Par Marc L. Bazin
Le Nouvelliste, 22 février 2008
Dans deux précédents articles « Production Nationale ou semence d'illusions » et aussi « La vie chère, un avion, un oiseau ou un courant d'air » nous avions fait un certain nombre de propositions sur les mesures à long et à court terme qui seraient de nature à augmenter la production agricole et à faire baisser les prix des produits alimentaires. Le propos aujourd'hui est le riz. Nous estimons en effet que le problème du riz est spécial et que, dans la panplie des mesures visant à faire baisser le coût de la vie, le riz doit faire l'objet d'un traitement séparé.Le riz est un facteur important d'augmentation des revenus agricoles, d'économie de devises et d'amélioration indirecte de la nutrition. Entre Août et Décembre 2007, les prix du riz ont augmenté de 3.3%, ce qui représentait plus de 12% de l'augmentation des coûts des produits alimentaires pendant la période. Dans certaines zones urbaines, le coût de la petite marmite de riz augmente de 1gourde par semaine depuis pratiquement un mois. Or, la disponibilité et un bas niveau de prix de riz représentent, chez nous, des facteurs de stabilité sociale et politique. Cette stabilité est actuellement menacée en profondeur par deux facteurs :
1.- Les prix mondiaux des produits alimentaires, qui étaient faibles entre 1974 et 2005, ont commencé d'augmenter considérablement et vont continuer à augmenter.
Entre 1974 et 2005, les prix des produits alimentaires sur les marchés mondiaux ont chuté des ¾ en termes réels. Depuis 2005, c'est l'inverse. Les prix ont grimpé de 75%. La raison ? En 1985, les Chinois ne consommaient que 20Kg de viande par habitant. Aujourd'hui, les Chinois consomment plus de 50Kg de viande par habitant. Or, pour produire lkg de viande de boeuf, il faut 8kg de grains.
Parallèlement à l'augmentation de la consommation mondiale de produits alimentaires, s'ajoute le fait que les USA semblent avoir adopté l'idée de fabriquer de l'essence à partir de l'éthanol. Or, les biocarburants utiliseront le 1/3 de la récolte de mais des USA. Cela veut dire que 30 millions de tonnes de maïs allant à l'éthanol vont entrainer cette année une baisse de moitié des stocks de grains disponibles au niveau mondial.
2.- La demande haïtienne de riz, déjà considérable, va encore augmenter
En 2005, nous avons produit un total de 80.000 TM de riz paddy, sur une production potentielle de 200.000 TM. Cette même année 2005, nous avons importé du riz pour 250.000TM, soit 32% de plus que la production locale. Or, d'une part l'année 2005 a été, par rapport à 2004, une relativement bonne année en termes de production de céréales. D'autre part, le nombre de bouches à nourrir augmente de 2% par an. Dès lors, les chances que nous arrivions, dans un proche avenir, à satisfaire à nos besoins en riz par nos propres moyens sont pratiquement nulles. De plus, notre capacité à générer les devises étrangères pour l'importation est extrêmement faible. En 2006, le déficit de la balance commerciale i.e. la différence entre ce que nous avons vendu à l'étranger par rapport à ce que nous avons acheté de l'étranger était de $1 milliard, à quoi il faut ajouter les paiements sur la dette qui étaient évalués à plus de $60millions. De ce que les prix du riz vont continuer à augmenter sur le marché mondial, que notre demande de riz va s'accroître sous la pression de l'accroissement démographique, que notre capacité déjà faible à produire mieux, davantage et plus vite, est érodée par les préférences en pays développés, il suit
a) que notre problème de riz est appelé à prendre des proportions dramatiques,
b) que ce problème ne va pas se résoudre de lui-même comme par enchantement et
c) que cette affaire de riz risque à tout moment de se révéler comme un élément pervers de destabilisation du processus démocratique.
De là, il suit que nous ne pouvons plus continuer de traiter le problème du riz comme si de rien n'était, avec des discours sans lendemain.
Création d'un Office National du Riz
Nous pensons, quant à nous, qu'il est urgent de renverser le cours des choses. Pour renverser le cours des choses, nous proposons la création d'un Office National du Riz. L'Office National du Riz aurait trois fonctions :
1.- Stabiliser l'offre et les prix du riz aux consommateurs dans les zones urbaines de manière à limiter les fluctuations pénalisantes des prix du riz sur le coût de la vie
2.- Promouvoir la production locale et améliorer les revenus du petit producteur
3.- Maintenir des stocks de réserves pour garantir un niveau acceptable de sécurité alimentaire.
Modes d'opération de l'Office National du Riz
L'Office National du Riz achèterait le riz pour le compte du gouvernement et serait le seul importateur. Chaque année, avant la période des semis, l'Office National du Riz ferait connaître publiquement un prix plancher i.e. un prix en dessous duquel le gouvernement ne permettrait pas que descende le prix de vente du riz. Ce prix plancher serait fixé de manière à maintenir un certain ratio entre l'augmentation de la valeur de la production et l'augmentation des coûts des intrants. L'Office fixerait également un prix plafond i.e. un prix au-delà duquel le gouvernement ne permettrait pas que monte le prix aux consommateurs urbains. Le prix plafond reflèterait aussi bien les coûts de distribution que le pouvoir d'achat de la zone d'approvisionnement. Le plafond permis dans les zones déficitaires serait plus élevé que celui autorisé dans les zones auto suffisantes et dans les zones à surplus.
Une compétitivité améliorée
Dans le but d'améliorer les prix aux producteurs et de les rapprocher le plus possible du prix plancher garanti, l'ONR ferait monter le niveau de compétition avec les intervenants traditionnels, les décortiqueurs et les commerçants en renforçant les ONG et en créant un réseau de coopératives rurales, lesquelles recevraient une formation intensive en commercialisation et en gestion. De même, ces coopératives ou un corps d'agents spéciaux seraient appelés à intervenir dans le processus de distribution directe sur le marché, dans tous les cas de raretés spéculatives aux fins d'augmentations indues des bénéfices. Il est acquis que la plus large part du riz serait consommée dans les zones de production et aux alentours. Les prix sur le marché local seraient influencés par l'ONR du fait que le niveau des prix planchers seraient disponible au quartier général de l'ONR dans le village même. L'ONR se porterait acquéreur de riz local chaque fois que le prix plancher serait menacé. S'agissant des soutiens à la production, plus le gouvernement disposerait de revenus, plus il serait en mesure de stimuler l'utilisation d'intrants de haut de gamme et de faciliter l'expansion de la production locale.
Un matelas de réserves confortables
La stabilisation des prix plafonds serait maintenue à travers d'importants stocks de réserves. Les déficits de réserves seraient couverts par une combinaison d'importation et d'aide alimentaire. Les besoins d'importation varieraient en proportion inverse de la production locale, ce qui nécessiterait que l'ONR organise ses propres services de prévisions en besoins d'importation et que le timing d'arrivée des importations soit calibré de manière à ce que les stocks soient suffisants aussi bien pour les achats locaux que pour les réserves de sécurité. De même, l'Office serait appelé à distribuer du riz gratuitement dans les cas de catastrophes naturelles, de sécheresse ou d'inondation. Quand il s'agirait de déficits de production en dehors des aléas climatiques, l'ONR ferait des prêts de riz à des groupes de planteurs, lesquels rembourseraient en nature à la prochaine saison. L'ONR disposerait de dépôts départementaux et sous dépôts dans les communes et dans les sections communales.
Financement et gestion
Pour arriver à soutenir les prix planchers et garder en réserves suffisamment de stocks pour empêcher les prix de détail de dépasser les prix plafonds, l'Office National du Riz aurait besoin d'une bonne base financière. D'abord, il lui faudrait lui assurer une gestion transparente. Dans ses activités d'approvisionnement et de distribution, pas de cash. Les importations seraient payées par lettres de crédit aux fournisseurs. L'Office emprunterait à la Banque Centrale à proportion de la valeur des stocks qu'il maintient sous forme de réserves et le Ministère des Finances ferait des transferts directs à l'ONR, en couverture de la garantie des prix planchers, et aux budgets des Ministères concernés pour le riz distribué en cas de catastrophes naturelles. Les coûts les plus importants seraient afférents au transport, à l'ensachage, à l'emmagasinage, aux intérêts et aux frais bancaires. Les coûts et salaires du personnel seraient gardés au minimum.
Conclusion : une opération de normalisation du marché
Destinée principalement à encourager la production et à stabiliser les prix aux consommateurs, la création d'un Office National du Riz ne serait pas une entrave au libre fonctionnement du marché mais un mécanisme, d'ailleurs limité dans le temps, qui viserait, au contraire, à remédier à une situation de crise et à établir un peu d'ordre sur un marché aujourd'hui complètement inorganisé.
Inorganisé, comment ?
i) entre riziculture irriguée, de bas-fonds ou en sec, les régimes de production sont différents.
ii) les coûts unitaires de production par tonne, avec les méthodes de culture traditionnelle, sont au moins trois fois plus élevés qu'avec les méthodes de culture moderne.
iii) les prix du riz varient considérablement non seulement d'un endroit à l'autre mais d'une année à l'autre.
iv) si la part de la main d'oeuvre dans les coûts de production est plus faible pour le riz que pour le maïs, par contre le pourcentage de la superficie cultivée consacrée au riz est plus élevé, compte tenu des coûts d'opportunité plus élevés des terres dans les zones rizicoles.
Rappelons, pour finir que le riz cultivé sur des parcelles irriguées, particulièrement dans la région de l'Artibonite serait compétitif avec les cours mondiaux. Or, en 2005, le coût de production d'une tonne de riz à l'étranger était de $425, mais cette même tonne de riz, en Haïti, était vendue à $274, différence qui représentait le coût d'une subvention de l'ordre de 65% du revenu départ exploitation. Le marché du riz en Haïti est donc un marché hautement imparfait et l'Office National du Riz devrait donc permettre à ce marche de fonctionner un peu mieux sur des zones séparées par la distance et les difficultés de transport, de stabiliser les prix aux producteurs et aux consommateurs au niveau souhaité avec l'intervention du gouvernement dans la commercialisation gardée à un niveau minimum.
22-24 Février 2008
22-24 Février 2008
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