lundi 11 février 2008

Moi, Fidel Castro Entretien avec Ignacio Ramonet, du journal Le Monde Diplomatique

Source: Robert Benodin, lundi 11 février 2008, 19h37

Les premiers Commentaires à chaud de Leslie F. Manigat

J’ai passé la soirée et une partie de la nuit du dimanche au lundi à suivre Fidel Castro pendant plus de cinq heures d’horloge dans son “show” littéralement extraordinaire intitulé : Moi, Fidel Castro, entretien avec Ignacio Ramonet, directeur du Monde Diplomatique. Etonnant et Epoustouflant. On savait déjà que Fidel était un des grands hommes de la seconde moitié du XXème siècle et du début du XXI ème. Il s’en est confirmé un “colosse”, un “monstre sacré”, comme il l’avait escompté dans son monologue face au journaliste du mensuel français de gauche sans doute le plus connu d’Europe. Le coup a été bien monté.

D’accord ou pas sur les positions qu’il y soutient, qu’on les juge “irrelevant” ou trop longuement fastidieuses ( ?), il faut s’incliner devant la puissance véritablement charismatique avec laquelle il a exprimé ce qu’il savait pouvoir dire à son avantage et avec une assurance ferme et intelligente, pour emporter l’adhésion de ses auditeurs médusés. Le vieux lion, né un 26 juillet, était dans la meilleure forme de ses 82 ans. Et bien que ses entretiens paraissent s’être déroulés en une enfilade continue, il est clair qu’une partie de leur contenu date de moments différents, plusieurs sinon tous au moins avant sa maladie car c’est un montage panoramique presque exhaustif de sa vie qu’il s’est complu à rappeler, de sa naissance à la date des entretiens, ce qui est une performance par rapport à l’image du vieillard mourant encore dans les esprits. Un acteur consommé.

Il a eu à évoquer des thèmes qu’il savait délicats et il l’a fait avec courage sinon une totale sincérité. Ses relations avec le Che (Che Guevara) avec lequel, dans la réalité, il s’était brouillé avant que celui-ci ne parte définitivement vers la mort sur les champs de bataille de la révolution mondiale à laquelle il dédiait toute sa vie de révolutionnaire, laissant savoir son désaccord avec son illustre ami et réciproquement. Ses relations avec l’URSS sur lesquelles il n’a pas caché ses divergences stratégiques voire idéologiques et pas seulement lors de ce qui fut pour lui une tragédie (Cuba esta sola !), je veux dire le règlement entre les deux grands de la crise des missiles. Nous n’avons pas oublié à la section de l’Amérique Latine au Centre d’études et de recherches (CERI) de la Fondation Nationale des Sciences Politiques à Paris où j’étais alors chargé de recherches, comment Moscou a significativement remplacé la préface du testament du Che par Fidel Castro en lui substituant un prologue différent contre l’aventurisme des improvisations spontanées et mettant en avant que la Russie soviétique faisait confiance seulement aux bataillons de fer éprouvées du prolétariat ouvrier. Sur la question des homosexuels à Cuba depuis la révolution où il a laissé percer une mauvaise disposition initiale en réalité toujours justifiée à ses yeux ou alors non encore dissipée, la question pouvant évoluer et étant en train d’évoluer mais difficilement, les sociétés ne pouvant changer d’un coup de baguette magique, reconnaît-il.

Il a eu des réponses habiles comme sur la question de la discrimination raciale à Cuba à propos de laquelle son argumentaire fort sur les questions de principe pour un marxiste, était moins convaincant sur la réalité chez un homme qui a vécu dans un milieu où la norme était le racisme universel dans l’île et on vivait avec ! Ce malaise pouvait pourtant être dissipé avec la franchise de l’historien qu’il est, en avouant qu’il ne se souciait pas de la question en fait comme importante jusque vers 1975, mais qu’en 1975 il prit une position publique décisive en déclarant que ses compatriotes étaient non seulement latino-américains comme ils le prétendaient à juste titre, mais également des Afro-Latins, ce qu’ils résistaient à admettre. Je visitai Cuba juste après ce discours, invité par l’institut Cubain pour l’Amitié avec les Peuples (ICAP) et le Ministère cubain des relations extérieures comme directeur de l’Institute of International Relations à l’University of the West Indies et fus frappé par les réactions que des officiels lucides admettaient avoir constaté sur la résistance coriace dans la société cubaine à accepter ce concept affirmé par Fidel, concept justifié non seulement pour réitérer tardivement la validité pertinente d’un principe et une réalité qui crevait pourtant les yeux, mais aussi pour des raisons internationales car 1975 fut l’année de la Caraïbe pour la révolution cubaine qui a vu les “quatre grands” de la Caraïbe anglaise faire le pèlerinage à la Havane après avoir reconnu le régime castriste et établi les relations diplomatiques avec lui, brisant ainsi l’interdit de l’OEA et de Washington. Sur la question de l’abolition de la peine de mort où il ne put cacher un refus qu’il justifiait par les nécessités non seulement de la sécurité, mais aussi et surtout de la survie même de la révolution face à des ennemis internes et surtout internationaux puissants en tête desquels il citait Washington dans sa politique d’embargo contre Cuba.. Mais s’adressant à une audience européenne largement hostile à la peine de mort, il fit entrevoir la possibilité, avec le temps, d’envisager l’abolition de la peine capitale en précisant même qu’entre-temps, on ne l’appliquait plus dans la Cuba révolutionnaire d’aujourd’hui que par décision unanime constatée et enregistrée. Sur la question du terrorisme international, une discrète allusion aux événements du 11 septembre dans le sens d’une désapprobation mais sans insistance comme un sujet qui n’importe pas au plus haut point pour la révolution assiégée par un autre terrorisme inhérent au système capitaliste lui-même, a du quand même plaire et être notée chez le grand voisin du Nord.

Sur une autre catégorie de sujets d’actualité, on a retenu l’astuce mais avec une touche d’émotion affirmative non dissimulée, mise par Castro à faire l’éloge appuyé, sur le plan externe, de l’ex-président Jimmy Carter l’ami de Cuba et compréhensif vis-à-vis de sa révolution, et sur le plan interne, celui de Raoul Castro, le militaire communiste plus radical que son frère aîné, dit-il sur un ton catégorique entendu sans céder pour autant sa première place acquise pour l’histoire, et qui est le successeur déjà en place pour assurer la continuité de la Révolution en préparant la relève générationnelle.

Mais on ne finirait pas de noter les nuances, réserves mentales et affirmations feutrées de ces entretiens avec la complicité de l’interviewer trop heureux de laisser parler son bavard interlocuteur, bavard sur la question religieuse avec une complaisance pour les jésuites déjà connue et une tendresse personnelle pour le christianisme philo marxiste, tout en défendant l’athéisme dogmatique du credo révolutionnaire de son régime castriste non persécuteur, affirme-t-il, lui le baptisé et pendant longtemps croyant (ne l’est-il plus du tout ?). Sur la question de son père, latifundiste exploiteur de plus d’une centaine d’“employés” sur ses terres mais bienfaisant dans sa générosité personnelle, ce dont Fidel le crédite avec approbation. Sur les haïtiens de son environnement familial à Cuba, pour lesquels il a une familiarité d’allure et de relations aisées comme étant du sérail et dont il dénonce, en humaniste, les malheurs à Cuba avant la Révolution. Sur la nécessité de laisser du temps au temps pour guérir les plaies de l’Égypte cubaine d’hier où la faim était mangeuse d’hommes et de femmes du peuple.

Il y a enfin les silences tactiques comme l’interventionnisme militaire soviéto-cubain à l’instigation de la Havane dans la Caraïbe par exemple (la Grenade de Bishop) et le cas actuel du radicalisme bolivarien de Chavez.

La conclusion a été une envolée lyrique de confiance dans l’avenir de la Révolution cubaine indestructible appuyée aujourd’hui non seulement sur le peuple cubain “unanime”, affirme-t-il, mais aussi sur la solidarité internationale contre l’embargo que Washington est seul, estime-t-il, à vouloir continuer contre l’ile rebelle. Mais il a laissé percer, en philosophe historien sinon un doute interrogateur sur l’avenir, du moins un optimisme prudent en prenant congé de son amical interviewer parisien d’origine “latino”.

La radiotélévision caraïbe (canal 22) nous a valu la primeur de ce marathon de la parole fidéliste qui a été un magistral témoignage illustrant ce que la nouvelle histoire a essayé de faire appeler l’ego histoire, “appellation contrôlée” en tout cas dans le cas qui nous a occupé et passionné cette nuit du 10 au 11 février 2008 à la recherche de la vérité du réel vécu à interroger à travers ce document testament singulier personnel.

LFM
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NDCDP.-
Les entretiens ci-dessus datent de janvier 2003 et sont disponibles en format DVD (deux disques) depuis septembre 2004: voir le lien ci-après. Mais ils restent d'actualité.
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http://www.amis.monde-diplomatique.fr/breve15.html
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