jeudi 20 mars 2008

La démission de Rudy Boulos: un jour pour le chasseur, un jour pour le gibier

Par Gérard Bissainthe

Une note de presse annonce la démission du sénateur Rudy Boulos.

Ceux qui s’appellent les constitutionnalistes ou les légalistes vont y voir une victoire. Pour moi cette démission confirme que nous sommes toujours en plein tohu-bohu juridique et que nous tentons d’en sortir avec des solutions que j’appelle politico-émotionnelles et non point rationnelles.

Nous ne faisons d’ailleurs que ça depuis 1987. Notre constitution n’a jamais été rien d’autre qu’une sorte d’extincteur d’incendie que chacun (individu ou groupe), en position de force, se met à actionner dès qu’il se sent atteint ou même menacé par le feu, avec la complicité ou active ou tacite du secteur de la classe politique que cette solution arrange. Un jour pour le chasseur, un jour pour le gibier.


1.- Lavalas arrive au pouvoir et proclame: “L’élu du 16 décembre a reçu du peuple un mandat qui dépasse la constitution.” Il se comporte en conséquence.
Je suis un des rares, très rares à protester.
Je signale qu’à l’époque Boulos n’avait pas protesté.
La gifle à la constitution est passée comme une lettre à la poste.

2.- Quelque temps après, Lavalas dissout l’Armée. C’est totalement inconstitutionnel. Il ne fallait pas dissoudre l’Armée. Il fallait la réformer, ce qu’on fait dans tous les pays du monde qui n’utilisent pas comme nous la thérapeutique de détruire le malade pour détruire le mal.
Un très large secteur de la classe politique, à commencer par tous les stratiaphobes non seulement ne proteste pas, mais applaudit avec frénésie.
Leslie Manigat, qui depuis longtemps réservait à l’Armée un chien de sa chienne, sourit dans sa barbe.
La violation flagrante de la constitution est passée comme une lettre à la poste.

3.- En 1994 Aristide renversé donne son accord pour une invasion du pays par une armée étrangère. Il avait lui-même reconnu pendant longtemps que c’était totalement inconstitutionnel. On finit par lui faire voir la lumière sous un autre jour; il cède. Une armée étrangère occupe alors le pays de manière totalement inconstitutionnelle.
Un très large secteur de la classe politique, Boulos en est, non seulement ne proteste pas, mais applaudit avec frénésie. Cette occupation pour “ramener la démocratie” est un échec total. Le pays s’enfonce encore plus dans le chaos.
La violation flagrante de la constitution est passée comme une lettre à la poste.

4.- Plus tard, devant une chimérisation croissante du pays, les “184” déclenche une opération GNB pour faire tomber le chef de l’Etat. Cette opération est dirigée, selon toutes les apparences, par un secteur très actif de la société haïtienne, que j’appelle les “Levantino-Haïtiens”. Un “Conseil des Sages” est alors mis sur pied; il fait la pluie et le beau temps. Mais il n’en existe aucune trace dans notre Constitution.
La violation flagrante de la constitution est passée comme une lettre à la poste.

5.- Quelque temps plus tard, le président Aristide est de nouveau renversé. C’est totalement inconstitutionnel. Pour le renverser les esprits très démocratiques de l’heure qui n’arrêtent pas de jurer par la constitution ont fait appel à qui? Mais voyons, aux membres de l’Armée qui avait été dissoute par Aristide. Cependant juste avant la victoire, on a fait comprendre aux membres de cette Armée que s’ils étaient bons pour se battre, il n’était pas question qu’ils aient une entrée triomphale à Port-au-Prince. Leur “licenciement” nous fallut une mise à sac épouvantable de Port-au-Prince: plus d’un milliards de dollars US de dégâts. Plutôt la mort que la souillure. Depuis, le “show constitutionnel ondulatoire” continue.
La violation flagrante de la constitution est passée comme une lettre à la poste.


Nous pouvons donc constater que depuis la promulgation de la constitution en 1987 jusqu’à nos jours, le pays avance de violations constitutionnelles en violations constitutionnelles comme un moteur à explosion.

Mais il avance en marche avant ou en marche arrière? That’s the question.

La dernière explosion est le processus maintenant engagé de purification civique du Corps Législatif et du Corps Exécutif.

Ma position clairement exprimée avait été et est toujours que toute campagne de purification civique pour traquer et exclure les “Bi-Nationaux” est une impasse juridique et une impasse politique.

Impasse juridique. Les arguments contre la Binationalité ne valent pas mieux que ceux pour la Binationalité. Ceux qui prônent un amendement de la constitution oublient que cet amendement ne pourra pas prendre effet avant 2011. Qu’est-ce qu’on fait entretemps? Guili guili ?

Impasse politique. Lorsqu’on a exclu Siméus et Mourra, lorsqu’on exclut aujourd’hui Boulos, il est évident, messieurs les Purs, que c’est parce qu’on en a contre la Diaspora. Et dans le cas de Boulos, il est plus qu’évident que de surcroit on veut se payer la tête d’un “Arabe”, je préfère, moi, dire un Levantino-Haïtien, en soulignant par là qu’ils sont haïtiens. Si je suis celui qui a dénoncé ouvertement la prédominance des Clairs (Euro- et Levantino-Haïtiens) dans notre pays, j’ai toujours dit qu’ils ont leur place dans un pays où ils ont beaucoup fait, où ils ont accumulé certes de grandes réussites, mais aussi des erreurs et même des fautes graves, que ma solution est que l’on donne aux Noirs les moyens pratiques (éducationnels surtout) d’aller entrer en compétition avec eux, pour éventuellement même les battre, puisqu’ils sont majoritaires. L’arme du progrès social est la structuration mentale et technologique. Ce n’est pas avec des expédients juridico-émotionnels qu’on va sauver le pays. Ce n’est pas avec la lettre mille fois bafouée, balafrée, écartelée, écrabouillée, assassinée de la constitution qu’on va sauver le pays. Un jour pour le chasseur (les 184 avaient gagné il y a quelque temps); un jour pour le gibier (aujourd’hui les autres –mais qui sont les autres?-- ont leur revanche). Misérable et débile politique pendulaire qui nous livre tous, pitites-soyètes, arabes, pas arabes, clairs, noirs, pieds et mains liés aux Etrangers.

Vous me faites rire, si vous ne me donniez pas envie de pleurer, messieurs les Purs, lorsque vous me parlez de pureté civique, lorsque vous me parlez de votre peur que les étrangers ne viennent diriger le pays avec l’aide des Binationaux, pendant qu’aujourd’hui, à votre demande, avec votre complicité à tous, une Minustah d’Etrangers pur sang occupe le pays et fait (avec une incompétence notoire et scandaleuse) un travail de maintien de l’ordre et de la sécurité que vous n’avez ni l’intelligence, ni la force, ni le courage de faire vous-mêmes. Vous êtes aveugles ou inconscients? Le mur que vous voulez élever laborieusement, dispendieusement entre les Monotionaux et les Binationaux est un Mur de la Honte et de l’Indécence, messieurs les Purs

Il est maintenant grand temps d’arrêter les frais. Il est grand temps d’arrêter notre guerre picrocholine entre le camp des Gribouilles et le camp des Bouquis. A moins d’installer à nos frontières des détecteurs puissants de Binationalité, je ne vois vraiment pas comment nous allons barrer la route à nos plus d’un million de Binationaux qui vivent aujourd’hui principalement aux Etats-Unis et en République Dominicaine. Vous pensez à des subtilités du genre: les Binationaux peuvent faire partie de l’Exécutif pas du Législatif? Finesses de gourmet. Puisque notre pays n’a pas de pain économique, nous pouvons toujours tenter de le nourrir avec la brioche juridique. Aux yeux du monde entier nous aurons l’air si distingués.

Je rappelle encore à ceux qui s’acheminent vers un amendement de la constitution pour résoudre la question de la double nationalité, que d’après l’article 284-2 ( va-t-on le trucider? ) cet amendement ne pourra pas prendre effet avant 2011. Qu’allons-nous faire entretemps, cet entretemps pendant lequel nous avons l’air de nous amuser si follement avec la Minustah?

En attendant évidemment nous pourrons toujours continuer à nous crêper le chignon, nous pourrons toujours continuer à traquer cette Diaspora qui s’obstine à vouloir s’intégrer, s’investir dans le pays, corps et âme, à part entière, pour lui apporter ses ressources, du travail, ses idées, au coude à coude et de plain pied avec toute la population, sans qu’elle soit ostracisée, sans que l’on continue à lui dire: “On n’a que faire de vous. On a seulement besoin de votre argent.”

Evidemment entretemps, de 2008 à 2011, le peuple pourra toujours manger un peu de terre. C’est le fonds qui manque le moins.

Je sais que je vais à contre-courant et que, pour ne pas changer, le C.P.P. (le Chœur des Pleureurs et des Pleureuses) va me décerner toutes sortes de noms d’oiseaux, lorsque je dis que notre Sénat ne sera pas mieux, ne vaudra pas mieux sans Boulos. Je ne dois rien à Boulos; il ne me doit rien. Bien longtemps avant lui un Président m’avait offert le poste de Premier Ministre et j’avais refusé; plus tard quatre sénateurs étaient venus chez moi pour me faire la même proposition et j’avais encore refusé. Boulos, et c’est pour cela que je m’attarde à son cas, est un de ces citoyens haïtiens qui au lieu de prendre le large et d’aller se faire voir ailleurs, alors qu’il aurait pu, et que cette solution aurait été bien plus confortable pour lui, a choisi de s’intéresser toujours au sort d’un pays auquel il veut donner un peu de lui-même. Je souhaite que son échec provisoire ne le décourage pas lui-même, ni ne décourage ceux qui viennent d’ailleurs ou dont les parents viennent d’ailleurs. Je souhaite qu’au lieu de se retirer sous sa tente, il essaie une autre voie que “la voie parlementaire”, en laquelle moi je n’ai jamais cru. Notre pays ne peut refuser, doit même accueillir à bras ouverts, ceux qui lui apportent leurs ressources ou leur esprit ou même simplement leur cœur.
19 mars 2008

Aucun commentaire: