Par Claude Moïse
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Les affaires haïtiennes ne semblent pouvoir évoluer que dans la turbulence. On dirait que pour aborder, régler un problème d’intérêt national, mettre en cause une décision publique contestable ou non, il faut beaucoup de bruit. On se délecte du scandale et on ne peut vraiment opérer que dans le woywoy. Il faudra bien qu’un jour nos anthropologues nous disent s’il s’agit là d’un trait culturel et à quoi tiendrait cette expression de l’idiosyncrasie haïtienne. L’actualité regorge de faits révélés, montés en scandale, qui font les délices de nos échotiers, qui remuent les enceintes du Parlement d’où partent des déclarations enflammées sinon des convocations impératives, qui envahissent les salles de rédaction de nos médias. La vague provoquée par la nouvelle de la liquidation douteuse d’équipements du CNE (Centre national des équipements)ne s’était pas encore retirée que l’on informait de l’arrestation de hauts fonctionnaires de l’APN (Autorité portuaire nationale), dont le directeur général lui-même, pour tentative de vente frauduleuse des biens de l’État. Cette dernière nouvelle est d’autant plus juteuse qu’elle met en scène le commissaire du gouvernement près le tribunal civil de Port-au-Prince dans une opération digne des exploits du commissaire Gassant. En fait, il s’agit de la seule et même personne. S’il ne s’agissait pas de situations à incidences infamantes pour des individus, on se contenterait de sourire de ce qui se rapporte d’une situation rocambolesque à laquelle est associé le chef du parquet de la capitale. Les bulletins de nouvelle font état, sur la foi des déclarations du commissaire, d’une opération au terme de laquelle des responsables de l’APN auraient été pris en flagrant délit de vente d’un équipement de l’entreprise pour une somme dérisoire. Comment se fait-il que M. Gassant se donne à ce point en spectacle alors qu’il devrait s’en tenir à la sérénité et à la rigueur que commande le travail d’un commissaire de gouvernement? Y aurait-il confusion de terme? Même s’il était commissaire de police – quelque attrait que pourrait exercer sur lui cette fonction – M. Gassant serait tenu à la même rigueur, à la même discrétion et au même respect des droits de la personne.
De tous les ragots ou informations multiples que l’on rapporte, il en est resté une impression de confusion. Le fait est que le directeur général de l’APN a été mis en garde à vue durant deux jours, puis libéré sans autre forme de procès, sans que l’opinion en soit informée. Mais le mal est déjà fait. Et dans un milieu prompt à accréditer les accusations au moindre remous, la réputation d’une personnalité est vitement entachée. Il revient au ministre de tutelle, Daniel Dorsainvil, de clarifier la situation et d’accorder aux serviteurs de l’État qui dépendent de son ministère la protection à laquelle ils ont droit s’ils ont été traités indignement au mépris de leurs droits fondamentaux. Une enquête que devraient commander les ministères des Travaux publics et des Finances est nécessaire.
Il ne manquerait plus que cela, que des organismes des pouvoirs publics, par des actions inconsidérées, menacent le lien de confiance qui doit exister entre les fonctionnaires de l’État et les citoyens. À ce rythme, il deviendra encore plus difficile de recruter des gens honnêtes et sérieux pour assumer les lourdes responsabilités de l’Administration publique alors que des offres alléchantes sur le marché de l’emploi international attirent les compétences. Il me semble que le président de la République n’a rien voulu dire d’autre lorsqu’il est intervenu à la défense du ministre de la Culture, Daniel Élie, malmené par les députés. Si M. Préval n’a rien pu faire contre la sanction parlementaire qui a frappé Daniel Élie, il peut sauvegarder ce qui relève de son autorité et donner des directives au gouvernement pour que les fonctionnaires soient traités avec tous les égards dus à leur mission.
Certes, il faut lutter contre la corruption et M. Gassant fait sa part. Mais ses méthodes posent problème. Les arrestations en pleine nuit sous couvert de flagrant délit, le recours à la publicité tapageuse, les menaces dont on dit qu’il est coutumier entretiennent la suspicion sur les motifs de telles opérations et font douter de l’efficacité de la lutte contre la corruption. Certes, les citoyens ne peuvent qu’approuver toute politique tendant à contrer les méfaits des corrupteurs, comploteurs et autres trafiquants qui dilapident le bien public et menacent l’intégrité de l’État. La police doit être bien formée à cette tâche et la justice, sur le rapport motivé des organismes spécifiquement désignés pour cette mission (ULCC, Ucref, Cour supérieure des Comptes), doit procéder avec célérité et sévérité, s’il le faut, mais sans précipitation ni légèreté. Il ne suffit pas que justice soit rendue, clame-t-on, dans le milieu, il faut qu’il y ait apparence de justice, c’est-à-dire qu’il doit être clair pour tout le monde que les droits des personnes et les procédures judiciaires ont été respectés.
Et il y a plus redoutable encore, c’est que la lutte contre la corruption peut être instrumentalisée par ceux qui grouillent et magouillent dans les lieux stratégiques que sont l’APN, les douanes et autres milieux où les enjeux économiques et financiers sont considérables. Ils ont plus d’un tour dans leur sac et peuvent manipuler de près ou à distance. C’est à ces pièges que sont exposés les responsables – à quelque niveau qu’ils appartiennent – de la lutte contre la corruption.
mardi 20 novembre 2007
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