mardi 15 avril 2008

Ce n’est qu’un début …

Par Claude Moise
claudemoise@lematinhaiti.com

Il s’est passé beaucoup de choses durant la semaine qui vient de s'écouler. On a l’habitude sitôt après des événements d’entendre dire qu’il faut en tirer les leçons. Pour l’avenir. Si tant est que l’avenir est déjà dans le passé.

1.- L’explosion de mécontentement populaire prévisible et très vite infiltrée par des groupes violents dont l’objectif évident est de provoquer un chambardement général à la faveur duquel des plans politiques auraient des chances d’être exécutés. Ceux pour qui l’instabilité permanente est nécessaire au développement de leurs affaires, de leurs activités illicites traquent les points faibles du gouvernement. Ils gagnent à tout coup, s’abritant astucieusement derrière l’intérêt général, dénonçant l’inertie des dirigeants, le peu de résultat de leur action, maintenant la suspicion. L’agitation s’alimente aux provocations de rue de sorte que la démonstration est faite de l’incapacité des forces de sécurité de protéger effectivement la population. Au fait, la fragilité et l’impuissance de l’État arrangent bien des gens. Plus l’État est faible, mieux on est en mesure d’accaparer les lieux de pouvoir. Et l’État faible, dépourvu de moyens, dépendant de l’assistance étrangère, incapable de rétribuer convenablement ses fonctionnaires, ses policiers, ses juges, expose ses employés inexorablement à la corruption. Ces derniers deviennent des proies faciles pour les prédateurs, trafiquants, contrebandiers et aventuriers de toutes sortes.

Les manifestations populaires de protestation contre la cherté de la vie constituent donc la toile de fond de cette actualité. Les réactions viennent de partout. Oublions pour le moment le tapage médiatique qu’elles alimentent. Quelle a été la réponse des dirigeants?

2.- Le gouvernement semblait pris au dépourvu. Il faut rappeler que le Premier ministre, convoqué en commission parlementaire sénatoriale, les mardi 12 et mercredi 13 février, a établi un plan d’intervention d’urgence qui, s’il n’a pas complètement satisfait aux attentes des sénateurs, a été accueilli comme une bonne base de travail. C’est au lendemain de cette séance que la Chambre basse à son tour prit l’initiative d’interpeller le gouvernement. La motion de censure présentée au terme du débat a été rejetée par la majorité des députés.

Un mois s’est donc écoulé entre l’interpellation et le déclenchement des manifestations dans le sud. Le gouvernement a-t-il tardé à mettre en application les mesures adoptées ? A-t-il sousestimé l’ampleur du mécontentement ? A-t-il négligé d’intervenir auprès des populations par une campagne d’explication efficace ? Toujours est-il que le développement de la situation lui a effectivement échappé et que, passant du sud à la région de la capitale, la violence s’est généralisée au point d’affoler de nombreux citoyens. Ces derniers attendaient une réaction énergique de la part du gouvernement pour contenir l’action des casseurs, mais la gestion précautionneuse de la répression par les forces de sécurité a valu à ces dernières les félicitations du président de la République et du Premier ministre. De plus, le message du chef de l’État très attendu a laissé plus d’un sur leur faim. M. Préval a négligé de mettre l’accent sur le programme d’urgence élaboré par le gouvernement au profit de solutions à long terme. Ce qui lui a valu de sévères critiques.

3.- Là où la situation commençait à devenir malsaine au niveau des institutions du pouvoir central, c’est l’ahurissante intervention de 16 sénateurs qui ont adressé une lettre au Premier ministre pour le menacer d’une interpellation s’il ne démissionne pas dans les 24 heures. Les parlementaires ne sauraient être des pétitionnaires. Ils exercent leur pouvoir dans leur assemblée respective. L’initiative des sénateurs signataires de la lettre est un outrage à la République. Cela équivaut à un chantage sur la personne du chef du gouvernement. Qu’est-ce qui les empêchait de délibérer sur la question et de prendre une décision en bonne et due forme? Il est vrai que ce Sénat n’est pas à une initiative douteuse près. Que l’on se rappelle la résolution nuitamment concoctée à l’occasion de l’Affaire de la Socabank. Il en est de même de l’Affaire du sénateur Boulos. La même majorité qui avait élu ce dernier à la vice-présidence du grand corps au moment même où le débat faisait rage dans l’opinion sur la double nationalité de ce dernier est celle-là même qui l’a déboulonné au terme d’une résolution dont le bien-fondé constitutionnel est largement contesté.

On remarquera que, dans chaque cas, la décision du Sénat donne lieu à des controverses. Aujourd’hui également, des voix se sont élevées pour contester aux sénateurs le droit d’interpeller le Premier ministre en vertu de l’article 129-6, après l’interpellation par la Chambre des députés où la motion de censure avait été rejetée. Il s’agit dans chaque cas d’interprétation unilatérale de clauses constitutionnelles dont la formulation prête à confusion. Or le Sénat n’a ni le pouvoir d’interpréter la Constitution ni le privilège de s’ériger en tribunal, sauf lorsqu’il est transformé en Haute Cour de Justice.

4.- Si chacun des grands pouvoirs de l’État se met à interpréter la Constitution selon son bon vouloir, on est loin de la normalisation institutionnelle espérée. Si, par exemple, l’Exécutif s’était rebiffé et avait prévalu de sa propre interprétation de l’article 129-6, qu’est-ce qui se serait produit? Le blocage institutionnel. Le brouillage du jeu politique et l’affrontement des partis. Le chef de l’État et le Premier ministre ont dû choisir de ne pas aggraver la crise. Car, dès lors que les signataires de la lettre comminatoire s’étaient avancés et lancés dans des agitations médiatiques, la lutte de pouvoirs avait déjà pris un tour dramatique sur fond de désordre généralisé que les groupes stipendiés n’auraient pas manqué d’alimenter. Aussi, comprend-on que le chef du gouvernement, dont la mise à mort était déjà programmée, se soit présenté et adressé brièvement aux sénateurs, un geste de respect au moins de l’institution dont ces derniers devaient garantir la dignité.

5.- Mais ce n’est pas terminé. Ce n’est qu’un début. Un autre champ de bataille est ouvert. Un sénateur d’un parti régional a appelé ses collègues à serrer les rangs pour la suite. Entendons, le partage du pouvoir. Le processus constitutionnel de la formation du gouvernement n’est pas de tout repos.

6.- On me permettra, pour terminer, de saluer le départ de Jacques Édouard Alexis. Travailleur acharné, serviteur dévoué, dirigeant courageux, je le tiens, jusqu’à preuve du contraire et malgré ses déboires politiques et ses échecs, pour un homme honnête qui a servi son pays au meilleur de ses capacités. J’aimerais tellement pouvoir en dire autant, à l’occasion, de ceux et celles qui ont planifié «la mise à mort d’un gouvernement inoffensif ».

mardi 15 avril 2008

//L'article ci-dessus provient du lien ci-dessous:

//

http://www.lematinhaiti.com/PageArticle.asp?ArticleID=12189

//

NDCDP.-

Le Coin de Pierre ne partage pas le point de vue du Professeur Moïse sur le renvoi du Premier Ministre Alexis et de son gouvernement par le Sénat. Rappelons ce qu'a dit (*) Monsieur Robert Rotberg, professeur associé de Politique Publique à la John F. Kennedy School of Government de l'Université Harvard, avant le vote de censure : «... a no-confidence vote would be a serious blow to Preval...» Et il a ajouté: « Ironically, this was only happening because Preval had opened up democracy in Haiti to a far greater extent than before and given the legislature its own voice. In that sense, it's an enormously good thing for Haiti ».

_________

(*) Voir sur le Coin de Pierre, la dépêche de Joseph Guyler C. Delva:

//

http://jfjpm.blogspot.com/2008/04/haitian-senate-poised-to-fire-prime.html

//

Aucun commentaire: