lundi 3 décembre 2007

Alix Cinéas : « ma seule boussole a été mon désir de vivre en Haïti »

Par Nicole Simeon

Dans le bureau de son entreprise de construction à Delmas, Alix Cinéas est redevenu l’ingénieur qu’il est de métier. Peu de ses clients, aujourd’hui, connaissent son passé politique. Et pour cause ! Il évite d’en parler. « Si je devais dire tout ce que je sais sur ce pays et sur ces hommes politiques… je ne devrais plus vivre ici », indique l’ex-membre du Conseil national de gouvernement (CNG) [première version], qui affirme qu’il « n’a qu’une boussole, le désir de vivre en Haïti. »

Ce monsieur, qui aura 74 ans dans quelques jours, n’a pas eu un destin commun. Secrétaire d’État aux Travaux publics sous Jean-Claude Duvalier, il a assisté à son départ. Alix Cinéas représentait avec Gérard Gourgue les deux civils de la première version du CNG. Il en avait lui-même conseillé la formation. Aujourd’hui, il explique : « après trente ans de pouvoir, on devait passer par l’armée, on ne pouvait pas éviter ça. » L’armée d’Haïti, souffre-douleur du pouvoir duvaliériste a tout de suite été considérée comme alliée du peuple à la chute de la dictature. À tort. « Je crois avoir fait mon travail comme j’ai pensé devoir le faire. J’ai commis beaucoup d’erreurs, mais il n’y avait aucun calcul. La première a été de suggérer la formation du CNG. Les hommes que j’avais choisis n’étaient pas les bons. Cela ne m’a pas pris beaucoup de temps pour me rendre compte que je m’étais trompé. »

« Mon seul critère était leur grade dans l’armée, et j’ai eu tort. Contrairement à ce que je pensais, ces hommes ne pensaient pas « pays » et la réhabilitation d’une certaine démocratie. Mais ils pensaient pouvoir », déplore Alix Cinéas.

« Il y a tant de choses à faire dans ce pays, qu’il nous faudrait démarrer. Or, on n’a pas encore commencé », s’indigne l’ingénieur. Retour sur l’histoire : « Il y avait beaucoup de passion tant du côté des duvaliéristes que du côté de l’opposition en 1986, se souvient-il.

Alix Cinéas raconte : « Dans la nuit du 28 au 29 novembre, un ami m’a réveillé pour me demander si j’étais au courant de ce qui se passait, parce qu’il y avait des tirs un peu partout dans le pays. Je n’avais rien entendu ».

« Il me semble que c’était une affaire réalisée par un groupe de militaires décidés. On prétend que les civils étaient des anciens miliciens, commandé par le général Claude Raymond. Claude Raymond n’a ni participé ni fomenté cette affaire et surtout pas tout seul. Néanmoins, jouant son rôle de candidat à la présidence jusqu’au bout, il a donné refuge à des hommes que le lui demandaient.»

« À mon avis, il y avait tellement de passion à l’époque, je me demande est-ce que ces évènements n’ont pas fait l’affaire des candidats ? J’ai eu certaines réflexions de candidats par la suite qui m’ont conforté dans cette théorie ».

Pensezvous qu’un petit groupe d’individus ait pu empêcher la réalisation des élections ? Réponse : « C’était le fait de l’armée appuyée par des étrangers, c’est mon intime conviction ». Selon l’ancien membre du CNG, les tirs de la nuit ont été le fait d’hommes expérimentés et pas seulement de quelques amateurs. « Ruelle Vaillant n’a pas été la cause de l’annulation des élections. La volonté de ne pas les réaliser dépassait la violence enregistrée ce jour-là. »Boudée par tous les partis, à l’exception de ceux de Ronceray, de Grégoire Eugène et de Leslie Manigat, la présidentielle de janvier 1988 a été cautionnée par l’international. Leslie Manigat, « nommé » président, dit-on, par l’armée, ne devait passer que cinq mois au pouvoir.« Manigat a eu un coup d’État à cause de ses maladresses. Il s’est mis à dos la presse, l’église, l’armée qui l’a cautionné et les duvaliéristes. Tout en faisant un discours d’amnistie, il s’est prononcé contre Namphy en le révoquant. Cela ne lui a pas été pardonné ».

Alix Cinéas est diplômé en génie civil en 1958 à l’École Polytechnique d'Haïti. En 1959, il est diplômé en Travaux publics en France. Rentré au pays en 1961, il a travaillé au Département des Travaux Publics jusqu’en 1974. Entre-temps, il a fondé AC Construction, une petite entreprise de génie qui tourne encore sous la supervision de son fils, Philippe. Professeur à la faculté des Sciences de 1961 à 1972. Nommé secrétaire d’État aux Travaux publics et au Transport sous Duvalier, il est resté jusqu’en 84, date à laquelle il a été renvoyé du cabinet de Jean-Claude Duvalier pour être rappelé six mois plus tard. Il assistera à la chute. Il sera un des membres civils du CNG jusqu’en mars 1986, date à laquelle il a donné sa démission.
lundi 3 décembre 2007

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