Par Marie Laurence Jocelyn Lassègue
Ministre démissionnaire à la Condition féminine et aux Droits des femmes
Note liminaire du journal Le Matin.-
Ministre démissionnaire à la Condition féminine et aux Droits des femmes
Note liminaire du journal Le Matin.-
La ministre Marie Laurence Jocelyn Lassègue témoigne« Malgré les efforts du Premier ministre, tout s’est passé comme si nous ne formions pas «un vrai» gouvernement ayant la confiance du chef de l’État », écrit la ministre sortante à la Condition féminine et aux Droits des femmes dans ce témoignage qu’elle dit ne pas être un bilan, mais plutôt sa « compréhension des choses afin de participer à la réflexion sur la bonne gouvernance ». Forte de ses observations, Marie Laurence Jocelyn Lassègue, qui prône le respect des règles du jeu démocratique, soutient : « Que le prochain chef du gouvernement soit « politique », ou « technique », si les mécanismes institutionnels garantissant son action ne sont pas mis en branle, il échouera ». La démarche de Marie Laurence Jocelyn Lassègue d’exprimer ses réflexions au soir du mandat du gouvernement dont elle est membre, présente assez d’intérêt pour que nous lui en donnions écho.
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Je voudrais d’abord et avant tout remercier le président de la République, Monsieur René Préval ainsi que le chef du gouvernement, Monsieur Jacques Édouard Alexis, pour la confiance placée en moi durant deux (2) ans. Ce fut un honneur de pouvoir contribuer à la conduite des affaires de mon pays, dans une phase particulièrement délicate de son histoire.
J’ai été à la tête du ministère à la Condition féminine et aux Droits des femmes durant ces deux (2) ans. Toutefois, la présente, n’a pas pour objectif de dresser le bilan et les perspectives de cette institution. J’aurai l’occasion de le faire au moment de la passation des rênes à mon successeur.
À l’heure de la mise en place d’une nouvelle équipe gouvernementale, je veux faire part de ma compréhension des choses afin de participer à la réflexion sur la bonne gouvernance. Je préfère que l’on me reproche de parler, de trop parler maintenant. Je ne supporterais pas demain de m’être tue !
Du profil des ministres
Au sein d’un Cabinet ministériel, on peut être très « technique », spécialiste dans un domaine précis : tourisme, culture, économie, égalité des sexes, etc.… et s’en tenir à la bonne marche de tel secteur en question. Le pays a eu d’excellents-es/ experts-es qui ont récemment encore réalisé un travail exceptionnel au sein du gouvernement de Monsieur Alexis. Néanmoins, on peut être un ministre technique et également politique par choix idéologique, ou par expérience de la chose publique. Ceci n’empêche pas cela.
Dès le premier jour de la crise aux Cayes, le 2 avril dernier, les évènements ont accentué les interrogations qui étaient les miennes depuis plusieurs mois. Membre d’un gouvernement dont j’étais fière, sous la houlette d’un Premier ministre expérimenté et rigoureux, je travaillais dans un secteur difficile par excellence. J’ai aussi toujours tenu à contribuer aux réflexions globales du gouvernement, en vue de la cohésion que voulait le Premier ministre. J’ai ainsi fait part de propositions relatives à la communication gouvernementale, à la nécessité de rencontres régulières entre les ministres, le Parlement et les partis politiques représentés au sein dudit gouvernement.
J’avoue que, depuis un (1) an, j’avais des questionnements, des doutes même, face à l’articulation des actions des différentes entités étatiques, compte tenu des rôles définis par la Constitution. Je pensais que nous n’étions, peut-être pas, sur la bonne voie. Ce, également, en raison des interpellations du chef de l’État qui exprimait, de façon récurrente, des réserves quant à la performance du Cabinet ministériel. Je sentais un énorme décalage entre ce que nous faisions et ce qu’il semblait attendre de nous. J’ai pensé que je me trompais peut-être, que le temps me donnerait tort. C’est moi qui ai eu tort justement de n’avoir pas assez insisté, en faisant part de mes préoccupations et inquiétudes grandissantes en Conseil de gouvernement ou en Conseil des ministres.
Aujourd’hui, au nom de cette politique que j’exhorte les femmes à faire autrement, je veux réfléchir tout haut avec les responsables politiques de mon pays : le président de la République, le Premier ministre, les partis politiques, le Parlement haïtien.
Du gouvernement pluriel
Dès le départ, le chef de l’État a fait choix d’un gouvernement pluriel. Fallait-il pour autant, au nom de ce pluralisme politique, verser dans un immobilisme quasi paralysant ! L’Exécutif, en deux années, n’a pratiquement pas touché à ceux et celles dont la mission est non seulement de nous représenter, mais surtout de défendre les intérêts politiques, économiques et culturels du pays à l’étranger. Je veux parler des ambassadeurs, des consuls, etc... D’autres représentants-es par excellence de l’Exécutif, les délégués gouvernementaux, sont restés-es en poste, sans pour autant être imbus-es ou sans forcement épouser les orientations stratégiques du pouvoir. Rappelons que ces personnalités régionales doivent jouer un rôle capital dans la coordination de l’action gouvernementale avec les élus-es locaux. Dans l’article 86 de la Constitution, il est indiqué que : « Les délégués et vice-délégués assurent la coordination et le contrôle des services publics. Ils n’exercent aucune fonction de politique répressive ». De même qu’un cabinet est appelé à partir avec le ou la ministre, de même les délégués-es et vice-délégués devraient accompagner tout renouvellement de l’Exécutif. Il semblerait évident que le président de la République ait eu peur de ces changements qui auraient, selon lui, fragilisé cette stabilité politique essentielle au développement économique et au renforcement de la sécurité dans les dix (10) départements.
Par ailleurs, le choix du chef de l’État a donné lieu à un cabinet ministériel formé de personnalités d’horizons divers. Si cette composition présentait l’avantage de refléter la pluralité du Parlement et, somme toute, le caractère composite des forces politiques du pays, elle charriait aussi, avec elle, sa part de difficultés, tout particulièrement en termes de gouvernance opérationnelle et de cohésion structurelle. Ces difficultés sont non intrinsèques aux personnalités en question, ni à l’action du Premier ministre. Celles-ci traduisent le dysfonctionnement criant de toutes les composantes concernées de l’appareil d’État.
De la cohésion gouvernementale
Malgré les efforts du Premier ministre, tout s’est passé comme si nous ne formions pas «un vrai» gouvernement ayant la confiance du chef de l’État. Un gouvernement doit être une équipe, une équipe solidairement responsable des décisions prises collectivement. Or, les faits nous ont souvent montré le contraire. Tout au long de ces deux (2) années, chacun et chacune s’est concentré-e, sur ses dossiers sectoriels propres au détriment de l’action globale sur laquelle repose, en définitive, la performance collective.
Le cantonnement dans les dossiers spécifiques a fragilisé, malgré la bonne foi et la compétence, la conduite politique des affaires du pays. Un gouvernement doit non seulement gérer le quotidien, mais également tenter de prévoir les contingences, prendre le pouls des situations conjoncturelles et ainsi aboutir collectivement aux décisions qui s’imposent.
Une occasion avait été offerte après l’interpellation du 28 février 2008. Un remaniement ministériel était souhaitable dans le but de redéfinir l’action gouvernementale et repartir sur de nouvelles bases. Le chef de l’État, le Premier ministre sont passés à côté de ce moment critique et n’ont pas jugé bon d’adopter les mesures qui, de toute évidence, s’imposaient.
Du Parlement, des groupes parlementaires
Les parlementaires et les différents groupes des deux (2) Chambres qui se sont constitués tout au cours de cette période, ont eu une praxis singulière de leurs prérogatives constitutionnelles. L’interpellation du Premier ministre, par exemple, était brandie plutôt comme une démarche obligatoire de sanction, alors qu’elle aurait dû servir d’outil d’évaluation de l’action gouvernementale. Elle aurait pu également être une opportunité de définition des mesures correctives à entreprendre !
Pour une bonne gouvernance, nous aurions intérêt à considérer le devoir de contrôle des actions du gouvernement comme un processus de correction politique, un exercice hautement démocratique. Le pouvoir doit être utilisé par les instances concernées pour rechercher des améliorations dans l’intérêt collectif. C’est ce que nous, féministes politiques, appelons « faire la politique autrement ». Quant à l’Exécutif, il a négligé de construire cette majorité parlementaire si nécessaire à son action pérenne. Le processus ayant conduit à l’élection du chef de l’État, ne lui a pas accordé une majorité partisane. Il aurait donc fallu, par le jeu des alliances, bâtir cette majorité structurée et organisée. Sans compter que le fort sentiment d’indépendance des parlementaires ne les a pas astreints à une discipline de parti. Là aussi, nous avons un apprentissage à faire, pour le bien de la démocratie. Le déficit d’institutionnalisation concerne donc aussi les partis politiques.
Des partis politiques
Partout ailleurs, dans les systèmes où les forces politiques sont représentées tant au Parlement qu’au sein du gouvernement, des mécanismes de consultations, de conciliation, de régulation célères sont créés. Ils permettent d’éviter tout malentendu, tout dérapage et participent au maintien de la continuité de l’État. Les partis politiques présents au Parlement le savent, ils apprennent quotidiennement à leurs cadres comment faire fonctionner l’Etat, comment utiliser les outils politiques pour une bonne gouvernance, etc.… Il aurait suffi qu’ils fussent proactifs en faisant eux-mêmes au chef de l’État, au chef du gouvernement, des propositions concrètes de réorientations stratégiques, de remaniements des personnels lorsqu’il le fallait. Or l’occasion s’est présentée après l’écrasant vote de confiance à la Chambre basse, en février dernier. Par ailleurs, la même énergie avec laquelle les partis politiques alliés au gouvernement et le Sénat de la République eurent à demander le départ du Premier ministre, aurait dû être utilisée pour réorienter l’action gouvernementale, lorsqu’il semblait clair que la formule de gouvernement pluriel n’était plus la panacée et ne correspondait plus aux besoins de l’heure.
Les partis politiques auraient également dû, tenant compte de l’énoncé de Politique générale, veiller à ce que le Premier ministre tienne avec eux des réunions régulières d’évaluation tant de l’action du gouvernement que du travail des ministres les représentant respectivement. Une telle pratique aurait grandement profité à la Nation et évité que nous débouchions sur la situation qui a conduit, entre autres, au désastre économique et social d’avril dernier.
Des marges de manœuvre du Premier ministre
Dans un tel contexte, le chef du gouvernement avait très peu de marges de manœuvre. Entre un Parlement fort de ses prérogatives constitutionnelles et un président bien imbu de sa légitimité électorale. Desservi par une faiblesse institutionnelle généralisée, le Premier ministre s’est fort souvent retrouvé dans des situations difficiles voire inextricables. À ce jour, aucun mécanisme n’a été mis en place, favorisant une collaboration systématique des diverses instances de l’appareil d’État en vue de permettre la direction effective du gouvernement.
La question de communication gouvernementale mérite également d’être indexée. Il s’agit ici de plaider en faveur de l’établissement d’une politique nationale de communication, afin d’informer sur les orientations du gouvernement, sur les difficultés de l’heure et sur les solutions arrêtées pour les populations.
Il faut aussi et surtout une «culture de la communication» apte à renforcer l’institutionnalisation de l’État et se reposer sur les diverses structures existantes, au niveau national, régional et local, notamment sur les medias communautaires, afin de s’assurer de la circulation d’informations des chefs-lieux des départements aux sections communales.
Du gouvernement de coalition
Aujourd’hui, un consensus semble être trouvé pour un gouvernement de coalition détenant une feuille de route bien précise. Un tel gouvernement avec un programme commun, des objectifs clairement définis, soutenu par une majorité parlementaire bien structurée, pourrait garantir la prise en compte des attentes urgentes des populations. Il s’agira, néanmoins, de vœux pieux, si le prochain Premier ministre ne peut implémenter son action politique avec le soutien déclaré et réel du chef de l’État, dans le libre respect des prérogatives constitutionnelles de l’un comme de l’autre. Si le prochain titulaire de la Villa d’accueil n’est pas assuré de rencontrer les partis représentés dans son Cabinet de façon régulière ; s’il n’a pas la latitude, quand il en sent le besoin, de changer de ministre ou de hauts fonctionnaires ; s’il ne peut réviser son plan d’action au regard de la conjoncture nationale et internationale ; si le Parlement haïtien ne joue pas son rôle de législateur et de contrôleur en constant dialogue avec l’Exécutif... force sera de constater que la montagne aura accouché, une fois de plus, d’une souris. Il nous faudra alors évaluer les dégâts que nous n’aurons qu’à déplorer, une fois de plus, dans notre pays !
Que le prochain chef du gouvernement soit « politique », ou « technique », si les mécanismes institutionnels garantissant son action ne sont pas mis en branle, il échouera. La feuille de route issue du Document de stratégie nationale pour la croissance et la réduction de la pauvreté (DSNCRP) n’aura de vertu que si toutes les instances de l’appareil d’État s’impliquent de façon efficace et surtout respectent les règles du jeu démocratique.
Se reg jwet la ki pou respekte !
Marie Laurence Jocelyn Lassègue
Ministre à la Condition féminine et aux Droits des femmes
mercredi 7 mai 2008
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//Source de l'article:
http://www.lematinhaiti.com/PageArticle.asp?ArticleID=12657
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NDCDP.-
Le témoignage de la ministre Lassègue, observatrice du pouvoir de l'intérieur, vient corroborer mon observation à distance des faits politiques haïtiens et ma lecture entre les lignes de la Constitution: en particulier la dynamique particulière qui se développe au sein de l'Éxécutif bicéphale.
Ça ne marche pas, ça ne marchera pas, ce pouvoir bicéphale, à moins que le Président ne se comporte comme M. Boniface Alexandre et que le Premier ministre n'ait le panache de M. Gérard Latortue.
Selon mon analyse, pour que ça marche, il faudrait changer la constitution et la remplacer par une autre qui définisse non seulement une autre gouvernance politique, mais aussi et surtout, une démocratie parlementaire (un Parlement fort d'où émanerait automatiquement l'Exécutif après chaque élection).
Pour plus de détails sur cette idée, voir les articles suivants publiés la semaine passée sur Le Coin de Pierre en cliquant sur les liens ci-dessous:
//http://jfjpm.blogspot.com/2008/04/rpondre-lappel-du-peuple.html
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http://jfjpm.blogspot.com/2008/05/ditorial-du-journal-le-matin-ricq.html
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