Sources: Haiti-Nation et Dore Guichard, samedi 9 février 2008
Introduction
Le problème de la reconstitution, ou non, de l'Armée d'Haïti, donne lieu à un débat militant qui met face à face deux forces dont chacune, pour l'essentiel, défend son point de vue à partir de positions de principe.
Une situation de blocage
D'un côté, les partisans de la reconstitution font valoir la dette contractée par la Nation vis-à-vis de l'Armée qui l'a fondée, le respect de la Constitution, la nécessité de limiter le temps d'occupation du territoire national par des forces étrangères, à quoi s'ajoutent la surveillance des frontières, la lutte contre la drogue et même des tâches de développement. D'un autre côté, les opposants considèrent que la reconstitution de l'Armée, coupable dans le passé de violations de droits de l'homme et de coups d'état contre des gouvernements légitimement élus, ferait peser une grave menace sur le processus en cours de consolidation de l'ordre démocratique. Déjà, Patrick Elie, un proche du Président de la République nommé Président de la Commission chargée d'étudier le problème a fait connaître, d'entrée de jeu, qu'il est opposé à la reconstitution de l'Armée. De ce fait, le sort de cette Commission est scellé. Ce sera, au mieux l'impasse sans fin, au pire, l'enterrement de première classe. Une telle situation de blocage se comprend facilement mais n'est pas acceptable.
Cet article est en trois points :
A.- Entre les partisans de la reconstitution de l'Armée d'Haïti et ceux qui s'y opposent, il s'est créé un fossé, à base de méfiance et d'hostilité réciproque, lequel prend sa source dans les conditions qui ont entouré le passage du pouvoir autoritaire des Duvalier aux tenants du pouvoir populaire.
B.- La priorité aujourd'hui, ce n'est pas de régler des comptes mais de rechercher comment consolider la démocratie, en privant les armées privées de l'espace qui sera rendu disponible par le départ de la MINUSTAH.
C.- Nous pensons, quant à nous, qu'il convient, de part et d'autre, de garder la tête froide et d'examiner l'affaire sans passion, sous l'angle strict des réalités i.e. de la capacité de la PNH, telle qu'elle est et telle qu'elle sera au départ de la MINUSTAH, à assurer le maintien de l'ordre sur l'intégralité du territoire national, en tous temps, bons ou mauvais. Notre position est que l'option réaliste n'est pas entre Armée d'Haïti ou pas Armée d'Haïti, mais dans la création d'une force de maintien de l'ordre qui ne serait ni la PNH ni l'Armée d'Haïti reconstituée, mais une Gendarmerie Nationale dont la conception, la structure et le fonctionnement participeraient de l'une et l'autre institution.
A.- Un fossé, sur base de méfiance et d'hostilité réciproque
Entre les forces populaires qui ne souhaitent pas le retour de l'Armée et les partisans de la reconstitution, il y a un énorme déficit de confiance, lequel s'explique par les conditions dans lesquelles s'est opérée la transition politique. Jean-Claude Duvalier n'a pas négocié son départ. La transition a été brusque et sans règles. Il n'y a pas eu d'accord sur la meilleure manière d'absorber l'expansion de la participation politique ni sur les mécanismes appropriés de partage du pouvoir en régime de démocratie libérale représentative. L'Armée, qui craignait les conséquences de l'irruption des masses dans la politique, avait jugé bon de prendre les devants et de provoquer un changement artificiel du régime, à seules fins de limiter le champ et le rythme du processus de démocratisation.
Circonstance aggravante : la communauté internationale, qui aurait pu servir d'arbitre entre les positions adverses, a parfois manqué de clarté dans l'objectif et de détermination dans les moyens, n'a pas mis les cartes sur la table pour favoriser la négociation, mais s'est souvent contentée de faire monter le prix à payer pour toute résistance à la démocratisation. L'absence d'une négociation préalable, sinon entre les extrémistes, mais entre les modérés des deux camps, est un fait regrettable car si on n'a peut être pas toujours besoin de négociations pour sortir d'un régime autoritaire, les négociations sont indispensables pour la construction d'institutions démocratiques. Du fait que la transition a été brusque et non négociée, le problème de l'amnistie pour faits de violation de droits de l'homme et d'abus, celui de l'aménagement raisonnable et nécessaire des règles de cohabitation entre le pouvoir démocratique et l'Armée, sont restés sans solution. La dissolution, pure et simple, de l'Armée, au mépris des règles constitutionnelles, -à quoi est venu s'ajouter le cas des militaires démobilisés sans pension de retraite-, si elle s'expliquait par le ressentiment et la soif de revanche, achevait de rejeter l'Armée et ses partisans dans le camp opposé à la démocratie et fragilisait davantage l'effort de consolidation démocratique.
Une formule de démocratie directe
De plus, la manière dont les gouvernements populaires ont choisi d'exercer le pouvoir, sous forme de prépondérance absolue et directe de la volonté populaire, accompagnée de violences contre les biens et les personnes, d'occupations de rues et de pneus enflammés, n'a fait qu'aggraver les choses. Dans un tel contexte, les élections intervenues sous le régime nouveau sont souvent apparues non pas comme un moyen de changer le gouvernement mais comme un moyen de légitimer l'ordre nouveau et le gouvernement déjà en place. Les partisans de l'Armée ne se sont donc jamais sentis rassurés sur leur sort et ont longtemps survécu dans la peur des représailles.
Haïti en transition vers l'inconnu
Avec un Parlement pas vraiment fonctionnel, des partis politiques non mobilisateurs, un Etat trop faible pour exercer, de lui-même, un contrôle effectif sur l'intégralité de son territoire, le tout sur fond de pauvreté, d'inégalités, d'une opération d'ajustement structurel qui ne fait aucune place à la création d'emplois, et d'un populisme à fleur de peau, l'ordre politique actuel n'est en définitive garanti que par la présence de troupes étrangères et on ne peut pas dire que nous ayons déjà établi les bases d'une démocratie libérale fonctionnelle ni que nous en serions très proches. D'où il suit que si on fait la somme des ressentiments croisés entre protagonistes du débat Armée ou pas Armée et des risques auxquels, de par les circonstances, la démocratie se trouve tout naturellement aujourd'hui exposée, on peut dire que Haïti aujourd'hui est un pays en transition vers quelque chose, mais personne ne sait avec autorité une transition vers quoi.
B.- La démocratie, chez nous, une plante fragile et exotique : à consolider d'urgence
Les choses étant ce qu'elles sont, notamment sur le plan de la précarité et de la fragilité du stade actuel de construction démocratique, le problème prioritaire qui se pose aux démocrates et aux Haïtiens de toutes tendances, ce n'est pas de rechercher comment bloquer la reconstitution de l'Armée d'Haïti mais comment consolider la démocratie et par suite déterminer combien de temps la MINUSTAH va rester encore en Haïti et dans quel état, à son départ, sera la PNH. Si, faute d'un compromis rationnel entre ceux qui veulent l'Armée et ceux qui n'en veulent pas, on laissait à des armées privées l'espace nécessaire pour combler le vide sécuritaire que laisserait la MINUSTAH, une telle situation ne ferait l'affaire de personne.
a) La MINUSTAH
Même si on ne dispose pas d'une boule de cristal pour deviner l'avenir, l'hypothèse que la MINUSTAH pourrait rester en Haïti après la fin du mandat de Préval ne serait pas souhaitable ni réaliste. Pas souhaitable parce que, au-delà d'une certaine période de cinq ans, l'opération MINUSTAH apparaîtrait aux Haïtiens, non pas comme une opération de maintien de la paix, mais comme une véritable occupation pure et simple du territoire national, ce qui risquerait de créer un sentiment de rejet collectif que les forces nationalistes de droite et d'extrême droite ne manqueraient d'exploiter à leur profit exclusif, et vraisemblablement aux dépens du processus de consolidation démocratique. Tabler sur le maintien de la MINUSTAH pour une période longue ne serait pas non plus réaliste. Le coût de l'opération est de $600 millions par an, soit donc, sur une période, disons de 10 ans, un total de $6 milliards, $2 milliards de plus que notre Produit Intérieur Brut. Nous ne voyons pas comment la communauté internationale pourrait continuer de justifier un tel niveau de dépenses dans un pays qui ne constitue pas une menace mondiale pour la paix et la sécurité et dont les besoins de dépenses sociales d'éducation, de santé et de nutrition dépassent de très loin la capacité interne de financement et ne sont pas couverts.
b) la PNH
Pour ce qui est de la PNH, nous savons que d'énormes progrès ont été accomplis. De 1.500 policiers qu'elle comptait en 2004, elle compte aujourd'hui près de 9.000, dont un large pourcentage en soutien administratif, soit une augmentation considérable de l'ordre de 4% par an. De nombreux chefs de bandes ont été mis hors d'état de nuire. De 500 en 2006, le nombre de kidnappings est tombé à 218 en 2007 soit donc une réduction de près de 50%. La présence de postes de polices dans certaines zones chaudes, la sortie d'une nouvelle promotion de 632 policiers, une augmentation des salaires de l'ordre de 52% depuis 2005, une unité mobile suffisamment entraînée pour manoeuvrer à travers le trafic infernal des principales artères de Port-au-Prince, telles sont, en gros, quelques unes des réalisations dont le Chef de la Police pouvait, à bon droit, se féliciter, dans une interview au Miami Herald du 15 janvier dernier.
Malheureusement, nous sommes loin du nombre de policiers dont la PNH devrait disposer pour assurer la sécurité d'une population de 9 millions d'habitants. D'après certaines estimations d'experts, il nous faudrait 20.000 policiers, soit 10.000 de plus que ce que nous avons actuellement. L'aide financière bilatérale à la PNH, notamment de source américaine qui se situait à hauteur de $60 millions depuis 2004, s'est considérablement ralentie. De plus, la capacité d'absorption de la PNH, en regard à la fois des besoins de consolidation de l'acquis et d'expansion future, n'est probablement pas aussi grande qu'elle devrait l'être. Comme le dit le Major Général Carlos Alberto dos Santos Cruz, Commandant de la MINUSTAH « Nous avons un niveau acceptable de sécurité mais tout le monde doit comprendre que la situation est très fragile ». Faute que la PNH soit en mesure, à elle seule, de remplir sa mission de maintien de l'ordre d'ici 2011, au plus haut niveau d'efficacité nécessaire, il n'y a pas d'autre solution que la création d'un corps nouveau de maintien de l'ordre qui ne serait ni la PNH, ni l'Armée d'Haïti mais une combinaison des deux et qui aurait vocation à assurer tous les besoins de sécurité qui sont pour l'instant insuffisamment couverts. Une telle force hybride de maintien de l'ordre serait une Gendarmerie Nationale.
C.- Une Gendarmerie Nationale d'Haïti
La mission essentielle de la Gendarmerie Nationale d'Haïti serait d'assumer le maintien de l'ordre public dans des conditions et avec des moyens qui viseraient à faciliter la transition démocratique et à la consolider. Il s'agirait d'une force nouvelle, sans lien organique ou personnel, avec l'ancienne Armée, et dont les domaines d'intervention porteraient sur la sécurité intérieure sur tout le territoire, l'organisation de secours à la population en cas de désastres naturels, la garantie de l'exercice des libertés individuelles de la vie démocratique, la libre gestion des communes et des collectivités avec, pour vocation, de pouvoir s'adapter à toutes les formes de situations susceptibles de s'opposer au bon fonctionnement de la vie démocratique, de veiller au respect par chaque citoyen des règles de la vie collective et de le protéger contre les risques qui le menacent.
La Gendarmerie Nationale serait organisée territorialement en régions géographiques. Elle comprendrait deux grandes subdivisions :
1) la Gendarmerie Départementale, force de police générale, opérant sur le terrain, essentiellement dans les chefs-lieux de départements et dans les provinces,
2) la Gendarmerie Mobile, force de maintien et de rétablissement de l'ordre, qui serait principalement utilisée en tant que réserve stratégique lors de manifestations et de troubles collectifs. Comme c'est le cas déjà dans de nombreux pays qui disposent d'une force aux mêmes contours, la Gendarmerie Nationale d'Haïti serait une force atypique. Elle serait une force militaire, par son statut, la formation des personnels mais en charge d'une mission policière. Cette mission porterait notamment sur le maintien de l'ordre, l'obéissance aux lois, la surveillance continue du territoire dans toute son étendue, particulièrement dans les provinces et les campagnes. La Gendarmerie Nationale exercerait également des missions de police administrative -prévenir et empêcher les troubles dans la cité-, de police judiciaire, -constater les infractions à la loi pénale, rassembler les preuves, en rechercher les auteurs-, de contrôle des étrangers, de lutte contre le grand banditisme, le commerce de la drogue, la surveillance des frontières, la lutte contre le terrorisme et elle interviendrait dans l'exécution des travaux de génie civil d'intérêt général. Le Directeur Général de la GNH serait placé sous l'autorité du Ministère de l'Intérieur et serait responsable devant le Parlement. Les préparatifs pour la mise en oeuvre de la GNH devraient commencer à temps pour que la force soit opérationnelle au plus tard en 2011.
Les tâches réservées à la PNH comprendraient le maintien de la sécurité publique dans l'aire métropolitaine, la surveillance des zones chaudes, la police de la circulation et la police routière, la protection du Palais National et des personnalités officielles et des principaux établissements publics, Prison, Port, Aéroport. La coordination entre les deux forces serait assurée par une Commission Quadripartite présidée par le Président de la République et comprendrait le Ministre de l'Intérieur, le Directeur Général de la PNH, le Directeur Général de la Gendarmerie.
Composition, coûts et financement
Aussi bien pour des raisons d'équilibre que de bonne logique, la taille des personnels de gendarmerie devrait être conçue comme un complément aux forces qui auraient été nécessaires à la PNH pour s'acquitter de manière tout à fait satisfaisante de ses tâches présentes et à venir, d'où un effectif de Gendarmerie de 10.000 gendarmes. Le recrutement et la formation des personnels de Gendarmerie seraient assurés soit par la MINUSTAH, soit par des pays (France, USA, Canada, Israël) qui possèdent une grande expérience du type d'organisation militaire à fonction de police que représenterait la Gendarmerie Nationale d'Haïti, et dans des conditions qui garantissent l'absence de tout lien entre les nouvelles recrues et les pratiques anciennes de violation des droits de l'homme, le trafic de la drogue ou toute forme de terrorisme.
Des coûts difficiles à évaluer
Malheureusement, s'agissant des coûts, nous n'avons pas trouvé une base de comparaison utile. Sur 2005-2007, les allocations budgétaires « Justice et Sécurité » étaient de HTG3.446.7 milliards (US$83.4 millions)) soit 1.9% du PIB. Sur ce total, la part de la PNH ressortait à HTG2.987.8 milliards (US$72.4 millions) soit 86.7% du budget total « Justice et Sécurité ». Ce budget 2005-2007 était en augmentation substantielle par rapport à 2005-2006 (US$59.0 millions) soit 1.5% du PIB. Pour 2006-2007, le budget PNH était de HTG4.5 milliards (US$107.9 millions) soit 80.9% du budget total « «Justice et Sécurité ». C'est dire que, d'une année sur l'autre, la PNH a eu la part du lion du budget global « Justice et Sécurité » et qu'au plan des allocations budgétaires, la PNH est nettement mieux lotie que l'Agriculture (4.4%) ou la Santé (6%). Il n'en demeure pas moins toutefois que si la part du secteur « Justice et Sécurité » représente presque 9% du total du budget de l'Etat, une telle allocation peut être considérée comme dérisoire par rapport à celle d'autres pays qui sont comme nous dans une situation d'après conflits et où les dépenses de police représentent entre 20 et 30% du budget national.
Dans le même ordre d'idées, toute référence à l'ancienne Armée d'Haïti n'aurait aucun intérêt, même théorique. À la fin des années 90, le budget de l'ancienne Armée pour un effectif de 9.634 militaires était de $19.2 millions (96 millions de gourdes).
À notre avis, ce ne serait pas une bonne idée de payer les gendarmes mieux que les policiers. Comme ces derniers sont relativement sous-payés, une solution raisonnable serait de relever les salaires de la PNH, d'aligner les salaires des gendarmes sur les tarifs relevés de la PNH, ce qui laisserait évidemment ouverte la question du financement d'équipements de la Gendarmerie et de leur entretien. Le financement de la GNH devrait comporter une grande composante internationale. À titre indicatif, les USA, après avoir terminé, au Liberia, la démobilisation de l'ancienne Armée, ont dédommagé les soldats démobilisés avec des allocations de $300 et de $4000, en fonction du rang, et ont financé à hauteur de $200 millions la présélection, le recrutement, la formation, l'équipement, et le logement d'une armée de 2.000 hommes et la réhabilitation de trois bases militaires.
Conclusion
La prise en charge par la communauté internationale d'une Gendarmerie Nationale non seulement permettrait rapidement la création d'une force de stabilisation et d'unité du corps social mais serait un moyen de rentabiliser pour de bon l'énorme investissement qu'elle a déjà consenti pour essayer d'instituer un ordre démocratique, y compris les coûts de la MINUSTAH, les coûts des nombreuses opérations électorales ainsi que les coûts des aides budgétaires aux fins économiques et sociales.
Marc L. Bazin
25-27 Janvier 2008
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