Nous allons émettre ici quelques brèves considérations relatives à la variabilité de la résistance des matériaux (du béton armé en particulier), même des matériaux dont la fabrication et la mise en oeuvre soient les mieux contrôlées. Nous mettrons en évidence la manière dont on en tient compte dans la conception des ouvrages civils. Nous souhaitons arriver ainsi à sensibiliser un peu les autorités haïtiennes et tous ceux que le sujet intéresse sur la nécessité de légiférer pour éviter des accidents du genre de ceux survenus, il n'y a pas trop longtemps, dans une école à Pétionville et dans un bâtiment à Musseau.
La résistance des matériaux de construction et les charges appliquées sur un bâtiment ont une certaine variabilité dont il faut connaître les caractéristiques. Autrement dit, la résistance du matériau (ici, le béton armé) et la sollicitation (charges auxquelles la structure est soumise) sont des variables aléatoires (V.A.) dont il faut connaître les fonctions de distributions (loi de distribution de probabilité, moyenne, variance de chaque V.A.).
Appelons R la V.A. représentant la résistance du matériau dans la partie la plus sollicitée de la structure, par exemple, et Q la V.A. représentant la charge (au sens large) agissant sur cette même partie. Ici R et Q peuvent être des forces, des moments ou des contraintes.
Pour se fixer les idées, supposons que R et Q suivent des lois normales de moyennes
Dans la méthode de calcul aux contraintes admissibles, on définit le facteur de sécurité par:
FS = m(R) / m(Q) , avec FS > 1.
Comment surmonter cette faiblesse de la méthode de calcul aux contraintes admissibles ?
On définit la marge de sécurité (safety margin) par SM = R-Q.
On peut alors définir la sécurité de l'ouvrage, non par le facteur de sécurité FS qui n'est pas approprié, mais plutôt par la probabilité de défaillance (ou de rupture), P_déf, ou bien par l'indice de fiabilité, I_fiab:
Figure 2
Ces faits (la variabilité de résistance et de sollicitation; la carence implicite du facteur de sécurité FS) ont été reconnus par les ingénieurs depuis quelques décennies déjà (dans les années 1940). Ils ont par la suite (dans les années 1960) développé, la méthode de calcul aux états limites qui est dénuée de la faiblesse de la méthode de calcul aux contraintes admissibles. Cette méthode intègre les notions de probabilités dans les calculs en lieu et place du facteur de sécurité. Ils définissent une valeur particulière de Q, disons Qf, en fonction de la charge d'utilisation QL: la charge d'utilisation QL est majorée par un facteur alpha :
Qf = alpha x QL;
alpha est lié à la probabilité pour Q d'être supérieure à la valeur Qf.
De même, ils définissent une valeur de particulière de R, disons Rr, résistance pondérée (réduite), en fonction de la résistance nominale, Rn, par un coefficient de tenue, phi :
Rr = phi x Rn;
phi est lié à la probabilité pour R d'être inférieure à la valeur Rr.
Les valeurs possibles de alpha et de phi sont fixées une fois pour toutes dans le « code national du bâtiment » de chaque pays et/ou dans les normes de chaque pays, dans le but de protéger le public. On a, en général: alpha est supérieur à 1 et phi inférieur à 1. On doit donc toujours avoir:
(alpha x Qf) inférieur à (phi x Rn),
soit,
Qf inférieur à Rr,
pour éviter la défaillance de la structure.
Les probabilités (et la statistique) étant entrées depuis quelques temps déjà dans le quotidien des hommes et des femmes de toutes disciplines, et de tous les pays, je présume que le sujet ébauché ici permettra à la communauté haïtienne de l'intérieur et de la diaspora de saisir l'essence de la question du contrôle de la qualité des matériaux en général, des matériaux de construction en particulier.
Le propos ci-dessus permet de comprendre que, si la qualité des matériaux n'est pas contrôlée, leur variabilité étant alors inconnue, il peut être dangereux pour le public d'utiliser (de vivre à l'intérieur) de telles structures. Il est de la responsabilité de l'État de codifier, de réglementer non seulement la fabrication et l'utilisation des matériaux, mais aussi les charges qui peuvent s'appliquer sur les ouvrages civils, petits, moyens ou grands.
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(*) Dans le cas de la figure 1, la probabilité de défaillance est en réalité inférieure à l'aire hachurée qui en constitue une borne supérieure. Cette approximation est dûe au fait que la probabilité de défaillance s'exprime sous la forme d'une intégrale qu'il est difficile de calculer. Par contre, dans le cas de la figure 2, la probabilité de défaillance correspond bien à l'aire hachurée sous la fonction de densité de SM.
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