mercredi 16 avril 2008

Le droit à la sanction

NDCDP.-
M. Lyonel Trouillot du journal Le Matin a bien parlé.
Il rejoint, à mon sens, le Professeur de Politique Publique, Robert Rotberg, qui disait, avant l'interpellation de M. J.E. Alexis:
«In that sense, » (c'est-à-dire, the own voice of the legislature, ou, le droit à la sanction), « it's an enormously good thing for Haiti ».

D'autre part, la Conférence épiscopale d'Haïti a résumé le sentiment de la population dans son message du 11 avril 2008. Dans le préambule, elle déclare:
« Le droit de manifester et de transmettre ses revendications s’accompagne toujours du devoir impérieux de protéger les vies et les biens, de respecter la loi et de protéger l’environnement.»

Et au point 8, la CEH ajoute:

« La CEH rappelle que si le droit de manifester est sacré, ceci n’autorise personne à porter atteinte à la vie et aux biens d’autrui. En ces sens, il est du devoir de ceux qui sont responsables de l’ordre public de protéger les vies et les biens et de sanctionner ceux qui enfreignent la Loi

Il a été rapporté dans les nouvelles qui nous venaient d'Haïti, durant la période des émeutes de la faim, que, pendant deux jours au moins, à Port-au-Prince, la population était livrée à elle même, sans défense et qu'elle était forcée de s'enfermer chez elle pour se protéger: l'État (ou son organe, le Gouvernement) était quasiment absent de la scène à ce moment-là. À mon sens, c'est aussi cela que le Sénat a sanctionné, sans le dire. Le Premier Ministre sortant n'est peut-être pas le seul responsable dans cette affaire. Aussi, pensons-nous que le Président de la République aurait, un jour, à répondre devant la population et devant l'histoire, de sa quasi-inaction durant les émeutes de la faim.

***

Le droit à la sanction

Par Lyonel Trouillot


Loin de moi l’idée d’accuser, de juger, de condamner. L’histoire, le temps jugeront de l’action du gouvernement de Jacques Édouard Alexis. L’histoire, le temps jugeront de la lenteur du Pouvoir exécutif à montrer qu’il entendait, pas même qu’il écoutait, les discours revendicatifs et accusateurs qui ne pouvaient que monter le ton jusqu’à devenir clameurs.
Que nous soyons parlementaires, responsables du Pouvoir exécutif, analystes, chroniqueurs ou simples citoyens, l’évaluation ne nous appartient pas sur le temps long, nous ne pouvons qu’agir au présent, au mieux de nos capacités et de notre intelligence des choses. La raison qui guide nos actes et nos propos est celle de la vie immédiate. L’autre, celle qui entrera plus tard dans les manuels, celle du regard froid sur le réel d’antan n’appartient en propre à personne. Nous ne sommes, hélas, que de pauvres humains, pas des oracles.
Mais il est un point sur lequel je voudrais insister : c’est l’entrée de la sanction dans la vie politique, et le caractère formel, voire formaliste que prend ce droit, parfois ce devoir, de sanctionner. Caractère formel et formaliste avec des repères juridiques, la constitution et la loi. Sans nier la manifestation parfois d’excès, chez les uns comme chez les autres. Toutes les instances de pouvoir, ou plus exactement des représentants des trois pouvoirs, ont à un moment ou à un autre excédé leurs prérogatives ou boudé les autres pouvoirs. À titre d’exemple, on ne m’enlèvera pas de l’esprit que la tenue d’une réunion au Palais national par le président de la République au moment même où le Sénat délibérait sur le sort du Premier ministre est une bouderie, une banalisation d’une haute instance de la République plus digne d’un anarchisme d’adolescent que de la sérénité d’un premier mandataire de la nation. On a aussi vu, Claude Moïse le rappelait dans un récent éditorial, des excès des parlementaires. Le Pouvoir judiciaire a aussi en plusieurs fois débordé les limites à lui assignées. Il y a deux façons de mal faire dans ce domaine : dépasser ses pouvoirs ; donner des signes de mépris ou de condescendance vis-à-vis des autres pouvoirs. En cela, nos trois pouvoirs sont égaux, et je n’ai guère envie de faire le tri de leurs débordements respectifs. C’est une chose à combattre, et c’est le devoir des citoyens de rappeler à tous nos dirigeants non seulement leurs abus de pouvoir, mais aussi, quand cela se produit, leur manque de tenue. D’une certaine façon, tout citoyen haïtien a presque le devoir de se transformer en constitutionnaliste.
Cela n’enlève rien à la nécessité de la sanction. Autrefois, souvent la sanction venait d’en haut et ne frappait que les subalternes. Le grand chef décidait de sanctionner tel petit chef. Au XIXe siècle, elle venait par les jacqueries. Aujourd’hui, avec des erreurs, parfois même des grossièretés, elle vient de l’opinion majoritaire et d’instances institutionnelles. Elle ne se réalise pas de façon pure, elle a son lot de maladresses. La sanction contre la corruption proclamée par l’Exécutif est-elle aussi efficace qu’il souhaitait l’être ? Les bonnes intentions des parlementaires s’accompagnent parfois de discours ou de procédures, sinon de procédés, lapidaires. Rien n’est parfait. Mais il commence à entrer dans la vie politique le principe de la sanction. Pénale. Morale. Sociale. Chaque adjectif couvre un domaine. Il importe donc de distinguer ces domaines et de ne pas prendre une sanction pour une autre.
Trop longtemps, les dirigeants politiques haïtiens, abitid se vis, ont eu pour interlocuteurs leurs supérieurs hiérarchiques, « le blanc » et leurs partisans. De ce point de vue là, quelque chose est en train de changer. On sait désormais, ou l’on commence à savoir que la sanction existe. Haïtienne. S’exprimant parfois mal. Mais il faut compter avec elle.
J’ai dit qu’on commence à savoir qu’elle existe. Peut-être existait-elle déjà sous une forme institutionnelle. C’était hier : l’anecdote est célèbre qui rapporte les souffrances d’un ministre du Commerce soumis à la verve et aux questions d’un député du peuple. Je tairai le nom du ministre. Inutile de le réveiller dans sa tombe pour lui rappeler un mauvais souvenir. Le député, vous le connaissez, un certain Fignolé…
mercredi 16 avril 2008
//L'article ci-dessus provient du lien ci-après:
http://www.lematinhaiti.com/PageArticle.asp?ArticleID=12226
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