lundi 12 mai 2008

DSNCRP: Résumé suivi d'une critique succincte et préliminaire

Par Dr. Pierre Montès
12 mai 2008

On peut lire ou télécharger le Document de Stratégie Nationale pour la Croissance et la Réduction de la Pauvreté (DSNCRP) sur le site du Ministère de la Planification et de la Coopération Externe (MPCE) en cliquant sur le lien ci-après:

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http://www.mpce.gouv.ht/dsncrpfinal.pdf

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A) RÉSUMÉ du rapport DSNCRP

Haïti confronte des problèmes énormes: insécurité, inégalités sociales, pauvreté, santé, éducation, chômage, démographie, gouvernance politique, etc.

Le DSNCRP est un document qui a le mérite de présenter succinctement une analyse de ces problèmes et de proposer une réponse appropriée dans un projet divisé en deux étapes (2007-2010) et (2010-2015).

Pour pouvoir s’attaquer à ses problèmes, la société haïtienne doit faire face à d’énormes défis que le DSNCRP propose de lever dans la première étape (2007-2010), en entreprenant quatre groupes actions (page 15) :

1) Rattraper les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) pour s’engager dans un développement social plus significatif.

2) Mettre en place une économie moderne, à large base territoriale et compétitive.

3) Moderniser l’État pour le mettre au service de tous les citoyens.

4) Mettre en valeur sa créativité culturelle, son patrimoine historique et sa diaspora.

Pour amorcer des actions tendant à lever ces défis, le DSNCRP présente une stratégie dont l’exécution pour la période (première étape) de trois ans, 2007-2010, requiert des dépenses évaluées à environ 4 milliards de dollars US (154,5 milliards de gourdes). Cette première étape, dit le document (page 16), couvre la mise en œuvre des engagements économiques et financiers vis-à-vis le FMI dans le cadre de la Facilité pour la Réduction de la Pauvreté (FPRC). Ces engagements consistent à :

1) Maintenir le cadre macro-économique actuel centré sur une saine gestion de l’économie accompagnée de politiques budgétaires et monétaires prudentes de manière à faire disparaître peu à peu, de manière significative et définitive, les grands déséquilibres conjoncturels internes et externes.

2) Moderniser l’agriculture, les infrastructures de transport, améliorer la fourniture d’énergie électrique et développer les services de télécommunication.

Pendant cette période, le document souligne que l’axe principal de la réduction de la pauvreté et des inégalités sera de promouvoir une plus grande équité sociale à travers l’éducation et la santé.

À cette première étape succédera une deuxième qui s’étendra de 2010 à 2015 dont la caractéristique fondamentale sera la recherche d’une croissance accélérée et d’une grande maîtrise du développement social. Elle consistera dont à satisfaire les objectifs suivants :

1) Réduire à la fois la pauvreté monétaire et la pauvreté humaine.
2) Réorienter le cadre macro-économique vers des secteurs à potentialités faciles à exploiter tels que : les branches à fort potentiel du secteur agricole, l’agro-industrie, le tourisme, les filières textiles de l’industrie manufacturière.
3) Appuyer la Banque Centrale dans l’objectif de réduction de l’inflation qui devrait également cibler la fois la croissance et la création d’emplois.

Le document contient beaucoup de statistiques intéressantes et d’observations pertinentes sur l’état de la situation. En voici quelques extraits :

1. On observe en Haïti une pauvreté massive entretenue des inégalités importantes


2. Haïti compte actuellement 9,6 millions d’habitants dont 5 millions vivent en milieu rural.


3. Cinquante-six pourcents (56%) de la population vivent sous la ligne de pauvreté extrême de 1 $ US par personne et par jour.


4. Soixante-seize pourcents (76%) de la population sont considérés comme pauvres, ne disposant pas de 2 $ US par personne par jour.


5. Les quarante pourcents (40%) les plus pauvres de la population n’ont accès qu’à 5,9% du revenu total ; les 20% les plus nantis ont accès à 68% du revenu total ; les deux pourcents les plus riches bénéficient de 26% du revenu total.


6. L’emploi salarié n’a pas évolué et le PIB ses détérioré durant les vingt dernières années.


7. Les ménages les plus pauvres, le quintile inférieur, consacrent 53,4% de leurs dépenses aux dépenses alimentaires ; elles sont de 9,8% pour le quintile supérieur.


8. L’espérance de vie à la naissance est estimée à 58,1.


9. La mortalité maternelle est passée de 457 à 630 pour 100 000 naissances vivantes entre 1990 et 2005.


10. Le taux d’analphabétisme de 39% en 2003 est resté encore élevé même si des progrès sont constatés entre les générations.


11. Seulement 49% des enfants en âge de fréquenter l’école sont scolarisés.


12. En 2001/2002, seulement 45% de la population âgée de 6 à 24 ans fréquentait un établissement scolaire ou universitaire.


13. Des ménages victimes de l’insécurité alimentaire, à peine 25 % ont accès à l’eau potable, très peu ont des installations sanitaires adéquates.


14. L’accès au services sociaux de base demeure très limité : plus de 77% de 133 communes (2002) ont un déficit de services de base.


15. Le système éducatif en Haïti est fortement marqué par l’exclusion.


16. Seulement 21,5% de la population de 5 ans et plus aurait atteint le niveau secondaire et à peine 1,1% le niveau universitaire, dont 1,4% pour les hommes et 0,7% pour les femmes.


17. Actuellement, presque un tiers des enfants entre 6 et 12 ans (500 000 enfants) ne fréquente pas l’école ; cette proportion passe à 40% quand on considère la tranche des 5-15 ans, soit environ 1 million d’enfants.


18. Le taux de déperdition au 1er cycle fondamental est de 29% ; près de 60% des enfants abandonnent l’école avant le certificat d’études primaires.


19. Sur les 2 millions d’enfants fréquentant le niveau fondamental, seulement 56% ont l’âge requis dans le premier cycle (6-11 ans).


20. La plupart des écoles ne disposent pas de locaux adéquats et sont sous-équipés. Selon le recensement scolaire de 2003, 5% des écoles sont abritées dans une église ou sous une tonnelle ; 58% ne disposent pas de toilettes et 23% ne sont pas approvisionnées en eau. Seulement 36% disposent d’une bibliothèque.


21. À peine 6 sur 10 000 travailleurs sur le marché du travail possèdent un diplôme ou un certificat dans un domaine technique ou professionnel.


22. Le taux de chômage ouvert est estimé à 30% pour l’ensemble du pays ; il est plus important en milieu urbain (62% chez les jeunes de 15-19 ans).


23. La structure démographique est caractérisée par une population jeune (56,4% ayant au plus 18 ans), ce qui fait du chômage un problème social majeur dans le pays.


24. Quatre-vingt trois pourcent des femmes contre 73% des hommes travaillent à leur compte, surtout dans le commerce.


25. L’emploi dans le secteur agricole constitue 51% du total alors que ce secteur contribue seulement pour 25% au PIB.


26. À peine 2 communes sur 133 (en 2002) bénéficient d’un accès moins faible que les autres aux services de base : éducation, eau, santé, assainissement.


27. La pauvreté a connu une légère réduction couplée à une augmentation des inégalités entre 1987 et 2000, l’incidence de la pauvreté passant de 55,5% à 50,56%.


Objectifs de croissance et stratégie de réduction de la pauvreté.


Le DSNCRP, pour faire reculer la pauvreté, considère indispensable de garantir une croissance rapide et soutenue de l’économie haïtienne dans les années à venir et que les structures inégalitaires soient amorties.

Le DSNCRP vise un taux de croissance de 3,5% par an pour la période 2007-2009. Pour les années subséquentes, le DSNCRP s’attendrait à un taux moyen de 4% par an.

Avec ce taux croissance du PIB de 4%, un taux de croissance de la population de 2,3% et une élasticité de l’incidence de la pauvreté par rapport au taux de croissance du revenu réel par tête estimé à -1,13, le DSNCRP affirme qu’il faudrait environ 36 ans pour réduire la pauvreté de moitié. Le modèle utilisé est essentiellement celui du Dr. Martin Ravallion, expert de renom travaillant à la Banque Mondiale. On discutera de ce modèle dans la section Critique ci-dessous.

L’élasticité de Ravallion est exprimée à l’aide d’un modèle dont les paramètres ont été estimés par la méthode des moindres carrés sur la base d’un échantillon de taille 62 (pays). Elle s’exprime par la relation :


E = -9,33*(1-G)^3


Dans cette équation, E est l’élasticité de l’incidence de la pauvreté par rapport au taux de croissance du revenu réel, G est le coefficient de Gini. Pour le cas d’Haïti, le DSNCRP retient la valeur G=0,505. On discutera de la valeur de ce coefficient dans la section Critique ci-dessous.

À l’aide du modèle de Ravallion, le DSNCRP a obtenu que le taux de pauvreté de moins de 1 $ US par personne et par jour ne passerait que de 55,0% en 2007 à 47,1% en 2015. Le DSNCRP conclut alors que, pour atteindre des taux de croissance compatibles avec un objectif de réduction significative de la pauvreté, il serait nécessaire de mettre en œuvre une stratégie de croissance accélérée.

Et pour atteindre ces taux de croissance, le DSNCRP souligne qu’il faudrait que l’État fournisse des incitations adéquates aux producteurs opérant sur le marché haïtien et aux travailleurs haïtiens afin de les amener à améliorer leur productivité.

De plus, le DSNCRP fait remarquer que, dans le contexte de libéralisation commerciale et de concurrence féroce entre les nations, l’augmentation de la productivité est une condition d’atteindre une meilleure compétitivité des produits fabriqués en Haïti et des service offerts à partir d’Haïti.

Selon le DSNCRP, l’État haïtien est déterminé à ramener le taux d’inflation de 8% en 2007 à 7% en 2009, et, il prévoit un taux d’inflation encore plus faible en 2011.

Aujourd’hui, souligne le DSNCRP, le ratio des recettes fiscales sur le PIB est à peine supérieur à 10%. La politique fiscale visera prioritairement à faire passer la pression fiscale de 10% en 2006 à 14% en 2011 en mettant en application un certain nombre de mesures de réformes fiscales:


a) renforcement des capacités institutionnelles des administrations fiscales,


b) amélioration de l’efficience de leur action,


c) rationalisation du système d’exonérations fiscales,


d) amélioration de la couverture des activités rurales,


e) intégration des opérateurs du secteur informel dans le système fiscal,


f) révision de la mise à jour de la législation fiscale,


g) renforcement du contrôle douanier sur tout le territoire et dans les ports de province,


h) ajustement des barèmes de taxes,


i) la correction des distorsions induites par certaines taxes,


j) réaménagement de certains taux jugés relativement faibles (TCA, par exemple) ou trop élevés (enregistrement des hypothèques, par exemple).




Le DSNCRP annonce que l’État fera augmenter régulièrement le poids relatif des dépenses d’investissement public. Le Gouvernement prévoit ramener les dépenses courantes à 45,5% de l'ensemble des dépenses publiques, en moyenne, dégageant ainsi l’espace budgétaire nécessaire à la poursuite des objectifs visés dans la cadre de la stratégie de croissance et de réduction de la pauvreté.

Les dépenses totales de l’administration publique évolueront régulièrement pour atteindre environ 23% du PIB en 2011. Les dépenses d’investissement seront financées à 20% par les ressources internes et à 80% par des ressources externes. La totalité des dépenses courantes et une partie des dépenses d’investissement seront prises en charge par des ressources internes pour l’équivalent de 14% du PIB environ.

Le DSNCRP prend soin de souligner que la revue des dépenses publiques et de la responsabilité financière (PEMFAR), menée conjointement par la BM, la BID et le Gouvernement haïtien, renseigne sur les systèmes de gestion des dépenses publiques, les capacités institutionnelles des administrations et sur les dépenses dans les secteurs prioritaires.

Le DSNCRP précise que la politique budgétaire visera à contenir le déficit des opérations financières de l’État à un niveau soutenable, compatible avec les financements attendus. Le déficit global sera financé exclusivement à partir de ressources externes, car aucun recours au financement par la Banque centrale ne sera envisagé durant la période 2007-2011. Le déficit global hors dons pour 2006 devrait s’établir à 0,6% du PIB, cependant pour les années 2007-2011, il est prévu que ce déficit évolue autour de 2% du PIB. En excluant les dons, le déficit global de l’administration publique se situe à environ 10% du PIB en 2007 et devrait graviter autour de 12% entre 2008 et 2011. Ces estimations montrent le rôle crucial que joueront les dons extérieurs dans l’équilibre budgétaire de l’administration publique haïtienne. Les tendances historiques montrent que jusqu’en 2008, les dons n’ont jamais dépassé 8% du PIB. Un accroissement des dons de l’ordre de 2% du PIB, par rapport à leur niveau moyen, les portant donc à 10% du PIB environ, permettrait de couvrir les écarts de financements projetés pour la période 2007-2010.

Le DSNCRP mentionne que l’État est déterminé à mener une politique prudente en matière d’endettement extérieur pour maintenir la dette d’Haïti à un niveau soutenable, compatible avec sa capacité de remboursement. En outre, conformément aux engagements pris dans le cadre de la FRPC, le Gouvernement ne tolérera aucuns arriérés sur sa dette externe. Et la mise en œuvre des initiatives d’allègement de la dette permettra de dégager des ressources additionnelles pour financer un ensemble de dépenses prioritaires de la stratégie de réduction de la pauvreté, souligne le DSNCRP.

La politique monétaire élaborée dans le cadre du DSNCRP vise à établir et à maintenir une inflation modérée au cours de la période 2007-2010, donc à favoriser la mise en place de conditions monétaires favorables à la croissance économique.

Si l’on fait abstraction de transferts officiels, le solde des transactions courantes de la balance des paiements, accuserait en 2007 un déficit légèrement supérieur à 6% du PIB. Entre 2007 et 2011, ce déficit hors transferts officiels devrait s’établir en moyenne autour de 8% du PIB, avec une légère tendance à la hausse due à une dégradation continue de la balance commerciale. En tenant compte des transferts officiels, le solde du compte courant pour 2007 se ramènerait à un peu plus de 1 % du PIB. Au cous des dernières décennies, le solde du compte courant s’est maintenu généralement au-dessous de 2% du PIB. Pour la période 2007-2011, les projections du déficit courant supposent que les flux privés en provenance de la diaspora haïtienne constituent une composante permanente et globalement stable de la balance des paiements d’Haïti. Ces transferts privés devraient représenter environ 20% du PIB en 2007 et garder, au cours de la période 2007-2011 des niveaux relativement comparables.

En l’absence de crises majeures le déficit des transactions courantes devrait évoluer très près du PIB entre 2007 et 2011. Donc la balance des paiements ne devrait engendrer que de faibles pressions sur les réserves de change. Et pour faire face aux chocs externes, on cherchera à accumuler un volume de réserves brutes de change équivalent à 3 mois d’importations de biens et de services. L’accroissement des flux de transferts courants et l’augmentation anticipée des flux d’investissement étranger direct (IED) seraient de nature à faciliter cette accumulation.

Brève analyse des perspectives pour 2007-2011.

Le DSNCRP précise que deux scénarios ont été retenus pour analyser les projections pour 2007-2011 : un scénario de base avec un taux de croissance moyen de 4% et un scénario optimiste avec un taux moyen de 4,6%. Le modèle de Ravallion est de nouveau utilisé dans les deux scénarios pour calculer les taux de réduction de la pauvreté. Dans ce modèle, au lieu d’utiliser le taux de croissance démographique intercensitaire de 2,3% établi par l’IHSI, on utilise plutôt une série estimée par l’IHSI qui reflète le phénomène de transition démographique. Le taux de croissance de la population est actuellement estimé à 2,1% et diminuera progressivement pour atteindre 1,9% en 2015.

Selon le modèle de Ravallion, le DSNCRP obtient les projections suivantes, en utilisant un coefficient de Gini initial égal à 0,505 :

a) Scénario de base :


Le taux de croissance du PIB par habitant passerait de 1,4% en 2007 à 1,9% en 2011, tandis que le taux de pauvreté passerait de 55,0% en 2007 à 50,2% en 2011 pour atteindre 38% en 2015.

b) Scénario optimiste :

Le taux de croissance du PIB par habitant passerait de 1,4% en 2007 à 3,8% en 2011, tandis que le taux de pauvreté passerait de 55,0% en 2007 à 48,5% en 2011 pour atteindre 28% en 2015, ce qui permettrait de satisfaire l’un des objectifs du millénaire pour le développement (OMD) : « Cible 1 :Réduire de moitié, entre 1990 et 2015, la proportion de la population dont le revenu est inférieur à un dollar par jour ».

Le DSNCRP considère un certain nombre de facteurs de risque. Les risques encourus sur le plan macro-économique sont dans l’ensemble contrôlables. En voici quelques-uns :

a) L’instabilité politique peut conduire à un tarissement des flux de ressources extérieures et influencer négativement la croissance et la réduction de la pauvreté.

b) Les risques liés aux carences institutionnelles et à la qualité de la gouvernance peuvent provenir, par exemple, de la mise en œuvre inadéquate des mesures prévues dans le DSNCRP.

c) L’aide externe a été très influencée par les crises politiques au cours des deux dernières décennies. Pour pallier à cette insuffisance potentielle, le Gouvernement compte établir la composante de financement du cadre de Dépenses à Moyen Terme (CMDT) en étroite collaboration avec les bailleurs de fonds, de manière à assurer la solidité de leurs engagements à un horizon suffisamment long.

d) Le ralentissement probable de l’économie américaine dû à la crise du marché de l’immobilier à risque, doit être examiné pour ses effets potentiels sur les objectifs fixés en début de période.

e) Les exportations d’Haïti, faiblement diversifiées, sont constituées à 90% d’une seule catégorie de produits : les produits textiles assemblés en haïti. Cela constitue un risque inhérent qu’il convient d’apprécier.

f) L’évolution défavorable des prix des cours du pétrole brut peut affecter sérieusement le degré de réalisation des objectifs de croissance. Il convient donc de tenir compte de la forte probabilité du maintien de prix élevés pour le pétrole.

g) Haïti étant très exposée aux catastrophes naturelles, les risques de cet ordre constituent donc ne catégorie de risques à ne pas négliger.



B) CRITIQUE du DSNCRP et du modèle de croissance utilisé


Le DSNCRP exprime le désir de l’État de s’attaquer sérieusement aux problèmes de non-croissance et de pauvreté chroniques. Cet effort déployé pour monter ce rapport doit être mis à l’actif des autorités en place et des fonctionnaires qui ont participé à sa préparation.
Il n’est fait aucune mention des différents modèles qui ont sans doute été analysés, ni des critères qui ont conduits les décideurs à choisir le modèle de Martin Ravallion. De plus aucunes références bibliographiques complètes ne sont fournies. À la page 110 du document, section 213, une note en bas de page indique la référence « Ravallion (2004)». Mais la référence complète n’est pas fournie. M. Martin Ravallion est un expert de la Banque Mondiale. Parmi les nombreuses publications de M. Ravallion, seul ou en collaboration, celle qui se rapproche le plus au travail du DSNCRP et publiée en 2004 est :

Ravallion, Martin (2004): « Pro-Poor Growth: A Primer », World Bank Policy Research Paper, WPS3242, Washington, D.C., 28 p. On peut télécharger gratuitement cette étude sur le site Web de la Banque Mondiale :
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http://www-wds.worldbank.org/servlet/WDSContentServer/WDSP/IB/2004/06/09/000009486_20040609104122/Rendered/PDF/wps3242growth.pdf

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Le document ci-après peut être utile pour une meilleure compréhension du modèle :

Ravallion, M. et Chen, S. (2003): « Measuring pro-poor growth », Economics Letters, 78 (203), 93-99.
On peut le télécharger à partir du lien suivant :
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http://www.sciencedirect.com/science?_ob=MImg&_imagekey=B6V84-472JHX0-5-11&_cdi=5860&_user=2101137&_orig=search&_coverDate=01%2F31%2F2003&_sk=999219998&view=c&wchp=dGLbVtb-zSkzk&md5=bb52721a6c3e830e7dd891ac7f9edaf7&ie=/sdarticle.pdf

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Ou bien, on peut obtenir également la version de travail sur le site de la BM :
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http://www-wds.worldbank.org/external/default/WDSContentServer/IW3P/IB/2001/09/28/000094946_01092004013092/Rendered/PDF/multi0page.pdf

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Le modèle de Ravallion exprime le taux de réduction de la pauvreté (TRP) en fonction du taux de croissance (TC), le coefficient de proportionnalité (négatif) est l’élasticité de la pauvreté vis-à-vis la croissance, qui a été définie dans le résumé ci-dessus et a pour valeur -9,33*(1-G)^3.


On a :
TRP = -9,33*(1-G)^3 * TC

Dans cette équation, G est le coefficient de Gini au début de la période pour laquelle on calcule le TRP. Comme la courbe de Lorenz ne change pas durant la période, on utilise dans les calculs la valeur initiale du coefficient de Gini.


Le résultat obtenu pour le TRP est le pourcentage suivant lequel est réduit l’indice de pauvreté. On obtient donc le taux de pauvreté à la fin de la période considérée en multipliant le taux au début de la période par le facteur (100% - TRP)/100. Si l’intervalle de temps considéré est égal à une année et que l’on veuille calculer la valeur de l’indice de pauvreté pour les différentes années de la période à l’étude, on répète le calcul précédent pour chacune des années de la période en prenant soin de mettre à jour la variable TC (taux de croissance). Le coefficient de Gini ne change pas, car on considère que la courbe de Lorenz ne change pas (l’élasticité considérée est partielle, la variable inégalité est bloquée dans le modèle de Ravallion).

En utilisant les données fournies dans le DSNCRP, page 31, section 23 que nous résumons par les statistiques fournies au point 5 ci-dessus, on trace la courbe de Lorenz à partir de laquelle on estime le coefficient de Gini pour Haïti : la valeur obtenue est de G=0,599, soit 60,0%, qui est nettement supérieure à la valeur utilisée dans le DSNCRP (50,5%) qui nous paraît irréaliste, dans l’état actuel du niveau des inégalités en Haïti.



La valeur de 60,0 semble encore plus réaliste quand on considère les valeurs du coefficient fournies pour différents pays par la Banque Mondiale. Voir figure 5.3 du document que l’on peut consulter par le lien suivant :
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http://www.worldbank.org/depweb/english/beyond/global/chapter5.html

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En utilisant G=60 dans le modèle de Ravallion, on a recalculé les valeurs du taux de pauvreté pour les deux scénarios et pour les mêmes valeurs du taux de croissance que le DSNCRP. L’élasticité devient E = -0,60 (au lieu E = -1,13 utilisée systématiquement dans le DSNCRP).


Une valeur de E inférieur à 1,0 en valeur absolue n'est pas une bonne nouvelle pour un pays qui cherche à réduire rapidement l'incidence de la pauvreté.

Pour le scénario optimiste, voici les triplets obtenus (Année, Taux de croissance, Taux de pauvreté) :
DSNCRP : (2008, 2,4%, 53,5) ; (2009, 1,9%, 52,4) ; (2010, 1,9%, 51,2) ; (2011, 1,9%, 50,2)
LCDP : (2008, 2,4%, 54,2) ; (2009, 1,9%, 53,6) ; (2010, 1,9%, 53,0) ; (2011, 1,9%, 52,4).

Pour le scénario optimiste, voici les triplets obtenus (Année, Taux de croissance, Taux de pauvreté) :
DSNCRP : (2008, 2,4%, 53,5) ; (2009, 1,9%, 52,4) ; (2010, 1,9%, 51,2) ; (2011, 1,9%, 50,2)
LCDP : (2008, 2,4%, 54,2) ; (2009, 1,9%, 53,6) ; (2010, 1,9%, 52,7) ; (2011, 1,9%, 51,5).
(N. B. LCPD signifie : Le Coin de Pierre)

L’année 2004 a vu la naissance d’un certain nombre d’études sur le sujet combien célèbre connu sous le vocable : « Pro-Poor Growth ».
Parmi les nombreux experts travaillant activement dans ce domaine, il y a ceux de la banque Mondiale avec à leur tête, le Dr. Martin Ravallion, et ceux de du PNUD, avec à leur tête : les professeurs Nanak Kakwani et Hyun Son (tous les deux docteurs en économie).

Kakwani et Son considèrent à bon escient que la définition de la croissance pro-pauvre (pro-poor growth) de Ravallion est une définition faible. Ravallion définit la croissance comme pro-pauvre, si elle réduit la pauvreté en termes absolus. Selon cette définition, il peut arriver que les pauvres ne reçoivent qu’une petite fraction des bénéfices totaux de la croissance et que cette croissance soit toujours considérée comme étant pro-pauvre.

Kakwani, Khandker et Son (2004) considèrent que le mot «pro-poor» signifie que les pauvres doivent recevoir plus et non moins de bénéfices que les non-pauvres. En adoptant cette définition, ils ont développé un modèle de croissance pro-poor dans lequel ils considèrent qu'un taux de croissance pro-poor qui tient compte à la fois du taux de réduction de la pauvreté et de la réduction des inégalités. Ils ont par la suite raffiné leur modèle pour tenir compte des conditions initiales de chaque pays.


Que donnerait le modèle de Kakwani et Son dans le cas d'Haïti ?


Voici quatre liens permettant de consulter (d’étudier, d’apprécier) des documents concernant le modèle de Kakwani et Son et son application:

1) Kakwani, N., Khandker, S. et Son, H.H. (2004) «Pro-Poor Growth: Concepts and Measurement with Country Case Studies », PNUD/UNDP, IPC, WP #1, 28 p.:

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http://www.undp-povertycentre.org/pub/IPCWorkingPaper1.pdf

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2) Son, H. H. (2004) « A note on pro-poor growth », Economics Letters 82 (2004), 307-314:
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http://www.sciencedirect.com/science/article/B6V84-4BG3W01-1/2/9585cbbc178323a9a9fea4130ad3beeb

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3) Kakwani, N. et Son, H.H. (2004) « Economic growth and poverty reduction: initial conditions matter », PNUD/UNDP, IPC, WP#2, 27 p.:
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http://www.undp-povertycentre.org/pub/IPCWorkingPaper2.pdf

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4) Son, H. H. et Kakwani, N.(2006) «Global Estimates of Pro-Poor Growth », PNUD/UNDP, IPC, WP # 31, 24 p.:
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http://www.undp-povertycentre.org/pub/IPCWorkingPaper31.pdf

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Le sujet est passionnant, les équations utilisées dans les deux modèles ne sont pas trop scabreuses. Les articles des professeurs Son et Kakwani sont d'une clarté et d'une rigueur remarquables, ceux du Dr. Ravallion également. Cependant la différence entre le style des universitaires et celui du praticien est une chose tout-à fait normale.


Les universitaires haïtiens en Haïti et en diaspora, les fonctionnaires des Ministères MEF et MPCE, et de l’IHSI ne manqueront pas de les exploiter à bon escient.

Quant au futur premier ministre, il devrait profiter du changement de gouvernement pour revoir en profondeur le DSNCRP. (Au moment d'écrire cette dernière phrase, j'apprends aux nouvelles du lundi 12 mai 21h00, que la Chambre des députés vient de rejeter la candidature d'Ericq Pierre qui briguait le poste de Premier ministre.)


À suivre.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Tres bel effort Pierre. Compliments!!! J'ajouterai la necessite d'enrichir le DSNCRP par la consultation de acteurs locaux et la Diaspora.

Stanley Lucas
www.solutionshaiti.blogspot.com

Dr. Pierre Montès a dit…

Oui Stanley, le DSNCRP devrait être revu, corrigé et amélioré. Entre autres choses, je ne m'explique pas comment le MPCE a pu se tromper sur la valeur du coefficient de Gini (G=59,92 au lieu de 50,5). Même s'ils conservaient le même modèle dont les limitations ont été indiquées dans la revue critique que j'ai faite,ils devraient corriger beaucoup de tableaux du rapport pour tenir compte de la vraie valeur de G.
Espérons qu'ils prendront connaissance de ce travail (que je poursuis).
Stanley, pourrais-tu envisager organiser un débat sur le DSNCRP ? C'est le bon moment...