Par Adeline P. Malette, Lycée de Jeunes Filles (1947-1954)
J’ai appris avec beaucoup de tristesse la mort de deux éminents professeurs : André Robert et André Jean. Ils ont quitté cette terre à quelques jours d’intervalle, sur la pointe des pieds, sans faire de bruit.
J’ai eu le privilège de rencontrer ces deux hommes remarquables au lycée de Jeunes Filles; André Robert enseignait les mathématiques et André Jean le latin.
Professeur de mathématiques en troisième et seconde, Maître Bob, comme on l’appelait ordinairement, avait une attention spéciale pour les élèves de la section B du lycée. «Vous êtes des élèves modèles» ne cessait-il de répéter. Élèves du Lycée de Jeunes Filles, nous n’avions rien de spécial, nous étions à l’école pour nous instruire et nous étions studieuses. Nous avions d’excellents professeurs – en français, physique, chimie, anglais, etc. – des hommes et des femmes dignes d’éloges.
Monsieur Jean a cheminé avec nous de la sixième – aujourd’hui septième année fondamentale – jusqu’à la classe de rhéto. Je revois le directeur du lycée accompagné d’un jeune homme un peu frêle, entrer dans la salle de classe, «Je vous présente M. André Jean, votre professeur de latin» nous dit-il. Monsieur Jean avait en face de lui une trentaine d’adolescentes le visage attentif. Il nous dévisagea quelques secondes puis prit un bâton de craie et commença son cours.
Pendant six années consécutives cet excellent pédagogue nous a appris à aimer le latin. Il ne cessait de rappeler le plaisir qu’il éprouvait à dispenser ses cours à des élèves avides de savoir.
Après les études secondaires, je perdis de vue les professeurs et les élèves du lycée. Des années plus tard, quand je sus que mes deux anciens professeurs dirigeaient un Collège à l’Avenue John Brown «Le collège Classique d’Haïti», je voulus les revoir. Ce furent de vraies retrouvailles, nous avons évoqué les bons moments passés au lycée. Ce n’était plus l’élève qui visitait ses professeurs mais des amis qui s’étant perdus de vue, se retrouvaient. Je les ai revus, des années plus tard, à l’Avenue Jean Paul II dans un beau bâtiment que le séisme du 12 janvier 2010 détruisit. Après cette catastrophe, ils paraissaient découragés et avaient du mal à retrouver leur joie d’antan.
Quand j’ai su que la Fondation Digicel, dans un élan de solidarité, avait reconstruit le bâtiment du Collège Classique d’Haïti, je m’empressais de visiter mes chers anciens professeurs. Ils me reçurent avec joie. Je me réjouis qu’ils aient eu l’opportunité de revoir leur collège «debout». J’entends encore le discours de Monsieur Jean, prononcé avec beaucoup d’émotion le jour de l’inauguration du nouveau bâtiment.
Hommes intègres, hommes de devoir, André Jean et André Robert ont inculqué à des générations de jeunes l’amour de l’étude.
J’ai entendu Monsieur Jean dire au Seigneur : «Je ne peux pas laisser Bob partir seul. Pendant plus d’un demi-siècle nous avons travaillé ensemble, nous avons partagé nos déceptions, nos soucis, nos joies, je ne peux pas le laisser partir seul».
Le Seigneur de répondre «Vas-y, accompagne ton ami».
Je les vois marchant allègrement, le cœur léger, la conscience tranquille, heureux d’avoir rempli jusqu’au bout la mission qui leur a été confiée.
André Robert et André Jean, merci pour ce que vous avez été pour les jeunes qui ont eu la chance de croiser votre chemin.
Au nom de mes compagnons du lycée, je vous remercie pour votre patience, votre bienveillance. Merci de nous avoir inculqué le goût du travail bien fait.
Vos noms ne sont pas inscrits au tableau d’honneur du ministère de l’Éducation nationale, mais ils sont gravés au cœur de chacun de nous.
Vous avez bien rempli votre journée! Un cortège d’anges vous accompagnent vers la maison du Père.
Bonne route vieux frères, mes prières vous accompagnent.
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