La Reine nègre
23 mai 2008
Victor-Lévy Beaulieu
Quand elle fit ses débuts comme journaliste à la télévision de Radio-Canada, Michaëlle Jean n’y obtint pas un grand succès : elle n’était pas à l’aise avec les autochtones québécois.
Maniérée, parlant une langue française à l’accent si pointu qu’elle en était toute désincarnée, Michaëlle Jean avait l’air d’une extraterrestre même si on l’appelait déjà la petite reine de Radio-Canada.
En fait, elle fitait si peu dans le décor qu’on lui confia bientôt l’animation d’une émission qui correspondait davantage à ce qu’elle était : en interviewant durant de longues entrevues les intellectuels français à la mode, elle pouvait donner la pleine mesure d’elle-même : poser peu de questions, mais intervenir souvent dans le discours de l’autre pour lui faire voir jusqu’à quel point elle était intelligente et capable de discuter aussi bien, voire mieux que lui.
Une bonne prise pour le gouvernement canadian
Quand, dans la foulée du scandale des commandites, Paul Martin, premier ministre du Canada, voulut redorer au Québec la blason du Parti libéral et celui de la fonction de gouverneur-général du Canada, elle aussi entachée par le règne dépensier d’Adrienne Clarkson, il songea aussitôt à Michaëlle Jean : elle était noire, jeune, jolie, ambitieuse et, à cause de son mari, sûrement nationaliste aussi – mais nationaliste, qui ne l’est pas au Québec ?
De toute façon, Paul Martin et ses conseillers, sachant que c’est la fonction qui crée l’organe, n’entretenaient aucun doute sur Michaëlle Jean : quand on lui en donne la chance, et les billets verts du Dominion, rien de plus facile pour le colonisé que de devenir colonisateur.
Michaëlle Jean fut donc une bonne prise pour le gouvernement canadian : la petite reine noire de Radio-Canada trouva vite plus agréable de trôner dans le fauteuil à braquettes dorées du gouverneur-général du Canada, en Reine-Nègre accomplie, au service d’un régime cherchant à tout prix à faire du multiculturalisme la pierre d’assise du pays.
La nation québécoise à la Harper
L’arrivée de Stephen Harper au pouvoir n’a fait que renforcer le rôle joué jusqu’alors par Michaëlle Jean. Le Bloc québécois et le Parti québécois contribuèrent pour beaucoup dans ce renforcissement-là. Quand le Parti conservateur proposa à la Chambre des communes cette motion qui reconnaissait le Québec comme nation distincte, mais à l’intérieur d’un Canada uni, bloquistes et péquistes donnèrent leur aval.
Ils auraient dû s’opposer violemment mais n’en firent rien : la chose n’est que symbolique, dirent-ils pour se justifier, mais elle nous fait faire un pas en avant. Drôle de pas en avant que celui-là, et qui m’a convaincu une fois de plus que le Bloc québécois, loin d’être un élément politique qui nous soit profitable dans notre quête de libération, en est devenu le plus pitoyable frein.
C’est la leçon qu’il faut tirer du passage de la Reine-Nègre du Canada en France : elle n’a fait que respecter la logique qui découle de cette loi votée par la Chambre des communes sur le Québec comme nation distincte à l’intérieur d’un Canada uni ; bien sûr, Stephen Harper y a ajouté son grain de sel en élargissant la notion de nation distincte du Québec à tous les groupes canadiens-français de partout ailleurs au Canada.
On parlera désormais de nation canadienne-française, ce qu’entérineraient les auteurs du rapport Bouchard-Taylor en nous demandant d’admettre que nous ne sommes plus des Québécois de souche, mais des Québécois d’ascendance canadienne-française.
Les fédéralistes ne sont pas naïfs comme les députés du Bloc et du Parti québécois, ils savent l’importance que les symboles peuvent avoir et d’autant plus si ces symboles-là, truqués, sont acceptés par ceux-là même qui devraient les rejeter sans compromis.
Le débat qui n’a pas eu lieu
La décision du gouvernement d’Ottawa de continuer de faire la guerre en Afghanistan jusqu’en 2011 n’a pas suscité au Québec le débat qu’il aurait dû y avoir. Nous qui avons toujours été une nation pacifique, nous voilà maintenant partie prenante dans une guerre impérialiste qu’une diplomatie efficace aurait pu empêcher.
Mais de cela, Stephen Harper et la Reine-Nègre du Canada s’en lavent les mains : le Canada, pour faire plaisir à ses marchands de canon, doit devenir une puissance militaire, et on y investira 30 milliards de dollars dans les prochaines années.
La Reine-Nègre
Le voyage de la Reine-Nègre en France aurait pu pourtant apporter beaucoup d’eau au moulin des souverainistes québécois, mais pour en profiter, il leur aurait fallu aller plus loin que la niaiserie politicienne. En France, la Reine-Nègre n’a pas parlé que de la nation canadian : elle a aussi salué le courage de la France qui, prétendument au nom des droits de l’homme, a aboli l’esclavagisme en 1847.
Venant elle-même d’une nation qui a eu beaucoup à souffrir de l’esclavagisme, la Reine-Nègre aurait dû savoir qu’en France, la traite des Noirs était interdite déjà par une ordonnance royale du 8 janvier 1817. Elle aurait dû savoir et faire savoir également au président Nicolas Sarkosy que les Français se sont quand même livrés au trafic d’esclaves jusqu’à la guerre de Sécession aux États-Unis, en dépit de l’ordonnance de 1817 et de la loi de 1847.
Et s’ils ont cessé vers 1865 de faire véritablement le commerce des nègres qu’ils achetaient en Afrique, ce n’est ni par courage ni au nom du respect des droits de l’homme, mais sous la pression des colonisateurs français du Brésil et de Cuba qui y possédaient de riches plantations qu’ils avaient peur de perdre parce qu’on y importait trop de nègres et que ceux-ci risquaient de devenir bientôt une majorité qu’on ne pourrait plus contrôler.
Voilà notamment une des choses que les souverainistes auraient pu apprendre à la Reine-Nègre du Canada s’ils voulaient noircir son voyage en France.
Ils auraient pu en ajouter et assister à son retour en terre canadian en imitant les esclavagistes français quand ils faisaient commerce avec les Rois-Nègres de l’Afrique équatoriale : on leur faisait cadeau d’une couronne de roi de théâtre, pour qu’ils puissent jouer par-devers eux-mêmes et leurs sujets la grande comédie de la souveraineté, et qui était déjà celle de nations distinctes à l’intérieur d’un continent uni de force par les spéculateurs étrangers, les multinationales de l’exploitation et les marchands d’armes dont la France, si courageuse au nom des droits de l’homme, est la troisième plus grande nation productrice au monde, et probablement la première en Afrique !
Victor-Lévy Beaulieu
Le texte ci-dessus est publié dans L'AUT'JOURNAL à l'adresse ci-après:
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http://www.lautjournal.info/default.aspx?page=3&NewsId=888
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Devant la pluie de protestations qui a suivi la publication du texte de M. Beaulieu, M. Pierre Dubuc, éditeur de L'AUT'JOURNAL, a publié la mise au point suivante:
Source: L'Aut'Journal
À propos de l’article de VLB « La reine-nègre »
26 mai 2008
Pierre Dubuc
Nous savions que le titre était choquant, voire provoquant, mais nous n’avions nullement l’intention d’insulter la communauté noire.
L’article faisait référence au concept de « roi-nègre » qui a été maintes fois utilisé au cours de l’histoire du Québec pour dénoncer ceux qui trahissaient les intérêts nationaux des « nègres blancs ». Duplessis, Bourassa, pour ne citer que ces deux-là, ont été traités de « rois nègres ». André Laurendeau a même écrit en 1958 une série d’articles sur « la théorie des rois nègres ».
Avec ce titre, l’objectif de l’article au style pamphlétaire de VLB était, avions-nous compris, de susciter un débat sur le rôle politique que s’est attribuée Michaëlle Jean.
Plutôt que de se cantonner dans un simple rôle protocolaire, comme c’était la coutume avec celles et ceux qui ont occupé auparavant cette fonction, elle est intervenue à de multiples reprises, tantôt pour légitimer la guerre en Afghanistan à laquelle s’oppose massivement la population québécoise, tantôt pour faire écho au discours chauvin de Stephen Harper sur le Québec, comme ce fut le cas lors du lancement des activités du 400e anniversaire de Québec en France.
D’ailleurs, la seule présence à ces cérémonies de la représentante de la Reine d’Angleterre – présentée de surcroît comme la descendante de Champlain – était une insulte à la nation québécoise comme l’ont souligné plusieurs commentateurs politiques.
L’article de Victor-Lévy Beaulieu critiquait aussi l’hypocrisie des célébrations marquant la fin de l’esclavage auxquelles Mme Jean s’est associée lors de son voyage en France. Nous pourrions ajouter : son enthousiasme pour Nicolas Sarkozy, un président pourtant vilipendé en Afrique et en France pour son discours sur l’Afrique prononcé à Dakar, en juillet 2007.
À notre connaissance, personne de la communauté noire de Montréal n’a critiqué ces activités de la Gouverneure générale.
Notre objectif était donc de lancer le débat sur le rôle politique de la Gouverneure générale.
Jamais, il n’a été dans nos intentions d’insulter la communauté noire. L’aut’journal a toujours combattu la discrimination, particulièrement à l’endroit des Noirs, et a toujours soutenu la communauté haïtienne.
À cet égard, rappelons que nous avons publié dans L’Apostrophe, la revue de l’aut’journal, un volumineux dossier de Michel Chossudovsky sur le coup d’État qui a délogé le président Aristide, un dossier qui met entre autres en lumière le rôle du Canada dans cette histoire. Nous avons également organisé la projection du film L’agronome, racontant la vie du journaliste haïtien Jean Dominique.
Nous faisons cette mise au point parce qu’il nous apparaît important qu’il n’y ait entre nous et la communauté noire aucun malentendu. Et en espérant que pourra vraiment avoir lieu un véritable débat sur le rôle, les activités et les positions politiques de la Gouverneure générale.
Pierre Dubuc
éditeur
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La mise au point ci-haut vient de:
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http://www.lautjournal.info/default.aspx?page=3&NewsId=880
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Voici quelques liens permettant de prendre la mesure des réactions qu'a suscitées la sortie de M. Victor-Lévy Beaulieu:
1) Radio-Canada:
Polémique: VLB écorche Michaëlle Jean
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http://www.radio-canada.ca/nouvelles/Politique/2008/05/24/001-beaulieu-jean-polemique.shtml?ref=rss
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2) Cyberpresse: dimanche 25 mai 2008
Dans son blog (carnet), l'éditorialiste André Pratte publie un texte intitulé : « Les rois aigres », auquel ont réagi un très grand nombre d'internautes (plus de 70, en date du 28 mai). Vous pourrez lire ces commentaires sur le site de Cyberpresse, à la fin du papier de M. Pratte:
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http://blogues.cyberpresse.ca/edito/?p=201
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Les rois aigres
Par André Pratte
L’écrivain Victor Lévy-Beaulieu vient de commettre un texte dans lequel il s’en prend à la gouverneure générale, Michaëlle Jean, qu’il appelle «la Reine-nègre». Le texte est bourré d’insultes, à commencer bien sûr par le titre.
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3) La Presse: Réaction de l'écrivain Dany Laferrière, ami de Victor-Lévy Beaulieu
Reine-nègre : une insulte !
Par Dany Laferrière
L’auteur est écrivain. Il répond ici au texte signé Victor-Lévy Beaulieu et publié dans L’Aut’journal, au sujet de la gouverneure générale du Canada, Michaëlle Jean.
Personne n’ignore qu’au Québec on vit de symboles. On n’a qu’à toucher à notre langue, à notre fierté, à nos rêves, et même depuis peu à notre religion pour que nous nous mettions debout comme un seul être. Le moindre animateur de télévision française (Thierry Ardisson) ou écrivain (Françoise Sagan) ou académicien autrefois aimé ici (Maurice Druon) qui rigole à propos de notre accent se retrouve instantanément dans l’eau bouillante. L’homme de la rue, comme le politicien influent, ou la mondaine réagissent de la même manière sur ce délicat sujet. Voilà ce qu’on appelle un puissant symbole collectif.
//Le texte de Dany Laferrière vient du lien ci-après:
http://www.cyberpresse.ca/article/20080526/CPOPINIONS02/80526013/6737/CPACTUALITES
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