vendredi 18 avril 2008

Quel Premier ministre ? Et quel programme?

Par Odette Roy Fombrun

Pour réussir, il faut viser haut et grand !
Le pays vient d’entrer dans une nouvelle crise. Nous jouons probablement notre dernière carte de peuple libre. Les grands risques sont la mise sous tutelle ou la Somalisation. Le phénomène « krazebrize », non suivi de sanctions, nous en donne un avant-goût très amer.
1) De quelle situation va hériter le prochain gouvernement ?
Les casses débridées rendent plus difficile la tâche de combattre la vie chère et hypothèquent même l’avenir du pays. Les conséquences sont des pertes énormes d’emplois, la suspension de travaux en cours, la fuite de capitaux et de cerveaux qui nous font tellement besoin ! L’annulation de conférences internationales concernant Haïti et son économie déficiente... Pire, le pays est mis à l’index et il est déconseillé de le visiter et d’y investir car les biens n’y sont pas garantis. Quel nouveau bond en arrière !
Les mesures proposées par le secteur privé, par les partis politiques et les économistes arriveront peut-être à atténuer la crise, mais n’en supprimeront pas les causes. Le prochain gouvernement, s’il est rapidement installé, devra continuer pour un temps nombre de ces mesures, sachant qu’elles ne sauraient résoudre les graves problèmes de la MISERE et de l’ENVIRONNEMENT, causes profondes d’une telle situation.
Sans nul doute, le président de la République a raison d’affirmer qu’il faut investir dans la relance de la production agricole. Cela a toujours été, est et sera un IMPERATIF pour tout gouvernement à venir. Mais, on sait que l’agriculture, si elle permet de diminuer les besoins d’importations et d’améliorer le niveau de vie des agriculteurs, n’est source de richesses pour aucun pays, voir le nôtre. Partout, même en pays riches, on est forcé de la subventionner. Il faudra donc que le nouveau gouvernement, tout en subventionnant la production agricole sous des formes diverses, s’applique avec ardeur à créer les conditions indispensables à la promotion de toutes sortes d’industries de production ainsi que d’un tourisme adapté, tous générateurs de devises.
Il est évident que l’État haïtien est presque inexistant, s’appuyant sur la charité internationale et sur impôts et taxes qui appauvrissent ses citoyens. À date, les gouvernements gèrent la misère et nous enfoncent dans la dépendance.
De plus, en entrant dans la CARICOM, sans production de biens d’échanges, notre pays s’est mis la corde au cou : il devra aligner ses taxes douanières sur celles pratiquées par la Communauté caribéenne. Grand dilemme, car couper certaines taxes affecteront le Budget national et en augmenter d’autres renforceront la cherté de la vie. Nous sommes-nous demandés pourquoi nos voisins n’ont-ils pas rejoint la Caricom ? Pourquoi ont-ils choisi la voie d’Accords bilatéraux avec ces pays et ceux d’Amérique centrale ? C’est dire que la gestion du dossier Caricom sera une lourde charge pour le prochain gouvernement. Mal géré, il contribuera à aggraver la situation économique du pays.
En résumé, les 4 grands problèmes prioritaires sont :
1) La vie chère.
2) La production agricole.
3) Les accords de la Caricom.
4) Les structures de gestion du Document de Stratégie nationale pour la Croissance et la Réduction de la pauvreté (DSNCRP).
Parce qu’il répond à une vision internationale, ce programme national du DSNCRP, qui remplace le CCI, sera financé par les grandes instances internationales. C’est au sujet de la gestion de ces fonds que notre économiste chevronné, Kesnel Pharel, exprime des inquiétudes (*).
2) Dans une telle situation, quelle approche adopter ?
Le professeur Leslie Manigat dit qu’«Il y a sept Haïti, chacune opérant dans son milieu ambiant » (**). Que faire alors ? Il me semble indispensable de rechercher et d’identifier les INTERÊTS COMMUNS, les intérêts susceptibles d’unir ces 7 Haïti parce que prometteurs de mieux-être pour tous. C’est ce travail qu’a fait le Konbitisme dans le projet de Régionalisation Economique (***).
Si par bonheur le Premier ministre l’adopte, il lui faudra alors convaincre la Communauté internationale de la validité de cette approche qui ne va certainement pas à l’encontre du programme du DSNCRP, mais plutôt facilite son implémentation. D’ailleurs, les projets du ministère du Tourisme, déjà étudiés par zones, sont en fait des projets régionaux. La Régionalisation Économique lui ajoute le concept du « touris lakay », en démontrant que ce type de tourisme aidera à résorber la pauvreté par son fort potentiel d’entrées de devises, à promouvoir la production nationale et la protection de l’environnement. Il répond à la politique d’inclusion de la paysannerie, de la jeunesse et de la diaspora, tous trop longtemps exclus, dans un immense projet d’intérêts communs.
Pour démarrer la Régionalisation Économique, nous suggérons de commencer par la Région du Grand Nord, présentée par le Konbitisme comme modèle, parce que cette région, très étudiée, réunit toutes les qualités lui permettant de répondre rapidement aux exigences d’un tourisme innovateur adapté, générateur de devises. Il faut cesser de penser petits projets. Il faut conceptualiser grand, très grand, très audacieux ! Aussi, il importe de regarder la Région dans son ensemble, comme un tout à développer. Le plan global de développement de la Région est le projet à démarcher, incluant routes, sources d’énergie, sources de productions, plans d’accueil, de formation, de planification générale. Il faut être audacieux ! Il est temps de rêver grand et de réussir !
3) Comment réussir la Régionalisation Économique ?
Il est évident que la partie politique du projet doit être audacieusement préparée par le Premier ministre et son cabinet ; tandis que la partie économique sera judicieusement travaillée par des planificateurs et économistes modernes, imbus des disponibilités des pays avancés. Quant aux structures d’exécution et de contrôle elles devront être clairement établies et constituées pour assurer leur succès dans la transparence et l’efficience. Certes, il faudra beaucoup d’argent, mais nous affirmons qu’avec la volonté et la bonne foi des dirigeants et des citoyens, nous pourrons, sans nul doute, obtenir ce qui nous fait défaut.
4) Qui mobiliser ?
Il faudra :
  • Identifier et mobiliser les grands investisseurs potentiels tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, nationaux ou internationaux, et les grands bailleurs de fonds
  • Mobiliser sénateurs, députés, maires, Casec, Asec de la région…
  • Mettre en branle toutes les ressources humaines, la jeunesse et la diaspora issues de la région.
  • Utiliser les services d’un Wyclef Jean, ambassadeur apprécié et dynamique, pour capter l’intérêt tant de ses amis personnels que d’autres personnalités généreuses comme les Bill Gates, Oprah ou autre, en mettant en évidence les convaincants objectifs de résorber la misère et procurer le mieux-être à des êtres souffrants, de protéger l’environnement en péril.
5) En conclusion
Le Premier ministre ne devrait pas du tout présenter le Programme traditionnel, mais soumettre aux Chambres législatives et à la Nation un exposé clair et net précisant :
A. Les voies et moyens que le gouvernement va adopter pour combattre la vie chère
B. Les voies et moyens pour augmenter en urgence la production agricole.
C. Les ententes qu’il va faire avec la Caricom
D. Les structures qu’il va mettre en place pour implémenter le DSNCRP, surtout les structures de gestion, de contrôle et d’exécution
6) Choix du Premier ministre
En conséquence, l’issue de cette crise et la relance de l’économie du pays dépendront en grande partie du choix du Premier ministre, de sa personnalité, de ses qualités de LEADERSHIP, de sa capacité à INNOVER et de la LIBERTE qui lui sera laissée de choisir ses collaborateurs pour AGIR sans contraintes. Il faut un Premier ministre dynamique, capable de répondre aux problèmes prioritaires mentionnés, capable de convaincre la nation et la communautáe internationale de l’importance de la Régionalisation économique dans laquelle chacun trouvera son intérêt, sa place, ses possibilités de participer à la grande Kombite de développement. En attendant que cesse la division malheureusement entretenue par des articles rétrogrades de la Constitution, il ne devra pas hésiter à faire appel aux nombreux cadres techniques disponibles en diaspora, surtout aux « développeurs » capables d’aider à assurer la mise en place d’un management moderne.
Alors, Haïti se mettra enfin en route pour regagner sa dignité dans la Caraïbe ou, pourquoi pas, reconquérir la place de leadership qu’elle a toujours occupée dans l’histoire du monde.
Il ne faut surtout pas tarder à démarrer de tels programmes car ce serait la grande catastrophe ! C’est donc, pour le gouvernement, un difficile mais impératif défi à relever.
Alea jacta est !
Odette Roy Fombrun
14 avril 2008
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(*) «Qui assurera la gestion des fonds du DNSCRP ?....Il faut reconnaître que le plan mis sur papier présente une fière allure, respectant les normes de management public moderne. Mais il faudrait que les joueurs sur le terrain, les membres de l’administration publique, puissent démontrer leur capacité à délivrer la marchandise. D’où l’éternelle question de capacités d’absorption » (Le Matin du 4-6 avril 2008).
(**) Le Nouvelliste du 7 avril 2008
(***) Voir la présentation du Projet REGIONALISATION ECONOMIQUE du Konbitisme.
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//L'article de Madame O. Roy Fombrun est publié dans Le Matin du vendredi 18 avril 2008.
//Le lien est le suivant:
http://www.lematinhaiti.com/PageArticle.asp?ArticleID=12305
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