économiste, qui marche souvent à pied pour voir la vie, humer la réalité quotidienne. « Le peuple mérite mieux que ce qu’on lui donne », croit Henri Bazin, qui appelle à la retenue : « Soyez humble, soyez modeste.»
Ce Bazin n’est pas tenté par aucun poste électif. « On s’était toujours dit qu’un Bazin en politique était more than enought », explique Henri Bazin, connecté en revanche à la vie dans la cité et qui a décliné plusieurs offres pour devenir ministre pendant ces dernières années. « Je ne me boucherai pas le nez pour accepter un job, pour faire un coup comme on dit», tranche Henri Bazin, qui ne lésine pas sur ses principes.
Restituer, partager, forger l’avenir
Henri Bazin, qui se considère comme un privilégié pour avoir fait des études universitaires avancées aux frais de l’État haïtien, croit dans la restitution. « Ce pays nous donne beaucoup. Nous n’apprécions pas assez. Nous ne rendons pas assez». Bazin enseigne, parallèlement à l’Université Quisqueya, au CTPEA. Sa chaire est de 7000 gourdes par mois et est le cadet de ses soucis. Ce n’est pas l’argent qui le motive. Membre du conseil d’administration de HaïtiTech, une institution de formation de professionnels comme des plombiers, des électriciens Bazin offre ses services à la Chambre de conciliation et d’arbitrage, une institution qui aide le secteur privé à résoudre ses différends. L’auteur de l’ouvrage « Le secteur privé haïtien à l'orée du troisième millénaire : enjeux et perspectives » milite beaucoup pour harmoniser les rapports au sein du monde des affaires haïtien.
Ses chagrins
Cet homme qui vit humblement, sans superflu, ressent parfois le poids de la solitude. Certains jours, le vide laissé dans sa vie par Danielle Tardieu, sa moitié, est immense. Brutal a été le sevrage. Elle est morte dans un accident de véhicule sur la route nationale numéro un. Elle se rendait à un séminaire à l’hôtel le Xaragua. « Elle est morte sur le coup ». Pause. Une profonde respiration. Henri Bazin n’est pas du genre à étaler ses émotions. Au téléphone avec l’une des ses sœurs, il sourit pourtant. D’un autre souffle, ce père d’une jeune femme de 27 ans née d’une autre relation évoque le parcours admirable dans l’enseignement de sœur Colette Bazin. « 54 ans dans l’enseignement. C’est extraordinaire », explique Henri qui a une anecdote empreinte d’affection pour chacun de ses frères et sœurs.
Il y a dans sa tête la chaleur, les moments de bonheur quand ils vivaient à la rue Lamarre, non loin de Lakou Mouzin, fréquenté à l’époque par un certain Gérard Gourgue, un Pierrot Riché. « Des aînés », explique Henri Bazin qui balance sur son fauteuil ses souvenirs d’homme de province, resté vertical jusqu’au bout.
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