samedi 11 août 2012

Lycée Anténor Firmin (Haïti) / Mon Bulletin en classe de 6e (secondaire 1) en 1963-1964

Par Dr. Pierre Montès

Dans mon hommage aux codirecteurs du Collège Classique d'Haïti (1), j'ai parlé de mon passage au Lycée Anténor Firmin où j'ai fait la classe de 6e en 1963-1964.

Les deux images suivantes sont tirées de mon bulletin (carnet scolaire) au lycée.

La première image montre, d'un côté, un extrait des règlements, de l'autre, la première page du belletin où sont indiqués: mon nom, mon prénom, l'année académique, ma classe.

La deuxième image  contient les résultats (cotes, totaux, moyennes, classement) que j'avais obtenus aux examens du premier et du deuxième semestres. On y voit la signature du Directeur, Maître Léonard Dubuisson. On voit clairement en grandes lettres manuscrites que j'étais bien admis en classe de 5e II à la fin de l'année scolaire 1963-1964.



Image 1.- Bulletin de Pierre Montès au Lycée Anténor Firmin
en classe de 6e III, année 1963-1964
Extrait des règlements et première page





Image 2.- Bulletin de Pierre Montès au Lycée Anténor Firmin
en classe de 6e III, année 1963-1964
Résultats aux examens semestriels



J'avais passé une mauvaise année de 6e au lycée: c'était l'annus horribilis (2). Malgré tout, j'ai eu de très bons résultats aux examens de fins de semestre. On voit en effet qu'aux examens des deux semestres, j'étais bien premier de la classe et que j'étais bien admis en 5e II. Aux examens du deuxième trimestre, j'étais non seulement premier de ma classe, mais l'un de mes professeurs m'avait alors confirmé que j'étais le premier des premiers de tout le lycée ! Un tel événement s'était déjà réalisé dans le passé, à quelques occasions en classes primaires.  Je suis certain que, au Lycée Firmin, un tel événement a dû aussi retenir l'attention du Directeur Léonard Dubuisson. Je ne me rappelle pas avoir reçu aucun prix pour avoir réalisé cet exploit, sauf quelques compliments et mots d'encouragement de la part de quelques rares professeurs.

En octobre 1964, les cours reprirent au lycée. J'entrai en classe de 5e II. Auncun appel nominal ne fut fait durant le mois d'octobre, ni au début du mois de novembre, si je me souviens bien.

Vers la première semaine novembre 1964, le Directeur du lycée, Maître Léonard Dubuisson se présenta dans notre classe de 5e II avec une liste: celle des élèves de la classe de 5e II. Il procèda à l'appel nominal. Environ une douzaine d'élèves de la classe incluant moi-même dont les noms ne figuraient pas sur la liste de Maître Dubuisson furent chassés de l'École. En créole, on appelle les jeunes qui sont dans cette situation des «dasomans» (voyez-y le mot français «assaut» et le mot anglais «man»); cela signifie des intrus qui se trouvent dans un lieu (école, cinéma, bal, mariage, etc.) sans y être admis ni invités.

Vous avez compris: le premier de la classe de 6e III en juin 1964 a été chassé du Lycée en classe de 5e II en novembre 1964 par le Directeur en personne car son nom ne figurait pas sur les listes d'élèves du Lycée ! C'était incroyable, mais c'était vrai: la vérité du Directeur du lycée, Maître Léonard Dubuisson.

Je n'ai jamais su ce qu'il était advenu des autres camarades qui avaient été chassés en même temps que moi.

Je retournai à la maison en pleurant. Je m'étais dit que j'allais prendre mon bulletin à la maison, l'amener au Directeur Dubuisson, et ainsi le convaincre que j'avais été bien admis en classe de 5e II en juin 1964. Mais les choses ne sont pas passées comme je les avais imaginées. 

Dieu place toujours sur votre chemin un bon samaritain à qui il confie la mission de vous aider à poursuivre ce chemin.

En ce début de novembre 1964, ce bon samaritain, était le cher frère Pierre E. Leury, Directeur de l'École République du Libéria où j'avais fait de brillantes études primaires (1958-1963).

Le lendemain de mon renvoi du Lycée Firmin par Maître Dubuisson, je suis allé voir le frère Pierre pour lui raconter ma mésaventure. C'était lui qui, en été 1963, après ma réussite aux examens officiels du CEP (fin d'études primaires) organisés par le Ministère de l'Éducation nationale, m'avait envoyé au lycée avec un billet adressé à Maître Ford, un membre de la Direction du Lycée Firmin, pour y passer le concours d'entrée en 6e.

Après avoir entendu le récit de ma mésaventure, le frère Pierre ne m'incita pas à retourner au lycée avec mon bulletin de 6e III pour prouver à Maître Dubuisson que je n'étais pas un «dasoman», mais il me laissa entendre qu'il allait faire des démarches auprès de Maître André Robert, pour obtenir en ma faveur une bourse d'études au Collège Classique d'Haïti. Le reste de mon histoire est résumé dans mon hommage aux codirecteurs du Collège Classique d'Haïti (1).

Avant de me rendre au Collège Classique accompagné de ma mère le lundi suivant mon renvoi du lycée, je me le rappelle, le vendredi précédant ce lundi, ma mère m'accompagna au lycée à 8h AM. Après la rentrée des classes, nous sommes entrés sur la cour du lycée où le Directeur Dubuisson y était. Il était seul. Nous nous sommes approchés de lui. Après les salutations d'usage, nous lui avons montré mon bulletin de 6e III attestant que j'avais bel et bien réussi et que j'étais admis en 5e II. En guise de réponse, Maître Dubuisson nous a offert l'opportunité de me réintégrer en 5e II. Il nous a alors appris que durant l'été 1964, il y eut un incendie à la direction du lycée et qu'au cours de cet incendie, des listes avaient été détruites dans les flammes. Nous avions accepté poliment ses arguments. Nous lui avions appris que j'allais  changer d'école et qu'il pouvait considérer que je ne faisais plus partie du Lycée Anténor Firmin.

Aujourd'hui, quarante-huit ans après cet événement malheureux, je me demande encore quelle avait été la vraie raison pour laquelle je fus chassé du lycée ? Quelle que fût cette vraie raison, je n'ai gardé aucune rancune ni amertume à l'égard de Maître Dubuisson (3). Mon départ du lycée a été la meilleure chose qui pouvait m'arriver à ce moment-là. Je n'ai pas regretté d'avoir été chassé du lycée en 1964, mais j'ai regretté plutôt d'y être entré en automne 1963. 

Une chose est certaine: en me chassant du lycée, le Directeur Dubuisson m'a rendu un grand service. Il a créé, sans le savoir, les conditions qui allaient permettre le déclenchement du processus par lequel j'allais passer du lycée Firmin au Collège Classique d'Haïti.

Le récit de cette aventure au lycée Firmin permettra aux lecteurs de comprendre avec quelle détermination, en janvier-février 1986, j'avais décidé d'entreprendre de mettre de l'ordre dans les lycées de la République, si mon passage à la tête du Ministère de l'Éducation nationale n'avait pas été si bref (39 jours).


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(2) Nous avions passé une mauvaise année de 6e: l'annus horribilis. Certains professeurs ne venaient pas faire leurs cours régulièrement (absentéisme). D'autre part, nous étions souvent obligés de nous asseoir sur le mur froid de six rangées de blocs de ciment de 1,20 mètre de hauteur qui bordait le hangar d'un peu moins de 5 mètres par 5 mètres qui nous servait de salle de classe. Il y avait 130 élèves en 5e II et il n'y avait pas 130 places assises sur les bancs disponibles. Ce n'était pas la peine d'arriver plus tôt que les autres pour avoir une place, car étant parmi les plus petits de la classe, les plus grands, assis jointivement par un mouvement de translation horizontale (glissement), nous débarquaient (poussaient hors) des bancs, si nous avions osé nous asseoir avant eux sur un banc vide.

La situation s'est améliorée un peu pour nous quand les plus grands ont vu qu'ils pouvaient compter sur nous pour les aider éventuellement à réussir leurs examens. Nous avions alors eu droit à une place assise sur un banc à la condition que nous leur promîmes de leur permettre de lire un extrait de ce que nous écrivions sur nos copies d'examen, entre autres choses du genre.

En 5e II, il y avait un peu moins d'élèves dans une classe de même grandeur que la 6e III et qui lui était contiguë.

(3) J'ai appris que Maître Léonard Dubuisson, maintenant octogénaire, vit dans un chic arrondissement de Montréal (Mont-Royal). Il jouit d'une retraite bien méritée; il écrit et publie. Je prendrais plaisir à échanger avec lui, en toute sagesse, en toute civilité, si l'occasion se présentait.

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