lundi 3 décembre 2007

Victor Benoît : « Un rendez-vous démocratique manqué »

Par Jacques Desrosiers
jadesro@lematinhaiti.com

« Un rendez-vous démocratique manqué », c’est le jugement porté par le professeur Victor Benoît lorsqu’on lui parle du massacre du 29 novembre 1987. À l’époque, il était membre du Groupe 57 et candidat au Sénat pour le département de l’Artibonite.

Le président du parti de la Fusion des sociaux démocrates estime que le pays a, ce jour-là, raté une belle opportunité. À son avis, la dégradation sociale, économique et politique du pays découle de ce rendez-vous manqué.

Victor Benoît admet aujourd’hui que les événements du 29 novembre 1987 et leurs conséquences ultérieures tirent leur origine du manque de maturité politique du secteur démocratique de l’époque : « Nous n’avions pas mesuré toute la profondeur de la capacité criminelle des ennemis de la démocratie ».

Comme signes annonciateurs de ce tragique événement, Victor Benoît note la décision du gouvernement de l’époque, le CNG, à travers le décret de juin 1987, de transférer le mandat de l’organisation des élections au ministère de l’Intérieur dirigé par le Général Williams Régala, et aux commissaires de gouvernement. Le Conseil électoral provisoire était ainsi converti en une simple autorité de promulgation des résultats. Ce qui allait provoquer une grande mobilisation populaire, durant plus d’un mois, avec comme résultat des morts, des blessés, et le retrait par le gouvernement de ce décret.

Comme autres signes prémonitoires, Victor Benoît relève aussi des tirs sur des églises, les incendies du bureau du Conseil électoral provisoire et de l’imprimerie Le Natal chargée d’imprimer les bulletins de vote. Sa propre maison dans l’Artibonite avait été aussi attaquée et il n’avait pu s’échapper que grâce à l’intervention des paysans. Le président de la Fusion note également l’incendie d’un camion, la veille à Frécineau, qui transportait des bulletins à Saint-Marc.

L’échiquier politique de l’époque
En 1987, le secteur démocratique, selon le professeur Victor Benoît, était formé d’organisations politiques, syndicales, religieuses, féminines et paysannes. À l’intérieur de ce secteur, on trouvait plusieurs courants et idéologies comme les tendances libérale, communiste et sociale démocrate. Jean-Bertrand Aristide, à l’époque curé de l’église Saint-Jean Bosco, véhiculait, déjà, des idées populistes. La plus grande force fut le Groupe 57, créé lors d’une réunion organisée au local du collège « Les Normaliens réunis » de feu le professeur Emmanuel Buteau, explique Victor Benoît. Avaient participé à cette rencontre 57 organisations, avec les trois principaux groupes politiques de l’époque, le Konakom, le Panpra et le PNDPH. L’objectif principal : forcer le gouvernement à revenir sur le décret de juin 1987 enlevant au CEP tout rôle réel dans l’organisation des élections au profit du ministère de l’Intérieur. Ce que la coalition de ces forces démocratiques devait obtenir après de longues mobilisations. Ce groupe de pression utilisa par la suite le Front national pour le changement (FNC), en vue de prendre part aux élections avec la candidature de Me Gérard Gourgue. Parmi les leaders de l’époque, on comptait Marc Bazin, Leslie François Manigat, Grégoire Eugène. Les plus populaires furent le pasteur Sylvio Claude et Me Gérard Gourgue. En plus des masses, Me Gourgue réunissait derrière lui une bonne partie de l’intelligentsia de l’époque.

Leslie François Manigat , bénéficiaire du 29 novembre, sans en être l’instigateurSon ascension à la présidence à partir des élections boudées par une grande partie du secteur démocratique qui réclamait le départ des militaires, après le massacre du 29 novembre, fait de Leslie François Manigat le principal bénéficiaire de ces événements. Victor Benoît pense aussi que le professeur Manigat en profita beaucoup. Mais le président du parti de la Fusion des sociaux démocrates s’est gardé de lui imputer une quelconque responsabilité dans le déroulement de ces événements.

Victor Benoît croit plutôt que le professeur Leslie François Manigat se prêta au jeu de l’armée, comme bien d’autres leaders politiques, qui voulait utiliser son aura et son prestige. « Il fut utilisé comme un instrument », dit-il.

Victor Benoît, comme d’autres, n’est pas en mesure de fournir des informations sur le nombre des victimes du massacre du 29 novembre 1987. Cependant, de ce drame il a tiré une leçon : « pour gagner en politique, il ne suffit pas d’avoir raison. Il faut avoir une bonne stratégie.»
lundi 3 décembre 2007

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