samedi 27 juin 2009

Haiti/UNIVERSITÉ / CRISE / L’Université d’État fabrique-t-elle des désespérés ou des desperados ?

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Pris dans la spirale de la violence, les médecins de demain, encagoulés, lancent des pierres contre les forces de l'ordre.
Photo: Le Matin, 23 juin 2009
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Source: Le Matin, 23 juin 2009
Mouvement étudiant, salaire minimum, réforme de l’Université sur fond de manifestations sans doute légitimes par le fond des revendications, mais fortement empreintes de violence : Port-au-Prince est chaude en ce début d’été. Pour comprendre et faire comprendre, Le Matin a rencontré l’une des figures promotrices du « Mouvement de l’intégration de la Jeunesse », Emmanuel Jean-François, fraîchement sorti de la faculté de Droit et des Sciences économiques et de l’École normale supérieure, après avoir reçu une formation au CTPEA.
Le Matin : Pourquoi les étudiants occupent-ils les rues ?
E.JF : Cet épisode du mouvement étudiant a son origine à la faculté de Médecine et de Pharmacie où les étudiants posent des problèmes strictement académiques portant sur un nombre de cours retranchés du cursus, et d’autres réduits à un simple niveau de séminaire, ce qui ne peut en aucune manière amener les étudiants à l’excellence académique. Il y a eu une espèce de dialogue de sourds avec le décanat qui a débouché sur une Assemblée générale extraordinaire pour traiter – sans succès apparentde la question à l’interne. La rue a paru alors comme la dernière voie de recours.
Le Matin : Des deux côtés, on s’est radicalisés, semble-t-il ?
EJF : Le Conseil exécutif de l’UEH insiste sur les questions de forme ayant trait à l’irrévérence d’un étudiant en particulier. Sans doute, le respect réciproque lié à la bonne éducation haïtienne ne doit pas être négligé dans un centre universitaire de si grand prestige, mais on peut regretter que, des questions académiques, on ait abouti à des échanges acides jusqu’à l’exigence, par les étudiants, du départ de la doyenne, alors que les responsables universitaires s’en tiennent au principe sacrosaint de la légitimité du Conseil. Il faut reposer les problèmes sans ressentiment, sinon c’est une voie sans issue où il n’y aura que des perdants, en premier lieu la société.
Le Matin : La théorie des dominos a ainsi trouvé un véritable champ d’application alors ?
EJF : Effectivement, la faculté des Sciences humaines, l’ENS, l’Ethnologie, à la conscience sociale extrêmement aiguisée, ont relayé les revendications lestées du salaire minimum devenu un enjeu central au sein des étudiants de tous bords. Ce nouvel élément du revendicatif estudiantin éclate, à mon sens, la bulle universitaire telle que conçue pendant longtemps par un certain milieu. L’Université ne peut pas être un espace clos ; elle doit répondre rationnellement et raisonnablement aux questions que se pose la société.
L’UEH est une fausse Université, handicapée partout, incapable d’accueillir le dixième des bacheliers.Étudiants comme professeurs doivent en permanence réaliser des exploits pour sortir un enseignement minimalement acceptable. À la longue, ça use. Maintenant, c’est vrai, il manque de la sérénité pour un débat en profondeur, alternatif à cette espèce de bataille rangée. Une partie importante de la population supporte les étudiants, et au nom de l’intégration de la Jeunesse, j’apporte mon soutien moral et politique à ces compatriotes dans la mesure où leurs revendications s’éloignent de la violence, sous quelque forme que ce soit.
Le Matin : Quel éclairage pouvez-vous apporter sur la question du salaire minimum ?
EJF : Sans nier son aspect politique, la question salariale est très technique, malheureusement complexe aussi, même pour ceux-là qui ont passé quelque temps à étudier. Un ouvrier ne doit pas être un pauvre. Il a droit à la décence liée à la notion de noblesse du travail. On finit par faire une fixation des 200 gourdes alors que la classe ouvrière n’arrêtera pas d’être pauvre après des mois d’application de ce plancher salarial. La valeur de la monnaie, c’est bien connu, ne se mesure qu’à la quantité de biens et de services qu’elle rend accessibles. À défaut du ministère de l’Économie et celui du Commerce dont l’orthodoxie libérale interdit de contrôler les prix – concédons-le – la société pourrait quand même compter sur des associations de consommateurs, sur le contrôle de la qualité par l’État, sur un observatoire des conditions de travail des ouvriers etc. Il échappe à tous que le travail, vu du côté des ouvriers, comme du patron, n’est pas protégé dans le pays. L’État laisse faire, et on fait très mal. L’équilibre macro-économique plaît toujours aux étudiants en tant que donnée scientifique réalisable par le savoir maîtrisé, mais le ventre du peuple et ses services de base ont des exigences qu’ignorent souvent les techniciens des organisations financières mondiales. Je crains par ailleurs que l’indexation radicale du salaire n’ait un effet néfaste pour les classes moyennes et, évidemment, les ouvriers.
Le Matin : La notion d’intégration de la Jeunesse paraît floue. N’est-on pas intégré si on est à l’Université ? Qui, le marché du travail emploie-t-il, sinon les jeunes cadres ? N’est-ce pas aux jeunes de faire valoir leurs capacités ? Y aurait-il de la gérontocratie dans l’appareil d’État ?
EJF : Fort préoccupé par cette problématique, il m’est souvent arrivé de recommander aux autorités d’ouvrir les yeux sur les professionnels fraîchement sortis de l’Université, mais qui ne voient rien à l’horizon ; les jeunes laissent l’Université sans espoir. Quand nous parlons d’intégration de la Jeunesse, comptent aussi dans notre esprit – et au même titre que les détenteurs de diplômes supérieurs – ces cohortes de jeunes femmes et jeunes hommes sans formation intermédiaire, ravagés par une sensation d’inutilité extrêmement frustrante, donc forcément dange-r euse pour la société. La relève inter générationnelle n’est pas naturelle, comme pousse l’herbe; elle dépend d’une volonté, d’une clairvoyance et d’un savoir-faire politiques absents du champ de l’État depuis, en tout cas, au moins ces dix à quinze dernières années qui coïncident avec la naissance de la conscience politique de ma génération, les 25-40 ans.
Le Matin : Encore une fois, a-ton rendez-vous avec l’échec ?
EJF : Le chef de l’État est à même de mesurer l’ampleur de ce qui se passe et d’agir en conséquence. Je demande à Madame Pierre-Louis de tirer les conclusions de sa gouvernance de 10 mois. Il faut aujourd’hui élever le seuil du possible. Le dialogue est la voie royale. La violence contre les étudiants est désespérante.Aux étudiants, j’ose proposer d’éradiquer la violence en leur sein. La jeunesse et le sérieux des revendications suffisent pour porter le mouvement vers les plus hauts sommets. L’Histoire montre aussi que la division assassine rampe toujours dans le camp des grandes contestations estudiantines. Cela ne doit pas être une fatalité. Inspironsnous de Cheik Anta Diop qui suggère aux intellectuels « d’étudier le passé non pour s’y complaire, mais pour y puiser des leçons ou s’en écarter en connaissance de cause ».
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L'article ci-dessus provient d'ici.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

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